En 1945, une importante cache de tableaux mis à l’abri dans le château de Schwarzburg, non loin de Weimar, était pillée par des soldats de l’armée américaine d’occupation. Seuls trois de ces tableaux avaient resurgi jusqu’à ce qu’un Tischbein réapparaisse récemment à New York, chez Sotheby’s.
NEW YORK (de notre correspondant) - Les responsables des Staatliche Kunstsammlungen de Weimar (l’ex-Musée grand-ducal) ont appris au mois de novembre 1995 que le Portrait d’Elizabeth Hervey, peint à Rome en 1778 par Johann Friedrich August Tischbein et dérobé par des soldats de l’armée américaine au château de Schwarzburg en 1945, avait été consigné chez Sotheby’s à New York. Le musée de Weimar a été informé par l’un des clients potentiels approchés par Sotheby’s Allemagne, le grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, descendant de la famille régnante jadis propriétaire de la majeure partie de la collection pillée. L’identité du vendeur n’a pas été révélée, mais il pourrait s’agir d’un marchand new-yorkais.
Curieux itinéraire
Sotheby’s, qui n’a fait aucun commentaire sur le tableau – dont la vente n’a pas encore été programmée –, rechercherait une solution amiable à l’affaire. Selon certaines sources, Sotheby’s aurait recommandé aux responsables du musée de Weimar de constituer aux États-Unis une société à but non lucratif, à laquelle la loi new-yorkaise permettrait d’acheter l’œuvre hors taxes, éventuellement grâce à des donations allemandes. Cet arrangement a déjà fonctionné par le passé pour une toile volée en Pologne. Réapparue chez Sotheby’s plusieurs années plus tard, elle fut "rachetée" par une fondation américano-polonaise.
La toile de Tischbein a suivi un curieux itinéraire. Vraisemblablement acheminée aux États-Unis après la guerre, on la retrouve à Munich entre les mains de Walter Hofer dans les années soixante. Ce marchand d’art avait été l’un des principaux pourvoyeurs des nazis, de Goering notamment, mais comme beaucoup de ses confrères dans le même cas, il put rouvrir une galerie après la guerre. Les autorités d’Allemagne de l’Est avaient à l’époque contacté leurs homologues bavarois pour récupérer le Tischbein, mais les tractations s’étant subitement interrompues, Hofer avait vendu le portrait à un collectionneur suisse.
Un diptyque de Dürer
Tout comme le tableau de Tischbein, l’essentiel du "trésor" du château de Schwarzburg consistait en toiles de petite taille, facilement dissimulables et transportables. Trois d’entre elles sont apparues sur le marché depuis, dont Vénus et l’Amour avec une abeille, par Lucas Cranach l’Ancien. Donnée par un Américain à l’université de Yale dans les années cinquante, puis vendue chez Sotheby’s à Londres au début des années soixante-dix, elle n’est plus jamais réapparue en public. En revanche, un diptyque d’Albrecht Dürer daté de 1499, représentant le marchand de Nuremberg Hans Tücher et son épouse, a regagné l’Allemagne. Les deux panneaux, qui ont fait l’objet d’un long procès commencé en 1967 et conclu dans les années quatre-vingt par leur restitution, ornaient le salon d’un vétéran américain à Brooklyn. Ce jugement a marqué une avance décisive dans la jurisprudence américaine. Celle-ci privilégie désormais le retour dans leur pays d’origine des œuvres manifestement volées.
Les enquêteurs ont acquis la conviction qu’un soldat de l’unité militaire américaine stationnée au château de Schwarzburg, bon connaisseur de la valeur artistique des œuvres entreposées là, a pu emporter plus d’une douzaine de tableaux aux États-Unis à la fin de la guerre pour les vendre à des marchands new-yorkais. Il aurait agi comme Joe Meador, le pilleur des manuscrits et autres objets d’art de la cathédrale de Quedlinburg. (Le procès de ses héritiers, qui ont vendu quelques-uns de ces trésors artistiques, s’ouvre le 3 juin au Texas – lire le JdA n° 23, mars 1995). Tout comme le procès intenté à l’ancien soldat Edward I. Elicofon, devenu avocat, ces affaires révèlent les agissements de certains soldats américains alors que jusque-là, seules les troupes soviétiques étaient tenues pour responsables des pillages.
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Pillé en 1945, aujourd’hui chez Sotheby’s
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°26 du 1 juin 1996, avec le titre suivant : Pillé en 1945, aujourd’hui chez Sotheby’s