Natalie Boels : Pour l’art grand public

L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 1490 mots

Une leçon d’histoire de l’art chaque dimanche en prime time sur le petit écran ? Pari tenu. Natalie Boels, une charmante Hollandaise qui a travaillé dix ans pour la communication de la Tefaf de Maastricht se mesure à cette redoutable entreprise. Pour France 2, elle coproduit avec Tim Newman D’art d’art, une émission qui propose de retrouver l’histoire d’une œuvre en une minute trente. Pas moins que ça. Un peu de télé au service des musées : tel est l’ambitieux projet que la jeune femme conduit depuis septembre 2002. Rencontre sur les chapeaux de roue.

D’Art d’art est à l’antenne depuis septembre 2002 sur France 2. Comment cette émission est-elle née et quel bilan tirez-vous de ces premiers pas ?
Un très bon bilan, tant il est vrai qu’à la base, D’art d’art n’était pas un défi si facile à relever. Quand j’ai proposé le projet à Tim Newman, qui avait notamment été le producteur de Rapido sur Canal Plus, le fondateur de la chaîne Spectacle, et qui est de surcroît un grand connaisseur du monde de l’art, il s’est d’emblée montré enthousiaste. C’est lui qui a su mettre en place ce format très efficace : une minute trente pour exposer l’histoire d’une œuvre. Betty Durot et François Tron ont ensuite donné leur accord pour une fréquence hebdomadaire sur France 2, en prime time le dimanche avec une rediffusion le lundi soir. Après la réalisation d’une première série de trente sujets, nous en avons entamé une seconde, de vingt cette fois-ci.
À terme, ce serait formidable de devenir une institution de l’art grand public, comme Sister Wendy sur la BBC.

En France, Palettes demeure la grande référence en matière d’émission télévisée sur l’art. C’était un format plus long, avec des études iconologiques poussées. Avez-vous le sentiment de faire exactement la démarche inverse ?
Pas tout à fait. Nous partageons un même souci pédagogique et un même objectif : faire découvrir et aimer les Beaux-Arts. C’est notre cible qui change, car notre audience, après le vingt heures du dimanche soir, est évidemment incomparable. N’étudier que l’œuvre en soi et ses enjeux esthétiques, sans une dimension ludique ni recours à l’anecdote, ne peut pas toucher un large public. Notre schéma répond donc d’abord à une lourde exigence : intéresser entre six et sept millions de téléspectateurs, quels que soient l’âge, le sexe et le milieu social.

Et cela est aussi difficile que de s’adresser à quelques spécialistes, non ?
Absolument. Il faut rendre accessible ce qui, dans un premier temps, peut passer pour rébarbatif. Nous devons donner du plaisir et éveiller la curiosité des gens. Pour y parvenir, nous essayons d’abord de trouver une accroche forte. Un élément artistique, historique, contextuel doit capter immédiatement l’attention du téléspectateur. Cela passe parfois par des questions très simples : par exemple, pourquoi Picasso s’est-il mis à peindre en bleu ? En commençant ainsi l’analyse de La Mort de Casagemas, nous faisons référence à la période la plus célèbre de l’artiste pour aborder ensuite le suicide de son meilleur ami et le traumatisme qui lui en est resté. Partir d’une interrogation naïve sur un aspect connu donne l’occasion de mettre ensuite le doigt sur une facette qu’ignore le grand public. La chute a elle aussi une fonction capitale. Elle est déterminante quant à l’image qui va rester de l’œuvre dans l’esprit du téléspectateur. La belle phrase de Malraux sur L’Européenne ou la part de mystère qui entoure encore la formule du bleu de Klein suscitent nécessairement l’envie d’aller plus loin, et c’est pourquoi, lors du générique de fin, nous donnons les indications sur la localisation des œuvres, qui sont aussi sur le site internet.

Y a-t-il déjà des spécialistes qui se sont manifestés pour faire des reproches à l’émission ?
Aucun. Bien évidemment, on pourra reprocher à l’émission de se montrer un peu réductrice, parce qu’elle fait la part belle à l’anecdote, parce qu’elle n’aborde des chefs-d’œuvre que sous un aspect ou parce qu’elle évoque très peu leurs auteurs. Mais cela revient à reprocher à l’émission son parti pris même. Notre objectif n’est pas d’asséner un point de vue univoque, mais de donner goût à l’art par un biais qui soit à la fois amusant et scientifiquement exact.

Quel est exactement le rôle de Frédéric Taddéi, le présentateur de l’émission ?
Il est double. Il assume d’une part un rôle de narrateur qui permet au téléspectateur de s’identifier à celui qui livre ses commentaires sur l’œuvre, ce qui est impossible avec une voix off ou avec un spécialiste qui changerait à chaque fois. Frédéric tient d’autre part une place très importante dans l’orientation du contenu rédactionnel.

Parlons de ce contenu. Qu’est-ce qui le détermine ?
C’est la pertinence de l’accroche qui oriente l’angle de l’analyse. De ce fait, le point de vue porté sur l’œuvre choisie est très varié. Nous pouvons nous focaliser sur l’histoire de l’œuvre – sa genèse et sa fortune – comme pour La Danse de Carpeaux, ou simplement sur une anecdote autour d’un tableau, tel le vol de La Joconde. Il arrive même que nous ne traitions pas vraiment l’œuvre en soi mais son sujet, comme c’est le cas pour le paravent japonais : L’Arrivée des Portugais. Et puis, bien sûr,
nous portons souvent un regardiconographique.

Qui choisit les œuvres que vous traitez et quels sont les critères essentiels de la sélection ?
C’est moi qui les choisis avant de les soumettre à l’avis de la rédaction et de France 2. Le critère premier, c’est la localisation. Les œuvres doivent être sur le territoire français et libres d’accès, de façon à ce que le public puisse les voir de ses yeux. Nous essayons tant que faire se peut d’échapper à la domination des musées parisiens où est situé un grand nombre de pièces maîtresses, mais il faut reconnaître que c’est difficile. Nous cherchons par ailleurs à trouver un équilibre entre des chefs-d’œuvre célèbres et des exemples plus méconnus, du moment que ceux-ci révèlent des éléments intéressants, susceptibles d’attiser la curiosité du téléspectateur. Il n’y a pas non plus de frontière en deçà ou au-delà d’une époque.

Cela signifie-t-il que des œuvres contemporaines, réputées moins accessibles, peuvent trouver leur place dans l’émission ?
Parfaitement, bien qu’il faille signaler plusieurs limites en la matière. Les droits, d’abord. Grâce à nos précieux partenariats avec la RMN et l’ADAGP, nous n’avons pour l’instant rencontré aucun souci de cet ordre, mais notre budget ne nous permettrait aucune dépense pour l’acquisition de droits. La localisation, ensuite. Il faudrait que l’œuvre soit située dans une collection permanente d’où elle ne bouge pas. Le support, enfin. D’art d’art est ouvert à tous les supports figés : peinture, sculpture, photographie, façade, installation etc., mais l’art contemporain s’appuie beaucoup sur la vidéo, internet ou les performances qui, par définition, s’inscrivent dans le temps et ne sont pas compatibles avec notre format. Toutefois, malgré ces quelques points, la porte n’est pas fermée, loin s’en faut. Je signale au passage que nous avons déjà abordé la question complexe de l’art conceptuel avec la Fontaine de Duchamp.

Le décor de l’émission, constitué de trois niveaux beiges reliés entre eux par des escaliers sur un fond blanc, est virtuel et très dépouillé. On pourrait même le qualifier de « neutre ». Pourquoi avoir fait un tel choix ?
Je crois que, grâce aux talents conjugués de notre directeur artistique, Fabrice Hourlier, et de notre réalisateur, Bruce Lassaux, D’Art d’art a acquis une vraie identité visuelle. L’important pour nous, c’était de familiariser très vite le téléspectateur à cette identité sans jamais altérer la mise en valeur de l’œuvre. Cette neutralité permet par ailleurs de traiter n’importe quelle œuvre, de n’importe quel siècle, sans jamais se heurter à une inharmonie patente entre son aspect et celui de notre décor.

Cependant, les variations de la dimension de l’œuvre dans un décor virtuel, dont la seule échelle réelle est le présentateur, peuvent parfois donner l’impression qu’une petite toile, comme Le Verrou de Fragonard, est aussi grande que Le Radeau de la méduse...
Sincèrement, je ne le pense pas. Nous veillons à ce que l’œuvre soit d’abord présentée en situation, face à des spectateurs. On se fait ainsi d’emblée une idée juste de ses dimensions réelles. Il est vrai que, par la suite, l’échelle peut paraître faussée, mais nous faisons en sorte d’ouvrir et de conclure l’émission sur une perception correcte du format.

Avez-vous un numéro préféré depuis que l’émission a été lancée ?
Les émissions sont, au fur et à mesure, de plus en plus faciles à faire, tant sur le plan de la réalisation que sur celui de la rédaction. C’est donc un plaisir renouvelé à chaque fois. Mais je dois avouer avoir un petit faible pour les têtes du roi de Judas. Le meilleur reste cependant à venir : un excellent numéro sur les Ten Lizes de Warhol est programmé pour l’été.

D’art d’art est diffusé chaque dimanche à 20 heures 35 et rediffusé le lundi en soirée. Les archives de l’émission sont disponibles sur www.france2.fr.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Natalie Boels : Pour l’art grand public

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