De la culture de laitues à la production de formes artistiques, il n’y a qu’un pas que Nicolas Floc’h a depuis longtemps franchi.
Revisitant tous les territoires de la création, le jeune artiste ne cesse de révéler de nouveaux potentiels à des expressions pourtant maintes fois usitées.
Cinéma, productions maraîchères, peintures, chorégraphie, vidéos, scènographie : Nicolas Floc’h est manifestement un touche à tout dont le travail ne semble devoir se satisfaire d’aucune frontière formelle. Bien au contraire, il semble que cette notion même de limite est l’un des principaux moteurs de son inspiration. Frontière physique tout d’abord : dans une de ses premières grandes entreprises artistiques, Ecritures productives qui alliait une dimension très conceptuelle à un penchant très « terre à terre », l’engagement personnel et physique de l’artiste y prenait une place primordiale : non pas à la manière d’un body art revisité, mais plus subtilement, en filigrane, avec l’idée qu’un travail conceptuel n’a de validité que s’il se traduit par un réel ancrage dans la réalité environnementale. Frontière symbolique par ailleurs tant cette pratique semble orientée vers une dissolution des clivages interdisciplinaires et où son travail s’engouffre littérallement à travers de nombreuses brèches iconoclastes et salutaires.
Nicolas Floc’h commence sa carrière artistique en substituant à la notion de Marché de l’art, celle, bien plus vivante et colorée, du marché, du petit commerce où il pourra écouler ses produit-arts dans un climat de grande convivialité. Cette véritable petite entreprise artistico-maraîchère l’amène à produire des légumes à l’intérieur de zones/mots les désignant (le mot tomates donnant des tomates-art) pour ensuite les récolter et les vendre sous couvert d’un processus protocolaire dûment archivé. L’Écriture productive introduisait l’idée qu’une production artistique peut s’actualiser à travers des scénarios complexes mettant en relation de nombreux acteurs intervenants à un moment ou un autre de la réalisation. Se conjugue enfin à cela l’idée qu’une pièce reste inachevée tant qu’elle n’épuise toutes les possibilités de ses infinies transmutations. Une telle logique suppose qu’à l’égard d’autres artistes, il puisse s’autoriser des emprunts destinés à enrichir une production passagère, non primordiale. Ainsi des peintures d’artistes comme François Curlet, Philippe Cognée ou encore Neal Beggs – correspondant à une époque révolue de leur pratique – il a gratté la «surface» afin d’en récupérer le pigment qu’il remet en tube pour des tableaux prêt à peindre (Peintures recyclées). A travers ces « ready painted » cette préoccupation pour le recyclage semble témoigner d’une continuité au sein de la production artistique :
« la création ne s’éteint jamais, elle peut toujours être réactivée, re-présentée sous une autre lumière et peu importe au final la paternité de l’œuvre », suggère-t-il. Ainsi dans une récente série de pièces intitulée Fashion paintings, Nicolas Floc’h a récupéré des chutes de tissu en provenance des ateliers de couturiers célèbres (Christian Lacroix, Shinichiro Hirakawa, la maison Cacharel). En accrochant au mur ces pièces créées initialement pour un autre usage, il procède de la même intention : une création n’est en définitive jamais totalement aboutie, mais porteuse de potentialités presqu’infinies qu’il est toujours possible de mettre à jour dans un va-et-vient stimulant entre les disciplines, au-delà des clivages.
Sans doute, Nicolas Floc’h se situe d’avantage du côté des révélateurs que des producteurs « directs ». En se greffant sur la production en cours d’un long métrage (Novo du réalisateur Jean-Pierre Limousin), il met en lumière ce qui généralement reste enfoui : le hors-champ. En fixant sur la caméra 35 mn trois caméras vidéos pointées vers les côtés et l’arrière du tournage, Floc’h réalise une image incongrue et partiellement taboue, non voulue par le réalisateur du film. Elle révèle cet être ailleurs de l’image cinéma, cette face cachée que l’on préfère généralement ignorer comme on préfère rester dans l’ignorance des trucages du magicien. Le dispositif issu de ces trois prises de vue tente alors de recomposer un monde morcelé dont la réalité semble bien plus improbable que celle de la fiction parasitée
(Novo 3/4).
Mais ce parasitisme d’utilité public se double de son versant symétrique : Nicolas Floc’h produit des objets pour les autres, destinés à devenir des surfaces d’inscription sur lesquelles viendront s’élaborer des propositions connexes, dans une véritable économie ouverte de l’œuvre. Structure multifonction comme son nom l’indique est une pièce à usage et à géométrie variable. Composée d’éléments génériques tels un jeu de lego géant, elle peut littéralement meubler un espace en proposant de multiples possibilités d’agencement et créer l’environnement/réceptacle pour d’autres artistes. En témoigne une production chorégraphique avec Rachid Ouramdane, où elle apparut tour à tour comme décor, objet même du scénario et enfin acteur à part entière. De même que son Fonctionnal floor : sol de plaques métaliques agençables à la fonctionnalité différée d’où émerge littérallement pour l’autre la possibilité de construire du complexe à partir de l’élémentaire, germination métaphorique s’il en est.
Ainsi, de parasite salutaire, l’artiste Floc’h se transforme en producteur d’éléments génériques qui viendront servir la production d’un autre créateur. On sent que cette volonté de détourner une lecture univoque d’une proposition artistique, NF se l’applique à lui-même en intégrant à l’intérieur de ses pièces mêmes la possibilité de ces schèmes évolutifs. De fait, de ses Frac portables et autres Musées portables, qui avant d’être une réflexion sur la standardisation des lieux de monstration, on ne saurait y voir autre chose que des éléments de meccano foncièrement adaptable à la main et au mental du curateur.
À l’instar du personnage d’Anna, dans son film Anna’s life, tourné à Tokyo et portrait d’une ville à travers le prisme de l’héroïne, Nicolas Floc’h agit plus en découvreur de mondes inexplorés. Mais il ne faut pas perdre de vue que l’économie flochienne de l’art induit une dimension de flux et de reflux pour laquelle la grande proximité de la mer dans sa jeunesse n’est sans doute pas indifférente.
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Nicolas Floc’h, à la recherche du potentiel artistique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°539 du 1 septembre 2002, avec le titre suivant : Nicolas Floc’h, à la recherche du potentiel artistique