Paul Abirached : « Le Triptyque bleu de Miró est d’une telle musicalité ! »

C’est un projet que je porte en moi depuis que j’ai visité la grande rétrospective de Joan Miró « La naissance du monde », au Centre Pompidou, en 2004. La découverte de cet univers a été un choc. Je connaissais mal Miró et j’ai découvert – en lisant ses écrits, en allant voir aussi sa peinture à la Fondation Miró de Barcelone – toute la profondeur, la richesse, la diversité de son œuvre. J’ai un rapport très particulier à cette œuvre. Quelque chose de très profond, intime, ressenti. Regarder son travail, c’est plonger directement dans son imaginaire. Je crois que c’est surtout ça qui m’a bouleversé. Il y a une œuvre en particulier qui m’a ému, c’est le Triptyque bleu, conservé au Centre Pompidou. Je me souviens d’avoir été submergé par sa force : du bleu et des points, des taches, un trait vertical rouge, des choses apparemment très simples, mais d’une telle force, et aussi d’une telle musicalité !

Miró avait des goûts musicaux très divers, du jazz, découvert à New York dans les années 1940, à la musique contemporaine, en passant par la musique classique et la musique populaire catalane. On les retrouve dans sa peinture avec la récurrence de motifs, de rythmes… C’est une chose que je perçois très bien et que j’ai essayé de retranscrire. J’ai imaginé des motifs musicaux qui correspondent à son alphabet pictural.
Plusieurs projets sont nés de cela. Je suis allé jouer en Espagne le premier, La Couleur de mes rêves, écrit pour saxophone soprano et guitare, auquel j’avais aussi intégré des poèmes de Miró. Le second était une commande du Musée Matisse du Cateau-Cambrésis, inspiré par son travail autour du personnage d’Ubu. Je l’ai joué au cœur de l’exposition, c’était émouvant de faire dialoguer ma musique avec les œuvres qui l’avaient inspirée. Et, depuis quelques mois, j’ai dans l’idée de créer une constellation de performances dans les musées où sont les tableaux que j’ai choisis.

Cela change tout ! C’est une musique écrite mais aussi extrêmement improvisée. D’être face à une œuvre permet de puiser une inspiration directe. Ça change aussi beaucoup pour le public, qui peut se laisser aller à la contemplation. C’est un autre rapport à l’œuvre dans le temps de l’exposition. Et, au-delà de cela, c’est la concrétisation de cette conception de Miró pour qui la poésie, la musique et la peinture étaient un tout. La forme ultime de la création artistique, c’est de proposer des œuvres pluridisciplinaires.

Cela se définit en termes de timbre, de couleur musicale et dans mon choix de guitares ; j’utilise aussi pas mal d’effets, ce que je fais rarement par ailleurs. J’envisage maintenant d’y mêler de la musique électronique, pour aller vers un nouveau terrain. C’est aussi une manière d’ancrer l’œuvre de Miró dans quelque chose de très contemporain. Ce qu’il a toujours fait. Pour moi, c’est un modèle de modernité.