Cinquante ans après sa création, la Culture doit se réorganiser dans le cadre de la RGPP. Cette réforme structurelle du ministère ne saurait masquer une flagrante absence de vision.
Âgé d’à peine 50 ans, le ministère de la Culture semble aujourd’hui bien malade. Depuis plusieurs mois, ses personnels multiplient les manifestations. Leur inquiétude porte un nom : « RGPP », ou révision générale des politiques publiques. Mise en œuvre depuis juillet 2007 par le gouvernement pour « maîtriser et rationaliser les dépenses publiques », selon les propres termes du président de la République, cette vaste réforme de l’administration a pris pour ministère-pilote la Rue de Valois. Elle vise à « moderniser le fonctionnement de l’administration centrale », autrement dit à modifier son architecture administrative pour réduire ses effectifs. Chargée de la délicate mission de mettre en œuvre cette réforme, Christine Albanel considère que la RGPP « redonnera à ce ministère toute sa capacité d’innovation », nous a-t-elle déclaré maintes fois. Cette politique est décriée par l’opposition. Le 5 décembre 2008, devant le Sénat, Jack Ralite (groupe communiste) apostrophait la ministre lors de la discussion budgétaire en ces termes : « En trois ans, 415 suppressions d’emplois sont prévues, qui fragiliseront les femmes et les hommes, chaînons essentiels de la politique culturelle. Si chaque emploi supprimé économise 40 000 euros, on aboutit à 17 millions, soit 0,7 % de crédits qui n’atteignent pas 1 % du budget de l’État. Et la RGPP déstabilise le ministère pour de telles queues de cerise ! ». Mais les décisions ont d’ores et déjà été prises. L’administration centrale en est profondément remodelée, passant de dix à trois directions – direction des Patrimoines, direction de la Création et de la Diffusion et direction du Développement des médias et de l’économie culturelle – et un secrétariat général doté de compétences transversales. Seront donc créés des postes de super-directeurs, coiffant un ensemble de sous-directions. Sur le fond, l’idée d’une réforme du ministère, dont les lignes de contours ont déjà fluctué en cinquante ans, fait plutôt consensus. Dès 1995, Jacques Rigaud en avait fait la feuille de route dans un rapport au ministre Philippe Douste-Blazy, inspiré de son ouvrage, L’Exception culturelle, qui réaffirmait avec force le rôle de l’État en matière culturelle et prônait une « refondation », restée sans suites. L’absence de vision portée dans le cadre de la RGPP, menée avec un sens très relatif de la concertation dénoncé par les syndicats, est vilipendée par l’opposition. « Ce ministère avait des faiblesses réelles, relève Catherine Tasca, ancienne ministre de la Culture (PS) aujourd’hui vice-présidente du Sénat, car il a beaucoup hésité sur ses structures administratives. La relation entre l’administration centrale et les DRAC n’a jamais été bien établie. Par ailleurs, ce ministère n’a pas su former et gérer de façon très efficace ses personnels. » Autant de faiblesses qui ont placé le ministère en position de fragilité face à une réforme pilotée directement par Bercy. « Cette réorganisation me paraît essentiellement inspirée par un souci d’économie et de réduction des effectifs. C’est une potion qui va servir à l’amaigrissement de ce ministère, à sa perte d’influence, mais pas à la rationalisation souhaitable de l’administration. Réorganiser pour plus d’efficacité, cela suppose en effet une certaine clarté des objectifs », poursuit Catherine Tasca.
La quête des capitaux privés
Le ministère de la Culture souffre également d’un problème budgétaire alarmant dans lequel les arriérés de paiement tendent à grever les nouveaux engagements. « Une réforme sans moyens est une déstabilisation de plus, note l’ancienne ministre Catherine Trautmann (PS). On réforme le ministère plutôt que de lui donner les moyens d’agir dans le changement. » Dans les faits, le pilotage de cette réforme absorbe une large partie de l’activité des services du ministère, prié de produire une somme de notes de cadrage. La conduite d’une véritable politique culturelle semble même aujourd’hui remisée au rang des préoccupations secondaires. D’autant plus que les parlementaires multiplient les amendements, remettant en cause, parmi les sujets de prédilection, l’archéologie préventive ou le régime fiscal des monuments historiques. Alors que l’entretien du patrimoine exige un effort financier sans précédent, la Rue de Valois ne parvient pas à obtenir un arbitrage de Bercy, renvoyé sans cesse aux calendes grecques. L’heure est à la mobilisation des capitaux privés destinés à se substituer aux financements de l’État, une collecte qui s’annonce difficile dans les mois à venir. Les « actifs immatériels » du secteur culturel susceptibles d’être monnayés à des pays étrangers en quête de « Made in France » sont passés au crible pour tenter d’alimenter des budgets en récession. Cela, alors que la politique culturelle de la France dans le monde reste aux mains des Affaires étrangères, où elle apparaît souvent comme la cerise sur le gâteau. On peine par ailleurs à croire que la situation économique internationale permettra encore aux capitaux privés d’assurer des jours meilleurs à la culture. Les maigres engagements en faveur de la culture du candidat Sarkozy, qui considère que la politique culturelle est « financée par l’argent de tous mais qu’elle ne bénéficie qu’à un tout petit nombre », auront ainsi vite été balayés. Une fois le vieil argument de l’échec de la démocratisation culturelle ressassé pour tenter d’obtenir une fusion avec l’Éducation nationale – qui aura finalement échoué –, le programme s’est réduit à ce qu’il était : une peau de chagrin. L’expérimentation de la gratuité des musées nationaux s’est heurtée à un double paradoxe : coûteuse pour les finances publiques, elle aurait aussi érigé la gratuité de la culture en modèle, alors que la Rue de Valois bataillait au même moment pour le respect des droits d’auteur et contre le piratage sur Internet. Un discours du président sur son action culturelle était annoncé officieusement pour la rentrée 2008. Il aura été reporté sine die face au primat de la politique étrangère. Pendant ce temps, le ministère de la Culture continue de faire les yeux doux aux industriels de la culture, organisant, à Avignon, ce qui a été qualifié de « Davos de la culture », soit un Forum consacré à la culture comme facteur de croissance économique. À trop vouloir convaincre Bercy, le ministère a pris le risque de réduire la culture à des questions d’ordre purement financier. Un autre volet de son action est resté au point mort. Celui du partenariat avec les collectivités locales, à qui l’on préfère transférer des charges plutôt que de guider les initiatives. L’idée de faire disparaître les DRAC – principal interlocuteur des collectivités –, dans le cadre de la RGPP, finalement écartée, a pu être interprétée comme un signe de mépris et de désintérêt pour le développement culturel territorial. Le ministère missionnaire d’André Malraux a décidément pris un terrible coup de vieux.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Noces d’or en demi-teinte
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : Noces d’or en demi-teinte