Héritier du célèbre marchand Louis Carré, son grand père, Patrick Bongers dirige depuis 1978 la galerie Louis Carré & Cie. Tout en gérant le fonds patrimonial, notamment de peintures de l’école de Paris, il a également porté un regard nouveau sur les artistes vivants, en accueillant par exemple B.P., Erró, Cueco, Télémaque ou Lebel. Il a également été secrétaire général du Comité de sélection de la FIAC (Cofiac) pendant six ans à la fin des années 1990. Le 13 janvier, Patrick Bongers a été élu président du Comité professionnel des galeries d’art (CGA). Il commente l’actualité.
Vous venez d’être élu président du Comité professionnel des galeries d’art. Quelles vont être vos priorités en son sein ?
J’ai pris la présidence du comité parce qu’Anne Lahumière était en fin de mandat et qu’elle ne souhaitait pas se représenter. Elle est restée onze ans présidente du comité, où elle a effectué un énorme travail avec le vice-président, Bernard Zürcher, ainsi qu’avec notre déléguée générale, Marie-Claire Marsan. Dans les années 1940, Louis Carré, mon grand-père, a été l’un des artisans de la création du comité des galeries d’art, et il était assez symbolique pour moi d’y continuer une action. Je suis membre du bureau et du conseil depuis dix-huit ans et c’est donc tout naturellement que je me suis présenté pour continuer le travail qu’a commencé Anne. Nous allons reprendre tous les problèmes de la profession et les chantiers qui ont été mis en place. Le premier et le plus grave est le droit de suite. Il existe déjà pour les maisons de ventes françaises, mais les galeries en sont exemptées. Elles devront y être soumises à partir de 2006. Ce droit nous pose des problèmes parce qu’il vient en complément de la sécurité sociale des artistes à laquelle nous cotisons. Un arbitrage avait été trouvé en son temps : les commissaires-priseurs finançaient le droit de suite et les galeries la sécurité sociale des artistes. Aujourd’hui, une directive européenne va nous obliger à payer le droit de suite en tant que galerie, mais on ne parle pas de nous enlever la sécurité sociale. Les pays qui n’ont pas eu de droit de suite jusqu’à ce jour vont avoir la possibilité de le mettre progressivement en place et de l’appliquer à partir de 2010, voire 2012. Je pense en particulier au Royaume-Uni, qui est un des pays très actifs dans le monde de l’art, mais aussi à l’Irlande, aux Pays-Bas et à l’Autriche. Des disparités risquent ainsi d’être importantes. Début février, une réunion mise en place par le ministère de la Culture et réunissant les artistes, les galeries, les sociétés de droit, les syndicats et les sociétés de ventes va permettre à chacun de s’exprimer. Cela prouve que c’est un problème dont le ministère a conscience, et nous espérons que nous aboutirons dans les mois qui viennent au report de cette application en 2010, voire 2012, pour se trouver à égalité avec les autres pays.
Tous les artistes sont-ils concernés ?
Non. Les œuvres d’artistes venant de pays ne connaissant pas le droit de suite, comme les États-Unis, les pays d’Amérique du Sud, la Suisse, la Chine, ne seront pas soumises au droit de suite en France. Nous avons ainsi de grands risques de voir se développer un marché d’artistes non européens au détriment des européens. C’est un handicap sérieux. Et puis tous les stocks qui ont été constitués avant la mise en place du droit de suite vont y être soumis. On change les règles du jeu. Nous demandons tout naturellement au ministère que nous puissions faire un état physique de nos stocks par huissier de justice pour que tout ce qui est antérieur à la mise en place du droit de suite n’y soit pas soumis. Cette question inquiète beaucoup la profession.
N’aurait-il pas été plus efficace de faire du lobbying à Bruxelles ?
Aujourd’hui, pour le droit de suite, c’est trop tard. Le comité n’est pas extrêmement riche et le lobbying ne peut être fait que si nous arrivons à nous regrouper. Nous avons à cet effet un certain nombre d’organismes qui nous permettent de mettre nos problèmes sur la table avec le Syndicat national des antiquaires et les maisons de ventes. Si nos professions sont complémentaires sur le même marché, nous avons des préoccupations qui quelques fois se recouvrent. Mais nous n’avons pas les moyens du syndicat de l’industrie de l’ameublement ou de celui du vin pour faire du lobbying auprès de l’Union européenne.
En France, la question du droit de suite était liée à la sécurité sociale des artistes. Celle-ci
va-t-elle évoluer ?
Nous allons essayer d’obtenir des mises en adéquation des problèmes de la sécurité sociale des artistes. Les galeries sont les seules à cotiser à la maison des artistes en tant que diffuseur, avec un taux de l’ordre de 1,5 % du chiffre d’affaires TTC. À partir du moment où les maisons de ventes volontaires seront aussi soumises à la sécurité sociale, nous trouverions logique que le taux soit réduit pour que, à plus grand nombre, nous obtenions les mêmes sommes. Nous faisons aussi ici une pression sérieuse pour obtenir un taux diminué par rapport à la maison des artistes.
Quels sont les autres dossiers brûlants ?
D’autres choses nous inquiètent dans la profession : il s’agit de la façon dont les foires sont aujourd’hui gérées. Bâle ne trouve plus, depuis quelques années déjà, de place pour certaines galeries françaises qui y exposaient régulièrement. De moins en moins de galeries françaises sont présentes à Bâle, même si on nous laisse entendre le contraire. Cette année à l’ARCO, à Madrid, un certain nombre de confrères n’ont pas non plus trouvé de place. Les foires sont des animations importantes et nécessaires. Il faut aussi que le comité réagisse sérieusement pour faire comprendre à ces foires que nous sommes des partenaires et pas seulement de simples clients qui achètent des mètres carrés.
N’est-ce pas le contrecoup de la faiblesse prétendue du marché français ?
Une foire comme Bâle se veut commerciale. Quand on défend des artistes d’une certaine génération française, on n’a pas la certitude de faire des foires commerciales très actives, et le stand ne donne pas toujours le sentiment d’exploser les ventes. Cela doit gêner l’ensemble de l’ambiance générale de la foire. Aujourd’hui, notre création, qui n’est pas très facile à défendre, s’enfonce un peu plus à cause de ces foires qui préfèrent les artistes qui font des records en ventes publiques.
Nous avons en France des grands collectionneurs, mais on aimerait bien qu’ils achètent des artistes français. Je crois que le jour où l’on aura une ou deux fondations importantes, un ou deux collectionneurs qui se battront en ventes publiques pour les mêmes pièces, on aura des prix qui vont peut-être un peu bouger. La sanction passe quand même par là.
Aujourd’hui il est quasiment impossible de vendre à l’étranger un tableau abstrait de l’école de Paris des années 1950, en dehors de quelques pays francophones et frontaliers comme la Suisse, le Luxembourg ou la Belgique. Aux États-Unis, on refuse purement et simplement cette peinture. Il est très difficile de défendre nos artistes des années 1960-1970-1980 et les contemporains à l’étranger, l’étranger signifiant avant tout les États-Unis, c’est-à-dire le relais principal du succès pour un artiste.
Emmanuel Perrotin vient justement d’y ouvrir une galerie, tout en emménageant dans un espace prestigieux à Paris. Est-ce l’exemple à suivre ?
Je suis un observateur de l’art contemporain plus qu’un acteur, mais j’ai un regard de collectionneur. Je me suis rendu compte ces cinq dernières années que nos galeries d’art contemporain étaient de plus en plus dynamiques et qu’elles commençaient à avoir une très sérieuse reconnaissance à l’étranger, ainsi que les artistes qu’elles présentent. Aujourd’hui Emmanuel Perrotin quitte le 13e pour se mettre à l’aise dans un superbe espace rue de Turenne. C’est extrêmement positif qu’il y ait cette dynamique d’un jeune marchand qui a une réelle résonance à l’étranger. Quand on voit ce qu’il fait à Miami, on a là l’un des rares acteurs français qui est en train de prendre pied aux États-Unis avec une certaine intelligence et, j’espère, avec du succès. Si les artistes d’Emmanuel Perrotin fonctionnent aux États-Unis, cela bénéficiera aussi à ceux d’autres galeries. On ne peut qu’espérer que d’autres passerelles se mettent en place aux États-Unis.
Cette année, Art Paris va se tenir en mars. Avez-vous le sentiment qu’il y a à Paris la place pour deux foires importantes d’art contemporain ?
Les foires sont devenues importantes dans la vie d’une galerie. D’abord parce que notre espace-temps est limité. Nous ne pouvons organiser que cinq expositions par an. Le nombre d’artistes représentés par la galerie nécessite d’en faire un peu plus. Nous gérons en tout cas dans des foires un certain nombre d’expositions que nous aurions pu faire à la galerie. L’avantage de la foire est qu’elle draine un plus large public. Partant de ce principe, deux foires dans l’année, l’une au premier semestre et l’autre au second, cela me semble bienvenu à Paris. Les tendances des deux salons vont se mettre en place de manière plus claire avec ce déplacement de Art Paris. Sa stratégie est de rentrer un jour au Grand Palais. La dimension de la foire le permettra. Nous avons décidé d’y aller en tant que Galerie Louis Carré. Art Paris va en revanche concurrencer des foires qui avaient lieu à la même époque.
Le Grand Palais vous semble-t-il une étape essentielle ?
Chaque foire se doit d’avoir des nouveautés. La FIAC ou Art Paris peuvent revenir au Grand Palais. Il est très important qu’il soit remis à la disposition des professionnels. La FIAC s’y est installée sous la pression du Comité des galeries d’art et de Daniel Gervis qui en était alors vice-président. J’espère qu’elle reviendra au Grand Palais et qu’elle redonnera tout son prestige à Paris. Les halls de la Porte-de-Versailles sont magnifiques, très professionnels pour y travailler, mais pour les étrangers qui viennent à Paris, il n’y a aucune comparaison possible avec le Grand Palais.
Une exposition vous a-t-elle marqué dernièrement ?
« Jean Hélion », à Beaubourg. L’exposition est malheureusement dans le petit espace, mais elle a été très bien conçue puisque l’on y traverse l’œuvre d’Hélion avec des constantes. Cela donne un regard sur une œuvre que beaucoup de gens ne connaissent pas bien. J’avais quelques réticences sur certains tableaux dits « tardifs » d’Hélion, et cette exposition m’a permis d’avoir un regard différent et de mieux comprendre leur importance aujourd’hui.
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Patrick Bongers, président du Comité des galeries d’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Patrick Bongers, président du Comité des galeries d’art