L’exposition voulue par le Premier ministre ouvre à Paris le 10 mai. Quinze commissaires y présentent leur vision de la scène française, avec une obligation de réussite.
PARIS - On aura rarement autant commenté une exposition avant qu’elle n’ouvre ses portes, et bien au-delà des espérances de ses organisateurs… C’est son initiative même qui nourrit ces commentaires : le projet était rendu public par le Premier ministre lors d’un discours au ton très volontaire tenu en clôture de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC), à Paris en octobre 2005 (lire le JdA no 223, 21 octobre 2005), affichant haut l’importante de la culture dans la politique du gouvernement… Baptisé par la suite un rien pompeusement « La force de l’art », le projet est porté à bout de bras par le ministre et le ministère de la Culture (avec un budget d’environ 3 millions d’euros, soit 2,3 millions net billetterie et parrainage déduits) pour se tenir au Grand Palais, dont Renaud Donnedieu de Vabres a fait un atout de sa politique au ministère. Son côté fait du prince (et d’un prince que le vent de l’histoire immédiate malmène), la brièveté de son temps de préparation et des prises de position frondeuses dans la presse, sur fond de lointain souvenir des confrontations lors de « l’exposition Pompidou » en 1972, tout contribue à une atmosphère pesante autour du projet. Sa réussite seule pourra relativiser l’aveuglante ombre ministérielle : une gageure qui porte aussi sur l’ambition triennale de l’exposition, sur le long terme, donc. Finalement, quinze expositions parallèles, cartes blanches à autant de personnalités confirmées de la scène française, critiques et commissaires, et au moins cinq manifestations complémentaires, le tout coordonné par la délégation aux Arts plastiques (DAP), et en particulier de Bernard Blistène, se partagent l’espace de la nef du Grand Palais. Tous semblent bien sur le papier répondre à l’exigence d’une (œcuménique ?) « pluralité » annoncée pour représenter la situation « en France ». Notons d’ailleurs que si l’argument national est manié avec des pincettes, l’argument du besoin de visibilité de la situation de la scène française est quant à lui partagé par tous.
Considérations politiques
Visible, oui, mais aux yeux de qui ? Au bénéfice de qui ? On sait assez que la bienveillance trop zélée pour l’art sert surtout ses zélateurs, ou qu’elle conduit à la bien dévote esthétisation générale d’un Philippe Vergne présentant son projet (« … ne se satisfaire d’aucune stratégie, à moins qu’elle ne soit esthétique »). Remarquons d’autre part que le projet démontre la difficulté de la mise en pratique des vœux pieux ministériels en matière de partenariats privés, sous-texte omniprésent des resserrements budgétaires qui se profilent : ici, ils représenteront un sixième du budget, si tout va bien… D’ailleurs, s’il y a un procès politique à faire à l’exposition, au-delà de ces six semaines, il tiendrait dans cette suspicion : qu’avec son effet de vitrine elle serve à donner le change sur une politique de déprise, du désengagement incontestablement sensible sur le terrain de l’État dans son rôle historique. Souhaitons qu’une telle inquiétude relève du procès d’intention ; et que les œuvres réunies trouvent quoi qu’il en soit leur public, au-delà des considérations politiques, car dans la situation contemporaine réelle, elles ne sauraient s’y réduire.
Obligation de réussite
Quinze expositions, donc, construites sur des principes très variés, du parcours narratif au regroupement autour d’un médium (la peinture), de la réunion d’artistes « activistes » au thème sensible. Soit, par ordre alphabétique de commissaires : « Interpositions » (Paul Ardenne) ; « Ici, pas là » (Éric de Chassey), « Glissades (être le ministre de sa propre culture) » (Nathalie Ergino) ; « Laboratoire pour un avenir incertain » (Hou Hanru) ; « Heimatlos/Domicile » (Lorand Hegyi) ; « Visions (peinture en France) » (Richard Leydier) ; « Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur » (Bernard Marcadé) ; « Neuf à 12 » (Dominique Marchès) ; « Affiches, livre… Design graphique » (Catherine de Smet) ; « Objectivités » (Daniel Soutif) ; « Écarts » (Anne Tronche) ; « Superdéfense » (Éric Troncy) ; « Le Baron de Triqueti » (Xavier Veilhan) ; « Entre les lignes » (Philippe Vergne) ; « Rose Poussière » (Olivier Zahm). Et encore « Exposer la musique vivante » (Bastien Gallet et Patrick Javault) ; « L’école de Stéphanie » (Stéphanie Moisdon) ; un espace scénique de Niek Van de Steeg ; « La librairie » (Mathieu Mercier et Christophe Jouanlanne) ; les Prix Ricard et Marcel-Duchamp. La programmation entend ainsi ouvrir le champ du contemporain côté musique, côté pensée contemporaine, et même côté gastronomie. Bref, on annonce plus de deux cents artistes, choisis dans le cercle d’intérêt familier des commissaires, sans effet de manches de jeunisme facile, et des recoupements (Lavier est présent cinq fois). Le lieu impose sa dimension à tout, au travers d’un aménagement qui tente de conférer à chaque espace sa définition, du château dominateur et massif de Bernard Marcadé à l’espace éclaté autour de la nef de Hou Hanru, en passant par des boxes en cimaise aux formes sur mesure selon les projets. On passera de labyrinthes quasi intimes à des allées – des rues assez généreuses pour que l’on s’y retrouve. Les artistes sont représentés pour la grande majorité par des pièces préexistantes mais peu vues en France, et souvent choisies avec précision, sans exclusive de médium, du tableau à l’installation. Quelque deux cents artistes, avec sans doute peu de surprises ou de coups d’éclat, et une inévitable dispersion du sens, des sens et des enjeux. Mais, surtout, avec une obligation de réussite : nous y reviendrons.
Du 10 mai au 25 juin 2006, Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi, 12h-20h
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Passage en... Force de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°236 du 28 avril 2006, avec le titre suivant : Passage en... Force de l’art