La collectionneuse Pearl Lam fait partie des personnalités les plus flamboyantes de Hongkong. Elle y a ouvert en 1992 la Contrasts Gallery, qui présente du mobilier design européen qu’elle cherche à faire connaître en Chine. Elle organise jusqu’au 6 janvier 2005 à Shanghaï, dans le cadre de l’Année de la France en Chine, l’exposition « Awakening : la France mandarine » (1), qui réunit plus de soixante-dix designers français et chinois. Pearl Lam commente l’actualité.
Pour l’exposition « Awakening : la France mandarine », vous avez invité des designers français à travailler avec des artisans chinois utilisant des techniques traditionnelles. Pensez-vous que le design puisse créer un lien entre le passé et le présent ?
C’est une attitude et un esprit très français que d’introduire de la modernité dans la tradition. Les Français l’ont fait et continuent de le faire pour préserver leurs arts décoratifs et leurs métiers d’art. De cette manière, ils créent le style d’aujourd’hui. En adoptant cet esprit, j’ai cherché à voir comment l’Occident pouvait fusionner avec l’Asie et, de manière différente, j’ai dit aux artistes plasticiens chinois qu’il était important d’associer les traditions à un esprit occidental de libération. Mais n’oublions pas nos propres traditions. Les designers français le réussissent très bien. Olivier Gagnère connaît aussi bien la porcelaine que moi, idem pour André Dubreuil et le cloisonné… Tous ensemble, ils ont un très fort intérêt pour la tradition. Pour eux, faire ce travail en Chine a été une joie. Ils nous enseignent également, à mon équipe et à moi mais aussi aux artisans, des exigences et des standards de qualité, lesquels ont été perdus en Chine.
Est-ce le point sur lequel les designers français peuvent influencer les Chinois ?
Absolument. J’ai toujours dit que nous avions beaucoup à apprendre des étrangers. Nous devons apprendre des Français la qualité, des Anglais l’éclectisme… Tout ceci combiné, nous pouvons construire un monde beaucoup plus excitant esthétiquement.
Quelle est la situation du design en Chine ?
Il n’y a pas de design, il n’existe pas. Un exemple : pour le catalogue de l’exposition, l’éditeur m’a dit que son graphiste allait s’occuper de tout. Je lui ai répondu que non, que nous devions travailler avec un graphiste confirmé. L’éditeur ne comprenait pas parce que ce n’est pas sa façon de travailler, il n’accorde aucune importance au graphisme et ne le respecte pas. Cette question du non-respect explique pourquoi il y a tant de problèmes de copie en Chine. Il faut un nouveau processus d’éducation. Le design est né au XXe siècle en Occident. En Chine, nous avons connu une éclipse de cinquante ans. Comment les Chinois pourraient-il comprendre immédiatement ce qu’est le design ? Cela demande du temps. Ce qui est intéressant aujourd’hui, par rapport à cinq ou six décennies en arrière, c’est que les artistes plasticiens font aussi du design. Les arts plastiques pénètrent le design et le design est aujourd’hui au même niveau que les arts plastiques. Que l’establishment des arts plastiques le reconnaisse ou non, la réalité ne peut être changée.
Existe-t-il beaucoup de décorateurs en Chine ?
Il y en a beaucoup qui travaillent mais ils ne sont pas chinois. Il est très difficile de trouver un décorateur chinois, parce que, pour être décorateur, il faut inspirer confiance et défendre ce en quoi l’on croit. Ici, si l’on n’a pas vu de visu la qualité, on n’en a aucune idée. Beaucoup ne veulent pas devenir décorateurs mais dessinateurs. Aussi, la plupart des décorateurs sont européens, viennent de Hongkong ou de Taïwan. J’aime l’architecture. J’adore explorer les arts plastiques, l’architecture, la sculpture, le design ensemble. Il devrait en être ainsi à mon sens pour créer un nouveau langage visuel.
Vous dirigez la Contrasts Gallery à Hongkong, qui présente notamment du mobilier. Existe-t-il un marché pour le design en Chine ?
Hongkong est très différente parce que c’est une ville très occidentalisée qui n’a pas connu d’éclipse. Le design y est important. Il y a eu récemment par exemple un week-end « design ». Depuis deux ans, le design bénéficie d’une vraie reconnaissance. Ailleurs en Chine, le marché est complètement différent. Mais, avec tous les investissements étrangers dans le pays, l’arrivée des marques françaises, les Chinois vont comprendre. Par exemple, même si les bâtiments ont une architecture très audacieuse, tous les panneaux dans la ville ont un graphisme très « années 1950 ». Il y a quelque chose qui ne va pas. Ce que prennent les Chinois, ce n’est que la surface. Shanghaï, avec ces gratte-ciel, apparaît ainsi comme une ville moderne, ce que contredisent les petits détails. Mais bientôt, ils trouveront. Les Chinois sont dans un processus d’apprentissage, le pays venant tout juste de s’ouvrir, depuis moins de vingt ans. Il est formidable de voir comment les choses évoluent. À Shanghaï, les gens sont plus cultivés qu’à Hongkong et en sont très fiers. La Chine est en train de réaliser que la culture est très importante. Sans la culture, nous nous perdons nous-mêmes. À Pékin, quand on voit les palais, la Cité interdite, cela nous touche et nous pousse à les préserver.
Qui sont les collectionneurs chinois d’art contemporain ?
Le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y en a pas. Quand le pays a commencé à être prospère, les gens ont acheté des Porsche, des Ferrari, des montres couvertes de diamants, puis ils ont voulu avoir un intérieur français. Jusqu’à maintenant, ils ne se sont pas intéressés à l’art chinois et plus particulièrement à l’art contemporain chinois. Ils pourraient acheter éventuellement de l’art traditionnel chinois mais pas de l’actuel. C’est pourquoi j’ai décidé d’essayer de faire changer les choses. Aussi, je pense ouvrir de nouveaux espaces pour la galerie à Shanghaï et à Pékin. L’une des propositions de l’exposition « La France mandarine » est de générer de l’intérêt et de la curiosité pour le marché chinois. Les collectionneurs chinois devraient venir et comprendre ce qu’est l’art d’aujourd’hui. Ils n’ont pas besoin d’aller en Occident.
Quels sont les réseaux de ventes aux enchères ?
Christie’s et Sotheby’s vendent depuis longtemps à Hongkong et ils organisent des expositions à Shanghaï. En Chine, ils ont encore peur de vendre parce que les deux maisons dispersent beaucoup de pièces chinoises anciennes. Et une loi interdit l’exportation d’objets anciens, ce qui freine les importations de pièces qui sont déjà sorties. De plus, il existe beaucoup de maisons de ventes aux enchères chinoises, mais elles ne vendent pas d’art contemporain, seulement de l’art moderne et asiatique. Pour ces deux derniers domaines, il y a un marché très important. Mais ce qui m’intéresse, c’est l’art contemporain parce qu’il représente le futur. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est bâtir le futur. Ne nous concentrons pas seulement sur le passé, mais construisons ; c’est le sens de cette exposition.
Quel est le public des expositions en Chine ?
Le public est large parce que composé de retraités, d’étudiants… En général, les expositions attirent du public mais, à partir du moment où il s’agit d’art contemporain, comme dans de nombreux pays, il y a moins de monde, parce que les gens ne comprennent pas. Nous avons pourtant des audioguides pour l’exposition, un catalogue… Mais ce n’est pas suffisant parce que la question centrale est l’éducation. Les gens doivent s’ouvrir. L’art contemporain intimide les gens, parce qu’ils ne comprennent pas de quoi il s’agit. En montant cette exposition, j’essaie de créer quelque chose d’accessible pour que tout le monde, quelle que soit son éducation, puisse être intéressé. Tel est mon but.
Une exposition vous a-t-elle marqué récemment ?
L’exposition d’Andrée Putman à Pékin est très excitante parce qu’elle est présentée à côté des œuvres impressionnistes du Musée d’Orsay. Le contraste est complet. Les visiteurs la découvrent après les impressionnistes et cette atmosphère est très stimulante. C’est à l’image du monde, parce que ce n’est pas seulement nier la tradition et la modernité, mais le temps. Ce qui est intéressant pour les expositions en Chine, comparé à l’Europe, c’est que les gens en ont une approche totalement différente. Même pour une exposition identique, les gens voient et aiment des choses différentes à cause de leur culture, autre. En France, toutes les expositions donnent lieu à des critiques. Ici, les gens ne réagissent pas ; la plupart du temps, on ne peut même pas savoir ce qu’ils en pensent.
(1) Shanghaï Urban Planning Exhibition Center, 100 Remin Da Dao, Shanghaï,lafrancemandarine.com
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Pearl Lam, directrice de la Contrasts Gallery à Hongkong
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Pearl Lam, directrice de la Contrasts Gallery à Hongkong