Après avoir dirigé de 1990 à 2002
Fri-Art, le centre d’art de Fribourg, en Suisse, Michel Ritter est le nouveau directeur du Centre culturel suisse à Paris. Il commente l’actualité.
L’année 2002 s’est achevée avec la vente aux enchères des derniers éléments de l’Expo.02, et notamment celle du Monolithe de Jean Nouvel. Rétrospectivement, quel bilan tirez-vous de cette Expo.02 qui a eu lieu sur les lacs en Suisse ?
Un bilan très positif à bien des égards. Du côté de l’art actuel, nous avons fait un pas de plus, franchi une nouvelle étape. L’Expo.02 a réuni beaucoup d’œuvres d’artistes très contemporains, mais ces travaux n’étaient pas présentés comme des œuvres, ils faisaient partie d’un ensemble. Il n’y avait pas le culte de la personnalité. Au départ, cela m’a un peu offusqué parce que je me disais que c’était le bon moment pour faire connaître tous ces artistes. Mais, après réflexion, assez courte je dois dire, je me suis dit : “Mais non, c’est vraiment bien, parce que les gens regardent l’œuvre et ne regardent pas les noms. Ils vont comprendre un processus, une démarche, une façon de penser au lieu de retenir le nom de tel ou tel artiste.” Ensuite, les gens feront eux-mêmes le chemin pour retrouver tel ou tel artiste. Maintenant, je crois que ce public pourra avoir un accès beaucoup plus facile à la création contemporaine par le fait que ces créateurs étaient présentés dans le cadre d’une exposition nationale, où tout le monde se sent concerné parce qu’elle est liée à une forme d’identité nationale.
Pendant de nombreuses années, vous avez été directeur de Fri-Art, le centre d’art contemporain de Fribourg en Suisse. Aujourd’hui, vous venez de prendre vos fonctions de directeur du Centre culturel suisse. Quelle sera la différence entre votre programmation parisienne et celle que vous avez réalisée auparavant à Fribourg ?
Je me réjouis de présenter ce que je ne pouvais pas tout à fait faire à Fribourg pour de multiples raisons, la principale étant qu’il n’y avait pas le public. Je veux mélanger les disciplines, proposer une programmation multi- et interdisciplinaire. Je suis passionné par la façon dont les problématiques artistiques sont abordées suivant les disciplines. C’est pourquoi la programmation ne s’articulera plus autour d’“expositions” mais plutôt autour d’“événements”. Dans le premier événement, j’ai essayé de mettre en parallèle, de trouver des relations croisées entre les disciplines en tentant de faire un tout. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment les disciplines abordent un même sujet. Après, c’est au public de puiser l’information qui lui est offerte. Pour le troisième événement, je vais encore faire quelque chose de différent ; je vais mélanger les sens, la vue, l’ouïe et le goût, et essayer de proposer diverses sensations. J’ai déjà tenté de telles expériences à Fri-Art. Je ne suis pas le seul à m’y intéresser puisque cela fait partie de préoccupations actuelles dans le domaine de l’art.
Organiserez-vous moins d’expositions monographiques ?
Pas forcément. Au départ, je souhaiterais sensibiliser les gens aux choses que nous pouvons aborder, justement, avec le multidisciplinaire. Je pense que le quatrième événement sera une exposition monographique reliée à d’autres disciplines. Il faut trouver les liens.
Actuellement à Paris, un projet va justement à l’encontre du pluridisciplinaire, puisqu’il est essentiellement axé sur la photographie, avec la réunion à la Galerie nationale du Jeu de paume d’un ensemble d’institutions autour du Centre national de la photographie. Que vous inspire ce projet ?
Disons qu’il y a différents accès, c’en est un, et je ne peux pas dire qu’il n’est pas bien. Mais cela m’intéresse moins. À l’heure actuelle, des mutations énormes se passent dans la société. Nous devons aborder des problématiques comme la mondialisation, en même temps que l’on doit défendre le local, le contextuel, c’est-à-dire qu’il faut prendre en compte ces deux opposés. Lorsque l’on mélange différentes disciplines, chacune doit garder sa spécificité, autrement cela devient un melting-pot qui n’est plus du tout intéressant. Il faut essayer d’augmenter la caisse de résonance de chacun de ces domaines. Je suis dans cette problématique, qui m’intéresse et me passionne, par rapport à la situation actuelle de la société, de comment nous vivons dans la société, dans la ville, etc. Par exemple, je ne réfute pas du tout les formes de présentation traditionnelles, j’aime aller dans un musée pour voir le même tableau à la même place. Suivant mon humeur, je perçois l’œuvre différemment. Je veux essayer de trouver de nouvelles formes de présentation sans renier ce qui a été fait jusqu’à présent, et je m’appuie notamment sur les expériences qui ont été faites ces dernières années dans le domaine de la musique. Il y a une quinzaine d’années, j’étais assez étonné de voir les nouvelles générations écouter les mêmes disques que moi. Puis, tout d’un coup, des musiciens ont commencé à mélanger les sources, comme Christian Marclay l’avait déjà fait vingt-cinq ans auparavant. En mêlant différentes sources, on arrivait à recréer de nouveaux sons. Je ne dis pas que je vais trouver une nouvelle forme d’art, mais je vais tenter de trouver quelque chose qui est différent dans la manière de le percevoir et de le présenter. Il existe aussi dans les arts visuels une nouvelle imagerie qui vient de l’informatique, des formes et des images totalement simples mais que notre esprit ne pouvait pas concevoir sans l’outil informatique. Il nous offre des formes d’une simplicité vraiment incroyable. Toute la révolution n’est pas là-dedans, mais nous pouvons apporter quelque chose de différent.
En France, nous fêtons en 2003 le vingtième anniversaire des Frac, des institutions un peu atypiques dans le paysage culturel national et même international. Quel regard portez-vous sur ces institutions ?
Un regard très positif, même si je ne connais pas tous les Frac et que je les vois superficiellement. Ce qui est très positif, c’est cette décentralisation de l’information. Pour apporter quelque chose à la société, il faut apporter de l’information partout et pas seulement dans les capitales. Il faut une diffusion dans tous les domaines ; ensuite, l’ensemble de la collectivité peut commencer à se poser des questions par rapport à sa situation et ses spécificités. Dans ce sens, les Frac sont une forme de décentralisation très positive. Peut-être que chaque Frac devrait même trouver une spécificité bien à lui. À Fri-Art, j’ai fait des choses que je ne pourrais plus jamais refaire, et certainement pas à Paris. Julia Scher a ainsi travaillé dans la rue en mettant des caméras à la gare et dans des bars. Ici, elle n’obtiendrait jamais l’autorisation de le faire. J’ai utilisé la particularité d’une petite ville. Il faut aussi toujours s’adapter au lieu. Chaque endroit a sa spécificité, il ne faut pas essayer de faire la même chose partout, c’est une grande erreur. Maintenant que je suis à Paris, je vais travailler avec la spécificité de cette capitale qui offre beaucoup.
Une exposition vous a-t-elle particulièrement marqué ces derniers jours ?
Rodney Graham à la Kunshalle de Zurich. Cette exposition m’a vraiment touché. Quatre installations y mélangent films, photographies et sons. Ces installations sont plus que des objets, elles sont comme habitées : c’est ce qu’il faudrait arriver à faire à chaque fois. Quant à Paris, je dois dire que la superposition et l’articulation entre la retrospective Picabia et celle de Matthew Barney au Musée d’art moderne de la Ville étaient un délice.
L’exposition-événement “Mursollaici”?, du 18 janvier au 30 mars au Centre culturel suisse, 38, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 38 38.
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Michel Ritter
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°162 du 10 janvier 2003, avec le titre suivant : Michel Ritter