L’accessibilité depuis Paris et surtout la capacité financière de la collectivité seront décisives dans le choix du site qui accueillera le futur Centre de conservation, de recherche et de restauration des musées de France
Début janvier 2009, la ministre de la Culture, Christine Albanel, devrait dévoiler le nom des deux derniers sites en lice retenus pour accueillir le futur Centre de conservation, de recherche et de restauration des patrimoines en Île-de-France. Le choix final, qui prendra en compte les orientations du projet d’aménagement du Grand Paris, interviendra ensuite assez rapidement pour que le programme soit bouclé fin 2009, l’ouverture étant prévue en janvier 2013. Lancé début juillet, l’appel à propositions a fait le plein en recueillant une quinzaine de candidatures. Le projet, appuyé sur les préconisations du rapport de Bruno Suzzarelli, inspecteur général des Affaires culturelles, consiste à construire un bâtiment de 80 000 m2 pour un coût estimé à 200 millions d’euros (soit 2 500 euros le m2), destiné à accueillir les réserves des musées parisiens situés en zone inondable – le spectre de la crue centennale hante toujours les esprits. À savoir le Musée du Louvre, qui pilote le projet, l’Union centrale des Arts décoratifs (UCAD), le Musée d’Orsay, le Musée de l’Orangerie, le Musée du quai Branly et l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba). Ont également souhaité être associés au projet : le Centre Pompidou, le Musée Picasso, le Mobilier national et le Centre national des arts plastiques (CNAP). D’autres, comme le futur établissement public de la Manufacture et du Musée de Sèvres tenteraient de prendre le train en marche. Selon Hervé Barbaret, administrateur général adjoint du Musée du Louvre en charge des grands projets, le bâtiment sera « tout sauf un lieu de stockage ». Il sera plutôt conçu comme un centre vivant doté d’un pôle de recherche, de formation et de réserves visitables, concept déjà développé pour le Louvre-Lens. Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), qui réclame un agrandissement depuis plusieurs années, est aussi l’un des partenaires majeurs du projet. Son départ du Louvre libérera les espaces du pavillon de Flore, tant convoités par le musée, l’une de ses salles ayant par ailleurs été promise à un mécène d’Abou Dhabi. Seul bémol : Aglae (Accélérateur Grand Louvre d’analyse élémentaire), le célèbre accélérateur de particules du laboratoire qui permet d’analyser les œuvres sans prélèvement, ne pourra pas être déplacé. Une partie du laboratoire devra donc rester dans l’enceinte du Louvre. Si les personnels du C2RMF se sont un temps montrés hostiles à une délocalisation, le programme scientifique actuellement développé et soutenu par leur directrice Christiane Naffah devrait convaincre les plus réticents. L’autre interrogation concerne l’Institut national du patrimoine (INP). Selon un proche du dossier, « sa venue est essentielle à la cohérence du projet ». Il semblerait, en effet, logique d’associer cet institut de formation des conservateurs et des restaurateurs à ce pôle spécialisé. Et de préciser : « le départ de Geneviève Gallot, son actuelle directrice [celle-ci va prendre la tête de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs et quitter l’INP le 11 décembre], devrait faciliter les choses ». Selon nos informations, l’INP projetait déjà, faute de place dans ses locaux de la galerie Colbert (Paris 2e), un déménagement à Saint-Cloud. Dédié aux matériaux constitutifs du patrimoine bâti, le Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH) de Champs-sur-Marne fait lui aussi partie de l’aventure. Le futur centre devrait ainsi permettre de rapprocher conservateurs et restaurateurs, deux métiers qui ont parfois du mal à travailler ensemble (lire p. 20).
Dans les cartons depuis plusieurs années après l’annonce de la menace d’une crue de la Seine pesant sur les réserves de nombreux musées parisiens, la création de ce centre a été proposée par les dirigeants du Louvre dès le début de l’année 2007, en contrepartie du projet d’Abou Dhabi. La Direction des musées de France, représentée alors par Francine Mariani-Ducray, y avait opposé un veto. Le Louvre a donc pris les choses en main et pilote désormais quasiment seul le projet, au prétexte fallacieux que la manne des Émirats le financera (lire l’encadré). Sur la quinzaine de villes ayant répondu à l’appel lancé solennellement en juillet, seuls sept d’entre eux ont pour l’heure été retenus. Parmi les premiers recalés citons Caen, très éloignée de Paris et où, selon le quotidien Ouest France, les élus n’étaient guère informés du projet ; Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or) elle aussi handicapée par son éloignement ; Roissy (Val-d’Oise), où l’on imagine les effets des vibrations des avions sur les œuvres conservées ; La Courneuve (Seine-Saint-Denis) ; Versailles (le projet était porté par un promoteur privé) ; Guyancourt (sur la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines) ; Jouars-Pontchartrain (Yvelines) où la ville proposait le château de Jouars ; le site du pôle logistique de Garonor (à cheval sur Aulnay-sous-Bois et Le Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis) ; et la communauté de communes du plateau de Saclay (Essonne), plutôt tournée vers les nouvelles technologies. Restent encore dans la course : la ville nouvelle de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) ; Neuilly-sur-Marne ; Bondy (Seine-Saint-Denis), qui offre une possibilité ultérieure d’extension foncière de 10 % ; Bagneux ; La Défense, pour un site situé en grande partie sous la dalle ; Nanterre (Hauts-de-Seine) ; et le ticket le plus surprenant, Marne-la-Vallée-Eurodisney (Seine-et-Marne). La Ville de Nanterre se retrouve logiquement dans cette liste restreinte : elle avait proposé dès 2004 l’idée d’une « cité des musées » destinée à accueillir également les réserves des musées de la Ville de Paris. Le projet devant être lancé rapidement, pourquoi ne pas s’être limité à cette possibilité ? « Le projet n’était pas ficelé car un des éléments clefs du dossier est la maîtrise du foncier », explique Hervé Barbaret. Il serait, en effet, situé sur une ancienne emprise ferroviaire. Au cabinet de la ministre, on précise que « le premier critère sera l’accessibilité du lieu ». Cela afin d’apaiser les réticences de certains professionnels et limiter les risques encourus par les œuvres. Le site devra être ainsi situé à une demi-heure au maximum de la capitale en transports en commun. Lors de leurs visites sur chaque site, les experts se déplacent donc avec un chronomètre… Le ministère aurait aussi tenté de proposer de délocaliser le futur centre, en fonction de la refonte de la carte militaire, mesure dont l’Institut national de recherches en archéologie préventive (Inrap) a finalement fait les frais. « Il n’en a jamais été question, dément le cabinet de Christine Albanel, même si cela a pu effleurer l’esprit de certains ».
Un effort financier décisif
La véritable raison de cet appel à projet n’est toutefois qu’un secret de polichinelle. Pour Hervé Barbaret, le choix portera sur la capacité de la collectivité à « fédérer les énergies locales ». En d’autres termes, sera retenue celle qui sera capable de mettre le plus sur la table. Et de poursuivre : « Cela se décidera sur l’appétence de la collectivité et son effort financier ». La collectivité mettra donc à disposition le foncier, mais aussi « les fonctionnalités subsidiaires », c’est-à-dire les autres activités associées, notamment universitaires, qui pèseront sans doute dans la balance. Sur ce point, Nanterre et Marne-la-Vallée partent incontestablement favorites. L’idée de créer un partenariat public-privé (PPP) est une des pistes sérieusement envisagées, le plus traditionnel recours à la loi MOP (relative à la maîtrise d’ouvrage publique) posant pour sa part de sérieux problèmes de délais. Le PPP permettrait de drainer des fonds privés vers le projet, auquel cas Marne-la-Vallée-Eurodisney aurait une belle carte à jouer. Car dans cette affaire, c’est le volet financier qui demeure le plus obscur. Contrairement à ce qui avait été indiqué, le projet ne sera pas financé dans son intégralité par la manne des Émirats. « La marque Louvre doit permettre d’en financer une partie, mais rien n’a précisément été décidé pour l’instant », précise-t-on Rue de Valois. Cela alors que la période n’est guère favorable aux investissements, à part pour quelques collectivités fortunées.
Autorisée par le Parlement, la création du fonds de dotation du Musée du Louvre devrait bientôt être sur les rails. En cours d’examen au Conseil d’État, les décrets d’application devraient sortir fin novembre. Le fonds pourrait alors être mis en place au tout début de l’année 2009. Abondé par la cession de la marque Louvre à l’Émirat d’Abou Dhabi, ce fonds consiste à bloquer un capital dont seuls les revenus seront utilisés par le Musée du Louvre (lire le JdA n°272, 4 janvier 2008). Un premier acompte de 175 millions d’euros, à valoir sur les 425 millions d’euros a été versé à la signature de l’accord. Placé en bons du Trésor, il devrait rapporter environ 7 millions d’euros par an, à un taux de 5,5 à 6 %. L’objectif des dirigeants du Louvre est de continuer à l’alimenter par le biais du mécénat pour atteindre un somme de 10 millions d’euros par an. Selon nos informations, cette somme – sur laquelle Bercy a également tenté de mettre la main – sera entièrement dévolue au fonctionnement du Musée du Louvre, alors qu’elle avait été présentée comme devant bénéficier à l’ensemble des musées nationaux. Et notamment, à financer le centre de conservation, de recherche et de restauration des musées, pour lequel l’État doit désormais trouver de généreux partenaires.
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Où iront les réserves des musées ?
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Outre le C2RMF, d’autres laboratoires de pointe dans le champ du patrimoine existent dans l’Hexagone :
Centre de recherche sur la conservation des collections (CRCC), anciennement Centre de recherches sur la conservation des documents graphiques (CRCDG) : unité mixte de recherche du CNRS et du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, créée en 1963 et chargée d’une mission de recherche sur la conservation des fonds d’archives et de bibliothèques, mais aussi sur les collections des muséums
Laboratoire scientifique et technique de la Bibliothèque nationale de France : mission d’assistance et de conseils au personnel chargé de la conservation des collections de la BNF mais répond également aux demandes d’autres établissements
Centre interrégional de conservation et de restauration du patrimoine (CICRP) : situé à Marseille, il remplit des missions de service public contribuant à la connaissance, la préservation et la restauration de biens culturels
DEUX ATELIERS REGIONAUX DE CONSERVATION
Arc’Antique : situé à Nantes et créé en 1989, ce laboratoire est voué à la conservation-restauration d’objets en métal, en céramique ou en verre et moulage, avec une spécialité dans le patrimoine sous-marin
Arc’Nucléart : implanté à Grenoble et né de la fusion, en 1989, de deux laboratoires, il est spécialisé dans la conservation de collections à caractère archéologique ou ethnologique en matériaux organiques humides et secs
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Où iront les réserves des musées ?