Philippe Bélaval commente l’action de la direction générale des Patrimoines qu’il pilote depuis bientôt deux ans.
Philippe Bélaval est à la tête depuis janvier 2010 de la direction générale des Patrimoines. C’est l’une des trois directions du ministère de la Culture et de la Communication, constituée à partir des anciennes directions des musées de France (DMF), des Archives de France (DAF) et de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA). Énarque, conseiller d’État, il a précédemment été, notamment, directeur général de l’Opéra de Paris (de 1990 à 1992), puis de la Bibliothèque nationale de France (de 1994 à 1998).
Jean-Christophe Castelain : Quel bilan faites-vous de la direction unique du Patrimoine près de deux ans après sa constitution ?
Philippe Bélaval : Cette fusion a le grand mérite d’avoir permis de regrouper les différentes composantes du patrimoine dans une même politique et administration. Prenez Versailles. Versailles, c’est un grand parc, un monument historique, un musée, un centre d’archives, un lieu de spectacle et un centre de recherche. Cela fait maintenant plusieurs années que l’établissement public de Versailles fédère ces entités différentes. Il était temps de fédérer au niveau de l’administration les disciplines du patrimoine, qui sont fondées sur un ensemble de valeurs communes et incarnées dans un même corps de fonctionnaires scientifiques. C’est ce que l’on a fait au niveau de l’administration centrale, mais aussi des services déconcentrés. Je crois que la politique du patrimoine dans son ensemble, au sens le plus large du mot « patrimoine », y a gagné en visibilité, en cohérence et en efficacité. On le voit, par exemple, dans le champ du cadre de vie : des outils comme les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) ont été mis au point pour répondre au besoin d’une approche globale des problèmes et des enjeux.
J.-C. C. : Quelles sont vos priorités ?
P. B. : Ce sont d’abord les réformes législatives ou réglementaires en cours, qui sont nombreuses dans ce secteur. Je viens de faire allusion à la réforme qui a consisté à créer les AVAP, avec une révision profonde du mode d’intervention des architectes des Bâtiments de France (ABF). Il y a la réforme de l’archéologie préventive, qui date de 2003 et que le ministre entend prolonger par une réforme ambitieuse et durable du financement de ce secteur. Il y a la loi de 2008 sur les archives qui est très récente, mais qui est déjà bousculée par les problématiques liées à la réutilisation des données publiques numérisées.
Nous avons aussi un projet de loi sur le transfert de la propriété de certains monuments historiques aux collectivités territoriales qui est en cours de navette au Parlement. Nous travaillons également à la mise en place d’une commission scientifique nationale des collections qui doit se prononcer sur le déclassement des biens faisant l’objet de demandes de restitution. Et puis il y a aussi les suites d’une réforme dont on n’a pas beaucoup parlé, la réforme de la maîtrise d’ouvrage pour les travaux sur les monuments historiques. La dévolution aux propriétaires de cette maîtrise d’ouvrage a complètement changé le rôle des propriétaires, des ABF et des services du ministère.
La deuxième famille de priorités concerne la réalisation des grands projets culturels du ministère : le Centre des Archives, le MuCEM [Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille], la rénovation du Musée Picasso, la création du département des Arts de l’Islam au Louvre, le Louvre-Lens, la réouverture des nouvelles salles du Musée d’Orsay…. Le nombre de chantiers est considérable.
J.-C. C. : Pour quelle raison l’enveloppe allouée en 2012 au plan musées en régions est-elle plus faible qu’en 2011 ?
P. B. : Le plan musées est un plan pluriannuel, qui dépasse le cadre d’une seule loi de finances. À part quelques opérations qui concernent des petits musées nationaux, donc placés sous la responsabilité de l’État, l’essentiel du plan concerne des musées relevant des collectivités territoriales. L’État est alors tributaire de l’investissement de ces collectivités territoriales. Le rythme d’avancement des chantiers peut être différent en fonction des travaux. Par exemple, l’opération du Musée des beaux-arts de Nantes a avancé dans des proportions très favorables, et nous avons été amenés à verser 5,2 millions d’euros dès 2011.
J.-C. C. : Les subventions aux opérateurs publics vont-elles baisser de 5 % en 2012 comme en 2011 ?
P. B. : Nous avons plus de quarante opérateurs de toutes tailles, et on ne peut pas comparer la situation financière d’un établissement comme le Louvre ou Versailles avec celle d’un établissement qui a une structure différente comme Fontainebleau. Il y a une différence d’échelle, d’effectif, de budget. L’effort attendu des opérateurs de l’État sera réparti en fonction de la capacité réelle des établissements à soutenir cet effort, soit qu’ils disposent de réserves, de fonds de roulement abondants, soit qu’ils aient aussi des capacités à lever des ressources propres plus importantes. Les arbitrages sur 2012 seront rendus dans les semaines à venir.
J.-C. C. : La Cour des comptes a relevé dans son rapport sur les musées nationaux, que le budget de la Culture ne pourrait soutenir les coûts de fonctionnement des nouveaux équipements. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
P. B. : D’abord il faut souligner que le ministère parvient à participer dans la mesure de ses moyens à l’effort d’ensemble des finances publiques tout en continuant à inventer, créer, lancer de nouveaux projets. C’est extrêmement important. Comme le dit souvent le ministre, il n’y a pas de « dépression culturelle ». Ensuite nous parvenons à le faire dans un contexte plus contraint. Cela prouve que nous savons adapter notre gestion et notre mode de fonctionnement à cette nouvelle situation. Il y aura peut-être un moment où l’on risque de ne pas parvenir à faire coïncider les moyens et les projets. Mais compte tenu des modèles des différents projets, pour le moment nous sommes dans des limites d’une parfaite soutenabilité. Rien ne serait pire pour le ministère que de cesser de chercher à répondre aux attentes de la société en termes de culture.
J.-C. C. : La décision de ne pas fondre les neuf musées SCN (services à compétence nationale) dans un seul établissement public est-elle définitive ?
P. B. : Effectivement ils resteront autonomes, à côté de l’établissement public « Maison de l’histoire de France » (MHF), qui assurera l’ensemble des missions centrales de la MHF, notamment l’organisation des expositions permanentes et temporaires, les activités en réseau, le portail Internet, les colloques, la recherche. À côté de cela, un groupement d’intérêt public d’une durée de quatre ans réunira la MHF et les SCN lorsque ceux-ci sont concernée par la MHF.
Les SCN fonctionnent quasiment comme des établissements publics, à ceci près qu’ils n’ont pas la personnalité morale et qu’ils demeurent rattachés plus étroitement à l’administration que les établissements publics. Un certain nombre de ces SCN ont une taille extrêmement réduite, et donc rencontrent des difficultés à mobiliser leurs moyens pour accomplir leur mission. La politique du ministère est de chercher à adosser ces SCN à des établissements publics qui leur donnent un fonctionnement plus assuré, une plus grande viabilité. Plusieurs opérations de ce type ont déjà été réalisées, comme l’adossement de l’Orangerie ou du Musée Hébert au Musée d’Orsay. Nous préparons deux opérations du même type, le rapprochement du Musée national Adrien-Dubouché de Limoges avec la Cité de la céramique de Sèvres et le regroupement de l’aquarium de la Porte-Dorée et de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration au sein d’un établissement public du Palais de la porte Dorée.
J.-C. C. : Où en est le vaste projet de reconfiguration du Grand Palais dont les travaux auraient dû commencer en 2012 ?
P. B. : C’est un sujet en discussion, nous examinerons cette question avant la fin de l’année au cours d’une réunion du conseil d’administration de l’établissement public.
J.-C. C. : De même, qu’en est-il du « centre d’études, de conservation et de restauration » à Cergy qui devait ouvrir en 2015 ?
P. B. : Ce projet répond à deux préoccupations fondamentales de l’État : sauver les réserves des musées nationaux en bord de Seine et créer un outil moderne de recherche sur les techniques du patrimoine à partir des outils qui existent actuellement et qui sont quelque peu dispersés : le Laboratoire de recherche des monuments historiques, le C2RMF (qui est lui-même sur deux sites différents), l’Institut national du patrimoine, les unités du CNRS… Une ambition qui rencontre la démarche d’une collectivité, Cergy, qui cherche à valoriser son image culturelle, ce qui est très intéressant dans le cadre du « Grand Paris » et s’inscrit dans le vaste mouvement de modernisation du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne sommes pas encore au stade d’aboutissement de ce projet, de ses contours exacts et de son coût. Nous travaillons de manière très soutenue pour que le gouvernement puisse prendre une décision dans le premier semestre de l’année 2012.
J.-C. C. : Pourquoi ne pas avoir empêché le Louvre d’acquérir les plaques de Goya revendiquées par l’Espagne ?
P. B. : Le Louvre a considéré que ces plaques, dont les liens avec la France sont importants (elles ont été exécutées par Goya à Bordeaux et sont restées depuis sur le territoire français), pouvaient enrichir utilement ses collections. Une fois que ces plaques ont été mises sur le marché, la Société des amis du Louvre s’en est portée acquéreur. Je mesure la déception des Espagnols, mais il y a beaucoup de liens entre les musées espagnols et le Louvre, et j’espère que ces liens ne seront pas affectés par cette affaire.
J.-C. C. : Que dites-vous aux observateurs qui notent un affaiblissement du ministère de la Culture ?
P. B. : Je suis embarrassé par cette question car elle est très politique. Je vous dirai à mon niveau et à titre personnel qu’un ministère qui est capable de porter toutes les réformes et tous les projets dont on vient de parler ne me paraît pas être un ministère affaibli. Pour autant nous devons nous adapter, adapter nos méthodes à nos moyens, nous adapter à la décentralisation et à la déconcentration, nous adapter au changement de la société, au changement d’attentes des publics, à la révolution numérique. Le vœu du ministre est que nous nous engagions résolument dans toutes ces voies.
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Philippe Bélaval : « Il n’y a pas de dépression culturelle »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Philippe Bélaval : « Il n’y a pas de dépression culturelle »