Directeur du Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe, l’artiste Peter Weibel œuvre pour la conservation de l’art médiatique.
L’Autrichien Peter Weibel (né en 1944) dirige le Centre d’art et de technologie des médias (Zentrum für Kunst und Medientechnologie, ZKM) à Karlsruhe depuis 1999. Au sein de cette institution surnommée « le Bauhaus électronique », il a organisé d’ambitieuses expositions telles « Iconoclash : fabrication et destruction des images en science, en religion et en art » en 2002 avec le sociologue Bruno Latour, et « Lichtkunst aus Kunstlicht » en 2006 sur l’histoire du light art. Il travaille actuellement au commissariat de la quatrième Biennale de Moscou, qui ouvrira ses portes au mois de septembre. Les centres d’intérêt de cet artiste, universitaire et directeur d’institution vont de l’art à la médecine en passant par la littérature, le cinéma et les mathématiques. Sa carrière artistique a débuté à la fin des années 1960 avec des performances provocantes, à l’image d’Aus der Mappe der Hundigkeit (Du portfolio de l’être-chien) en 1968 avec l’artiste autrichienne Valie Export, qui mettait en scène Export promenant Weibel, à quatre pattes et en laisse, le long d’une rue de Vienne. Peter Weibel commente l’actualité.
Le Journal des Arts : Quelles sont les missions du ZKM ?
Peter Weibel : Nous remplissons les tâches traditionnelles d’un musée, en collectionnant et en exposant. Collectionner signifie simplement que nous nous assurons que les œuvres ne disparaissent pas. Quand il s’agit de tableaux, il suffit d’accrocher les œuvres sur un mur ; quand il s’agit des nouveaux médias, c’est plus difficile parce que l’équipement devient obsolète. Ce qui fait de nous l’arche de Noé pour l’art médiatique. Il n’y a pas de cursus pour enseigner la restauration des vidéos et de l’art médiatique, donc j’ai mis sur pied un laboratoire pour les systèmes vidéo archaïques. Nous sommes les seuls au monde à pouvoir restaurer des travaux de cette nature. Si le Centre Pompidou [à Paris] nous envoie quelque chose, je le restaure gratuitement à la condition de pouvoir en garder une copie numérique à des fins de recherches. D’ici une centaine d’années, nous serons ainsi le Louvre de l’art médiatique.
Ce lieu est-il unique ?
P.W. : C’est le seul au monde. Nous sommes le premier musée des médias, mais, aujourd’hui, nous voyons beaucoup d’imitations, en Asie et en Espagne. Même le Prado [à Madrid] a désormais son propre département des médias.
Travailler avec des spécialistes extérieurs est également essentiel. Pourquoi ?
P.W. : Nous invitons une trentaine d’artistes chaque année, parce que nous effectuons des recherches, nous produisons et nous créons également de nouvelles œuvres. C’est ce que signifie être un « centre ».
Vous êtes aussi réputé pour vos écrits scientifiques et théoriques.
P.W. : Je me suis toujours senti à l’aise dans des milieux contrastés : un phénomène que j’appelle « l’optionalisme ». Avec Valie Export, ma partenaire à l’époque, j’ai réalisé Hundigkeit, alors qu’au même moment j’étudiais la logique mathématique.
Êtes-vous toujours un provocateur ?
P.W. : Oui, d’une certaine manière. Même si la provocation est dépassée. À la différence qu’à l’époque nous (les provocateurs des années 1960) finissions au poste de police, alors qu’aujourd’hui on se retrouve à Bayreuth.
Vous décrivez l’art médiatique comme une « revitalisation » des technologies. Que voulez-vous dire ?
P.W. : Nous ne pouvons pas renverser le pouvoir de la technologie. Nous savons tous que l’ordinateur est le produit de la technologie militaire. [Le théoricien] Friedrich Kittler définit l’art médiatique, de façon ironique, comme un « usage impropre de l’équipement militaire », ce que j’appelle un procédé de « revitalisation ». Tout comme nous avons fait du bâtiment [du ZKM] – une fabrique de munitions – une fabrique artistique, nous souhaitons mettre l’équipement militaire au service de la société civile. Nous ne pouvons pas nous débarrasser de ce pouvoir, mais nous pouvons développer des alternatives, sans devenir complice.
Comment les technologies altèrent-elles la créativité artistique ?
P.W. : Le concept de créativité s’est élargi. Dans l’ère moderne, le savoir-faire traditionnel s’est perdu, mais il revient avec la technologie, car l’artiste doit à nouveau être un virtuose.
Cela signifie-t-il que chaque artiste média se doit aussi d’être un expert en technologie ?
P.W. : D’une certaine manière, oui. L’art médiatique nécessite le type de virtuosité qui a toujours existé dans le domaine musical. La partition est un programme, et [l’artiste sud-coréen] Nam June Paik a dit un jour qu’il avait tout appris de son expérience avec les partitions. Si quelqu’un s’insurge contre la technologie des médias, je me dois de protester [et dire] que le papier est aussi un médium. Shakespeare a écrit dans un sonnet : « What’s in the brain that ink may character… » (Est-il dans le cerveau humain une idée que puisse fixer l’encre), ce qui signifie que je peux penser ce que je veux, mais si je ne dispose pas d’un médium – de l’encre et du papier – cette pensée n’existe plus. Notre problème actuel est que nous devons migrer avec les systèmes médiatiques. Le ZKM – et j’en suis fier – est un musée participatif. L’art est une construction sociale et cette institution ne fonctionne que si l’on participe : en appuyant sur des boutons, en gesticulant sur son siège. J’adore voir des enfants de 8 ans debout devant les machines qui disent à leurs pères : « Je t’ai déjà dit deux fois comment ça marche, alors as-tu besoin que je te montre une nouvelle fois ou est-ce que tu as enfin compris ? »
Quels sont vos projets pour les cinq prochaines années au ZKM ?
P.W. : J’aimerais réorganiser le musée, et faire venir encore plus de spécialistes en art. De grandes expositions sont au programme : sur l’art mondialisé, l’art de la bande dessinée au XXe siècle, l’art du son, et une exposition de sculptures. Je pense que la sculpture a été présentée d’une manière totalement faussée au siècle dernier. Tout dérivait de Descartes, qui a divisé le monde entre pensée et substances matérielles, physiques. Les directeurs de musée n’ont vraisemblablement pas encore réalisé qu’il s’agit du passé. Je ne suis pas en train de dire que Richard Serra ou Georg Baselitz sont mauvais, mais la vraie réussite de la sculpture du XXe siècle se trouve dans le virtuel : ligne, Plexiglas, trous, ombres, miroirs.
Quelle exposition vous a-t-elle le plus marqué récemment ?
P.W. : « Atlas. Comment porter le monde sur ses épaules ? », par [le philosophe et historien d’art] Georges Didi-Huberman au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, à Madrid [jusqu’au 28 mars, exposition organisée en collaboration avec le ZKM et la collection Falckenberg à Hambourg].
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Peter Weibel, directeur du Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe (Allemagne)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Peter Weibel, directeur du Zentrum für Kunst und Medientechnologie à Karlsruhe (Allemagne)