Plusieurs enquêtes sont en cours dont la coïncidence risque d’être fâcheuse pour la réputation du marché de l’art hexagonal.
PARIS - La plus spectaculaire des enquêtes visant le marché de l’art, aux répercussions sismiques, est survenue dans la foulée du conflit opposant le milliardaire russe basé à Monaco Dmitry Rybolovlev et le transporteur suisse, devenu consultant et marchand d’art, Yves Bouvier. En février, l’entrepreneur suisse a été mis en examen pour escroquerie et blanchiment à Monaco. Il a reconnu avoir fourni au magnat russe en une dizaine d’années une quarantaine d’œuvres d’art payées 2 milliards d’euros. Si l’on en croit les accusations, Bouvier aurait empoché des commissions pouvant aller jusqu’à 40 % du prix. Lui se présente comme un marchand, libre de dégager une marge qu’il n’aurait pas à justifier.
Le transporteur a été ensuite mis en cause dans une nouvelle affaire, quand la fille de Jacqueline Picasso, Catherine Hutin-Blay, a porté plainte après s’être aperçue que Rybolovlev détenait deux portraits de sa mère, disparus d’un box qu’elle louait en banlieue parisienne. Bouvier a confirmé les avoir vendus au collectionneur russe, tout en indiquant n’avoir jamais soupçonné qu’ils auraient pu provenir d’un vol.
Le propriétaire du garde-meubles, Olivier Thomas, patron d’une société de transit dont la holding est détenue par la famille Bouvier en Suisse, a été interpellé par la Brigade de répression du banditisme (BRB) à Paris. Il s’est défendu en alléguant de la confusion qui régnerait dans l’esprit de la fille de Jacqueline Picasso et n’a pas reconnu les deux portraits. L’affaire s’est compliquée encore quand, comme l’a révélé le Journal des Arts, Rybolovlev a indiqué à Catherine Hutin-Blay avoir aussi acheté à Bouvier 58 dessins de Picasso, provenant du même box. Au début de l’été, personne n’avait été mis en examen, la justice préférant manifestement continuer de rassembler des éléments. Bouvier lui-même n’avait pas encore été entendu. En revanche, un autre de ses associés, Jean-Marc Peretti, a été également interrogé par la BRB. Outre les ports francs, dont Bouvier est le principal opérateur dans le monde, le retentissement est important sur la place de Paris. Bouvier a servi de partenaire à nombre de galeries auxquelles il apportait ses services. Les autorités le soupçonnent d’avoir notamment aidé à des montages d’optimisation fiscale. Mais son avocat, Me Luc Brossollet, tient à préciser « que ses sociétés n’ont jamais eu pour mission d’apporter de conseil fiscal ».
Escroqueries en cascade
L’avenir de certains lieux reste cependant incertain. Ainsi de la nouvelle galerie d’art moderne parisienne Gradiva, restaurée à grands frais, dans laquelle il aurait apporté 5 millions d’euros d’investissement. On peut aussi se demander ce qu’il adviendra de la Pinacothèque ouverte à Singapour par Marc Restellini, avec Bouvier parmi les investisseurs. Cet expert de Modigliani n’a jamais divulgué l’identité de ses investisseurs dans son centre d’expositions privé, la Pinacothèque de Paris. Il assure cependant que Bouvier n’en fait pas partie. À cela s’ajoute le projet d’installer un quartier d’affaires autour de l’art sur l’île Séguin, que le maire de Billancourt avait confié à Yves Bouvier.
Autre affaire monumentale : l’ouverture d’une instruction pour escroquerie à l’encontre de Gérard Lhéritier et de sa société de vente de manuscrits, Aristophil. Après les mises en examen pour escroquerie en mars, les inventaires du fabuleux stock de 135 000 documents se poursuivent. Le mandataire a commencé par licencier le personnel et a vendu en juin l’hôtel particulier de la Salle. Juin était aussi la date limite pour les clients d’Aristophil pour se porter partie civile. En revanche, rien n’était encore arrêté quant au sort de la collection.
Manque de chance décidément pour le marché français puisque, à l’ouverture de l’été toujours, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels a fait une descente chez un grand antiquaire de la place, Jean Lupu. Celui-ci est soupçonné d’avoir pendant des décennies acheté des meubles de style pour les restaurer et essayer de les revendre comme des meubles de l’Ancien Régime. L’antiquaire n’a pas voulu commenter. Et tous les opérateurs se demandent si la réputation de la place de Paris ne risque pas d’être affectée par cette conjonction d’affaires.
Nous avons reçu un courrier de Mr Yves Farin, Président de la SAS LTLD / ART TRANSIT INTERNATIONAL, qui nous demande de publier ce droit de réponse suite notre article intitulé "Nuages sur la France" :
« En réponse à votre article paru dans Le Journal des Arts du 3 juillet 2015, la société LTDL dont le nom commercial est la société ART TRANSIT INTERNATIONAL qui est spécialisée dans le gardiennage et le transport d'objets d'art, souhaite apporter la précision suivante : Monsieur Olivier THOMAS n'est pas le propriétaire, ni le président de la société ART TRANSIT INTERNATIONAL et n'a aucun lien participatif dans cette entreprise. Cette société est une SAS présidée par Monsieur Yves FARIN. »
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Nuages sur la France
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : Nuages sur la France