Homme de culture et de télévision, Michel Field anime à partir du mois d’octobre « Field dans ta chambre », une nouvelle émission littéraire sur Paris Première. Il commente l’actualité.
Sur Paris Première, vous animez à partir du mois d’octobre une émission hebdomadaire littéraire intitulée “Field dans ta chambre”. Jean-Jacques Aillagon s’est plaint à plusieurs reprises du manque d’émissions culturelles sur France 2 et France 3. Depuis votre passage sur France 2 avec le “Cercle de minuit”, comment jugez-vous l’évolution de ce type de programmes sur les chaînes publiques et, plus avant, sur l’ensemble des chaînes ?
Sur les chaînes privées, ces émissions sont réduites à la portion congrue. Elles n’intéressent pas beaucoup les annonceurs, peut-être à tort d’ailleurs si l’on pense l’audimat en termes qualitatifs. Sur TF1, il faut donc l’obstination d’un Patrick Poivre d’Arvor et sa position de force pour maintenir “Vol de nuit” contre vents et marées. M6 a longtemps nourri un serpent de mer dans ce sens. Il y a déjà cinq ou six ans que Jean Drucker m’avait dit rêver d’une émission de deuxième partie de soirée ouverte à tous les modes culturels. Ils ne l’ont pas encore fait. Sur Canal , la régression a été terrible pour ce type de rendez-vous. Le travail sur l’art contemporain de Brigitte Cornand – par ailleurs l’une de mes chroniqueuses au “Cercle de minuit” – était exemplaire. Mais on voit bien que ce n’est pas la direction prise aujourd’hui par Canal . Alors voilà, il reste quelques chaînes du câble et du satellite. Pour le coup, Paris première est une sorte d’”oasis culturelle”, un lieu extrêmement encourageant. Mais évidemment, le vrai débat vise les chaînes publiques. Sans polémiquer, il faut constater que les remarques de Jean-Jacques Aillagon sur la culture, mais aussi sur les émissions sociétales, au sens politique du terme, sont justes. Le recul du service public est évident, et le coup de semonce n’est pas mal venu. Cela va obliger tout le monde à se livrer à un petit examen de conscience avant, sans doute, d’améliorer les choses. Dans la polémique qui m’avait opposé au service public, au moment de mon départ, il y avait des phrases entières identiques mot pour mot aux déclarations du ministre. Pourtant, nous avons une optique différente, et venons de mondes très différents. C’est bien la preuve que l’on met le doigt sur un symptôme.
Annulation de l’Exposition internationale de Saint-Denis, lancement d’audits et d’études sur quelques-uns des chantiers en cours (Cité de l’architecture et du patrimoine...), la politique des grands travaux semble être derrière nous. Comment ressentez-vous les orientations culturelles du nouveau gouvernement ?
Jean-Jacques Aillagon est forcé d’improviser la théorie du budget qui lui est propre. Forcément, il aurait aimé avoir un budget plus important. À partir de ce moment, il lève un lièvre : les crédits de fonctionnement du ministère méritent un audit. Entre les décisions prises et leur mise en œuvre, il y a sans doute de la déperdition et des nécessités de rationaliser. C’est un peu comme la vie, il y a des périodes d’ouverture, et d’autres où l’on se renferme un peu, où l’on réfléchit. Cela correspondait peut-être à Mitterrand, mais une politique des grands travaux dissonerait avec le discours de Jean-Pierre Raffarin. Les politiques culturelles des gouvernements leur répondent. Dans le meilleur des cas, elles en sont le supplément d’âme, mais il faut qu’elles s’accordent avec le gouvernement. Aujourd’hui, l’heure est au terrain, à la modestie... La personnalité ouverte de Jean-Jacques Aillagon est toutefois un bon signe. Il faut espérer échapper au côté revanchard qui accompagne les victoires politiques jusque dans les plus petits maillons de la culture. Les animateurs culturels, les directeurs de théâtre des villes moyennes et d’autres acteurs locaux sont ceux qui souffrent des tensions politiques. Enfin, même si le ministère de la Culture ne prête pas le flanc à cette critique, la tentation d’un retour à l’ordre moral est inquiétante.
Votre parcours vous a amené à traiter de culture mais aussi de politique. Justement, comment jugez-vous le rapport entretenu aujourd’hui par les hommes politiques avec la culture ?
C’est une question de personnalités. Il y a quelques personnes pour qui le rapport à l’art et à la culture est nécessaire et constant. Mais elles sont rares. Leur emploi du temps fait que les hommes politiques voient très peu de choses, sortent très peu. Ils parlent beaucoup de télévision, mais, pour la plupart, ils ne la regardent jamais. C’est toujours des propos rapportés, des “on m’a dit que”. Ce rapport au deuxième degré peut entraîner des jugements hâtifs. Quand Christian Jacob, secrétaire d’État à la Famille, prône l’interdiction de Rose bonbon, le roman de Nicolas Jones-Gorlin, il va de soi, dans ses déclarations mêmes, qu’il ne l’a pas lu. Ça, c’est inquiétant ! À un moment donné, il faut restituer à l’objet culturel sa spécificité. Il est extrêmement grave de prôner l’interdiction d’un roman, et on ne peut pas le faire avec une telle légèreté. L’expression “roman pédophile” est ridicule. Il n’y a pas plus de “roman pédophile” que de “roman criminel” parce qu’on y parle d’assassins, ou de “roman toxicomane” parce qu’un personnage prend de la drogue. Il faut être vigilant. Les politiques doivent laisser à la création culturelle, surtout quand elle est choquante, sa spécificité.
Dans ce rapport entre hommes politiques et culture, on a souvent parlé du “fait du prince”. Est-ce qu’aujourd’hui la communication ne serait pas ce qui prime ?
Oui, il y a une prime aux formes les plus “médiatisables”. Lors de la rentrée littéraire, j’ai été frappé de l’émergence d’un nouveau genre, le “roman show-biz”. En choisissant d’écrire sur le show-biz, des jeunes romanciers semblent anticiper le bon accueil que la télé va leur faire. Ça n’a pas manqué : le premier roman présenté par “Campus” était One Man Show, de Nicolas Fargues. Ce rapport spéculaire et spectaculaire est assez dangereux. Sur le plan culturel, les petits ruisseaux qui abreuvent la vie culturelle quotidienne, comme le théâtre de rue, sont souvent ceux qui sont ignorés des grandes décisions budgétaires. La marginalité ne doit pas exclure des coups de pouce et des aides.
Justement, les squats d’artistes parisiens ont organisé, en collaboration avec le Palais de Tokyo, une série d’événements qui visent à promouvoir leurs actions. Ce type de lieux est une réponse directe au manque d’ateliers et de lieux consacrés à la création dans la capitale. Comment jugez-vous la place laissée aux arts au sein de l’espace public ?
C’est l’objet d’une vraie tension. On verrait mal une politique officielle accaparer ce type de manifestations, car celles-ci n’ont d’autre identité que la marginalité. Mais, entre subventionner et expulser, il existe une politique de bienveillance, de discussion, de dialogue, une façon d’accepter que cette marge s’inscrive dans la ville comme une de ses dimensions. Une dimension marginale mais indispensable.
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
À ma grande honte, j’ai raté l’exposition Van Eyck à Bruges. Je suis un fou de l’art flamand, et tous mes amis en sont revenus éblouis. C’est un regret. Mon émission va bientôt être sur les rails, et je vais pouvoir recommencer à visiter les musées. Je dois avouer que la dernière manifestation que j’ai vue, c’est “La révolution surréaliste”, qui s’est déroulée au printemps à Beaubourg. C’était magnifique.
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Michel Field
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Michel Field