Justice

Même peine, même tarif

Confirmation des sanctions contre Vranken-Pommery pour la destruction d’une œuvre d’Anita Molinero

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 28 février 2017 - 507 mots

DOUAI - L’appel interjeté par la société Vranken-Pommery, contre la décision du tribunal de grande instance de Lille du 24 septembre 2015, visait à voir diminués les montants des divers chefs de condamnation, sans remettre en cause la responsabilité de la société dans la destruction de l’œuvre Salto Yano, présentée durant l’exposition « Expérience Pommery #10. »

Peine perdue, la cour ayant confirmé le 9 février dernier la valeur de l’œuvre au prix convenu contractuellement entre les parties, avec une légère baisse. Faute de parvenir à démontrer le caractère surestimé du prix convenu, la société doit indemniser l’artiste à hauteur de 111 500 euros au titre de l’atteinte au droit de propriété dont elle était demeurée titulaire.

L’intérêt réel de la présente décision se porte sur l’appréciation du préjudice moral subi par l’artiste du fait de la destruction de son œuvre et sur l’appréciation de l’atteinte à son droit moral. En effet, la cour retient que l’artiste peut légitimement mettre l’accent sur le caractère humiliant de la décision prise par la société, ou plutôt des services de nettoyage diligentés, dans la destruction d’une œuvre, fruit d’un travail de création mené spécialement pour l’exposition organisée par la société. Et ce, même si certains de ses éléments préexistaient à son installation.

Préjudice moral de 8 000 €
De même, le comportement postérieur de Vranken-Pommery, qui n’avait averti l’artiste que plusieurs mois après la démolition de son œuvre, et indirectement par un tiers à l’occasion de la demande en restitution de Salto Yano, est de nature à renforcer ce caractère humiliant. Ainsi, selon la cour, de telles « circonstances sont de nature à aggraver l’amertume que ressent tout artiste à la suite de la perte de l’une de ses œuvres, et justifient que le préjudice moral subi en l’espèce par Madame Molinero en raison de la disparition de l’œuvre Salto Yano soit apprécié à 8 000 euros ». En ce sens, la cour d’appel procède à un rappel heureux des règles de conduite qui s’imposent à une structure d’accueil à l’égard d’un artiste dont l’œuvre est exposée et malencontreusement détruite.

L’atteinte au droit moral pouvant être indemnisée distinctement du préjudice moral, la société tentait de faire valoir que l’artiste avait eu l’intention de détruire son œuvre, ayant envisagé d’exposer certaines de ses composantes au Consortium (Dijon). Mais la cour souligne qu’au regard de la nature de l’œuvre et de sa structure, des éléments pouvaient en être dissociés sans interdire ensuite la reconstitution de l’ensemble. En ce sens, l’exposition prévue ne signifiait pas la démolition irréversible de l’œuvre. Au-delà, la cour rappelle un principe essentiel : « l’atteinte au droit moral tient à l’exercice par un tiers du droit dont est investi le seul artiste de décider si l’intégrité de l’œuvre peut être totalement ou partiellement remise en cause, indépendamment du sentiment ressenti par l’artiste à la suite de l’intervention sur son œuvre ». Seul l’artiste peut décider de porter ou non atteinte à l’intégrité de son œuvre. Et ce droit est absolu, lorsque l’artiste est encore propriétaire de sa création.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°474 du 3 mars 2017, avec le titre suivant : Même peine, même tarif

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