Éditée depuis 1968, la revue américaine d’art et de science Leonardo est menacée, à la suite d’un conflit juridique avec une société de conseils en création de start-up. Propriétaire de la marque « Leonardo », Transasia demande au site français de la revue six millions de francs de dommages et intérêts, ainsi que l’abandon de l’utilisation du nom.
PARIS - À qui appartient le nom “Leonardo” ? De la Tortue Ninja à la pizzeria, en passant par un programme de coopération européen, sans oublier le génie renaissant exposé au Louvre, nombreux sont les prétendants au titre. Mais propriétaire de la marque “Leonardo”, la société Transasia et ses émanations, Association Leonardo et Leonardo Finance, semblent vouloir faire cesser cette inflation homonymique en assignant pour “contrefaçon de marque” l’association loi 1901 Leonardo, responsable de l’Olats (Observatoire Leonardo de l’art et des technosciences). Elle demande l’interdiction de l’utilisation du nom “Leonardo”, tant sur l’Internet que dans des publications écrites, et réclame 6 millions de francs de dommages et intérêts. Présent sur l’Internet (www.olats.org) depuis 1994, l’Olats est la branche francophone de la revue académique Leonardo, éditée aux États-Unis par MIT Press depuis 1968 (mitpress.mit.edu/leonardo). Elle a été fondée à Paris en 1967 par l’artiste et scientifique Frank Malina, dans le but de promouvoir les rapprochement entre l’art et les nouvelles technologies. John Cage, Nicolas Schöffer ou Frank Popper ont ainsi participé à cette publication. Respectivement forum de “réflexion et de détection de projets” et société spécialisée dans l’“accompagnement des start-up à fort potentiel”, l’autre association Leonardo et son émanation Leonardo Finance, fondées par Yves Delacour, directeur de Transasia, estiment que le référencement de la revue et de l’observatoire sur l’Internet leur porte préjudice, en induisant leurs clients en erreur. Pareille méprise semble difficile à la vue des pages des sites respectifs mais, pour Yves Delacour, les projets sont proches : “Nous sommes titulaires de la marque depuis 1987, et l’objet social de l’association est le renouvellement de l’Europe sur le thème de la créativité”. Proposant des petits déjeuners pour les “business angels” de la nouvelle économie, l’association a pourtant peu à voir avec l’édition de textes et de critiques, même si les termes d’“innovation”, “création”, “invention” ou “réseau” sont aujourd’hui communément utilisés dans les domaines économique et artistique.
Une mobilisation rapide
Après une saisie chez la veuve de Frank Malina à Boulogne, et une demande de dommages-intérêts astronomiques eu égard aux ressources de la revue, Yves Delacour admet des “maladresses” mais précise que des courriers ont été envoyés dès 1997 pour trouver un accord à l’amiable. Responsable d’Olats, Annick Bureaud s’étonne et explique que la seule correspondance reçue réclamait l’arrêt pur et simple de l’utilisation du nom “Leonardo”, à savoir l’abandon d’une revue vieille de trente ans. “Nous avons fait savoir notre incompréhension et aucune nouvelle ne nous est parvenue jusqu’à la saisie, en novembre 1999”, explique-t-elle. Menacée de disparition, la revue Leonardo appelle un soutien financier et moral auquel a déjà répondu l’Association internationale des critiques d’art. L’association Iris (Imaginons un réseau internet solidaire) a pour sa part lancé une pétition en ligne – qui a déjà recueilli plus de mille signatures – pour que Transasia retire sa plainte (www.iris.sgdg.org). Pour Iris, de plus en plus de sociétés “se comportent comme de véritables cancers, en procédant à l’élimination, par étouffement financier, des cellules dont le voisinage consiste simplement à porter le même nom”. Sa responsable, Meryem Marzouki, rappelant que la législation sur le sujet est en train de se faire par jurisprudence, appelle à la plus grande vigilance. Surpris par la mobilisation, Yves Delacour regrette le “tournant idéologique” que prend l’affaire et, tout en reconnaissant la “qualité de la publication”, se dit prêt à un accord visant à éviter toute confusion. La position d’Annick Bureaud est claire : “Aucun de nous n’est opposé à l’élément marchand sur l’Internet, mais on a tous le droit d’exister”.
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Nous sommes tous des Leonardo
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Nous sommes tous des Leonardo