Deux témoins présents lors de la signature du testament et du trust affirment ne pas avoir pris connaissance des documents qu’ils signaient.
Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, la mort ne l’est pas davantage. Après l’imbroglio de la succession César, celle d’Arman, décédé le 22 octobre 2005, promet une longue joute. Dernier rebondissement en date, les deux témoins sollicités pour la signature le 18 avril 2005 du testament du sculpteur affirment avoir ignoré la nature du document qu’elles ont paraphé.
Ce document fait de Corice Arman, l’épouse de l’artiste depuis 1971, son exécutrice testamentaire et sa légataire universelle. Il valide aussi un trust, créé le même jour pour la gestion de son patrimoine et dont sa femme se révèle être le trustee. Le testament est contesté depuis le 20 janvier 2006 par la fille aînée de l’artiste, Marion Moreau. Celle-ci représente aussi sa sœur Anne Fernandez, sa nièce Madison Arman et l’enfant naturel du sculpteur, Yves Arman. Le contentieux porte surtout sur la question du droit moral, notion inexistante aux États-Unis, et la donation faite à Corice Arman le 30 septembre 2005 de la maison de Vence (Alpes-Maritimes) baptisé « le Bidonville ». « Même si la succession est ouverte aux États-Unis, on ne peut pas déshériter des Français de biens se trouvant sur le territoire français », indique Me Dominique Attias, l’avocate de Marion Moreau. Une loi de 1819 stipule que, dans le partage d’une même succession entre cohéritiers étrangers et français, ces derniers prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus. Infirmée par une jurisprudence de 1956, cette loi ne concerne que les biens mobiliers. Le Bidonville ne figure donc pas dans cette assiette, d’autant plus que, ayant été donné du vivant d’Arman, il échappe à la succession. « J’avais obtenu de Corice Arman que nous évitions de nous battre et que nous trouvions un protocole d’accord, indique Me Pierre Rochelois, notaire de la succession. Elle avait accepté de donner tout ce qui se trouve en France, y compris le Bidonville. Nous n’avions même pas mis comme condition l’arrêt de la procédure menée aux États-Unis. » Une solution que Marion Moreau a refusée en objectant que la majorité des œuvres situées en France avaient été rapatriées aux États-Unis en 2005. Corice Arman proteste, arguant que tous les enfants avaient bénéficié de donations généreuses du vivant de l’artiste.
Bombe ou pétard mouillé ?
L’affaire a pris un tour surprenant en ce début d’année. Mark Allen Robertson, avocat new-yorkais de Corice Arman, avait lancé une « motion for summary judgement » – l’équivalent d’un référé – pour précipiter la validation du testament le 12 janvier. Sauf que, le 10 janvier, il a préféré retirer cette action. Les objections relevées par l’enquête de Robert Wittes, l’avocat américain de Marion Moreau, expliqueraient-elles cette volte-face ? Celles-ci s’appuient sur les déclarations des deux témoins présents lors de la signature du testament et du trust, Allison Hull et Sandra Wise, respectivement ancienne archiviste et secrétaire d’Arman. « Aucune de nous n’a vu Arman signer ; aucune ne savait que nous étions témoins d’un testament ; et nous nous souvenons toutes les deux qu’Arman était assis silencieusement quand Sandra et moi étions dans la pièce, en ne montrant aucun signe qui laisserait penser qu’il était intéressé par ce qui se passait », affirme Allison Hull dans une déclaration datée du 4 janvier 2007. Or, selon le droit américain, les témoins doivent être informés de la nature des documents signés et veiller à ce que les autres signataires le soient également. Ces assertions, qui n’impliquent pas qu’Arman ait été inconscient lors de la signature, feront-elles l’effet d’une bombe ou d’un pétard mouillé ? « Arman n’a jamais été influençable. On soupçonne qu’un défunt a été influencé s’il y a eu un changement de volonté, défend Xavier Nyssen, avocat parisien de Corice Arman. Ce serait le cas sous l’influence suspecte d’une intriguante, pas avec une épouse qui a partagé sa vie pendant trente-quatre ans. » Me Rochelois observe pour sa part qu’une donation entre époux, actée à Paris en 1998, confirmait déjà Corice Arman comme sa donataire. Quelle qu’en soit l’issue, cette querelle pose un problème majeur : elle nuit à l’image et à la cote d’Arman. « Nous sommes dans un monde où l’oubli des œuvres et des gens est extrêmement rapide, observe Daniel Abadie, ancien directeur de la Galerie nationale du Jeu de paume. Si le travail de relecture de son œuvre ne se fait pas maintenant, cela prendra encore trente ans. »
Corice Arman et Marion Moreau se veulent les vestales de l’œuvre d’Arman. La seconde a créé à Genève en août 2006 une fondation de droit suisse baptisée « A.R.M.A.N » (Arman Research Media Art Network). Son conseil se compose de Marc Moreau, homme de confiance de l’artiste et époux de Marion Moreau ; Alain Bizos, ancien assistant du sculpteur ; Olivier Cramer, administrateur suisse de LMA, société qui bénéficiait jusqu’au décès de l’artiste d’un contrat d’exclusivité pour la représentation d’Arman en Europe ; et du galeriste parisien Georges-Philippe Vallois, lequel avait rendu un bel hommage à Arman en janvier 2006. Cette fondation s’est donné pour mission d’organiser des expositions et de publier trois ouvrages. Marion Moreau met toutefois la charrue avant les bœufs, car elle ne pourra mener de telles actions si elle n’obtient pas l’invalidation du trust et une parcelle du droit moral. De son côté, Corice Arman compte créer en février un comité d’experts ou d’amis, structure encore imprécise à ce jour. Elle a déjà rallié le galeriste Pierre Nahon, Denyse Durand-Ruel, en charge de son catalogue raisonné, le spécialiste Jean-Pierre Camard et le notaire Pierre Rochelois. Ce comité devrait organiser des expositions itinérantes à partir de la centaine d’œuvres que le couple a rachetées ces dernières années, publier le catalogue raisonné des multiples et des bijoux, poursuivre les fontes et sans doute produire des certificats.
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Nouveau rebondissement dans la succession
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°251 du 19 janvier 2007, avec le titre suivant : Nouveau rebondissement dans la succession