La maire socialiste de Lille, élue en 2001, a fait de la culture un élément de fierté pour les habitants de la métropole et un outil de rayonnement international pour la ville et la région. En même temps qu’une possible réponse apportée à la crise économique.
Fabien Simode : Lille 2004 a été un formidable succès populaire qui a dépassé toutes les espérances. Quelles étaient les ambitions de Lille 2004, capitale européenne de la culture ?
Martine Aubry : Lille 2004 était avant tout, pour moi, l’occasion d’offrir aux habitants de retrouver la fierté de leur région, qui fut une grande région culturelle. Je voulais leur rappeler que la Renaissance en Flandre avait eu lieu chez nous, tout comme le Siècle d’or de Rubens, que nos « géants » et nos grandes fêtes populaires faisaient partie de notre patrimoine. Je voulais leur montrer que nous pouvions, nous aussi, porter la culture. Ensuite, j’avais l’ambition de nous ouvrir sur le monde, c’est pourquoi nous avons invité à Lille, pendant plusieurs mois, Shanghai, Marrakech, ou encore New York…, tout en opérant un retour sur nous-mêmes, à travers notre culture et notre patrimoine. Enfin, Lille 2004 devait nous permettre de partager des émotions avec tous les Lillois. Dans une ville aussi multiple que la nôtre, avec des générations, des catégories sociales et des cultures parfois très différentes, nous voulions que chacun se reconnaisse dans cette grande année culturelle et y trouve sa place. Ce défi, nous l’avons pleinement relevé, car Lille 2004 nous a permis de nous réunir, de travailler ensemble – les enfants des écoles, les personnes âgées, les associations, les Lillois de tous les quartiers… Tout le monde s’y est mis – et de faire la fête. Cette année exceptionnelle, qui a attiré à Lille 9 millions de visiteurs, a créé un véritable élan, qu’avec Didier Fusillier nous avons souhaité poursuivre à travers lille3000.
F.S. : Lille 2004 comptait 18 communes partenaires, contre 77 pour « lille3000 Fantastic ». Cela signifie-t-il qu’en 2012 les choses sont plus faciles avec la communauté urbaine, la Région, l’Eurométropole… ?
M.A. : En 2004, nous nous sommes d’emblée ouverts à l’Eurométropole, à la Flandre et à la Wallonie, avec lesquelles nous avons des liens historiques. Ces liens perdurent et se renforcent. J’ai d’ailleurs présenté récemment notre « pop up design » [une série de manifestations autour du design] que nous avons construit, dans le cadre de « Fantastic » [prochaine édition de lille3000 qui débute le 6 octobre 2012, lire p. 122], avec Courtrai, en Belgique, connue comme une grande capitale du design en Europe, et Tourcoing. Après Lille 2004, les villes de la métropole sont peu à peu venues à nous. Beaucoup ont mesuré combien leurs habitants avaient apprécié cette année d’exception et ont naturellement voulu participer à cette dynamique et aux rendez-vous de lille3000. Aujourd’hui, je suis très heureuse de voir que, partout dans la métropole – dans les villes jusque dans les villages alentour –, les écoles, les chefs d’entreprise, les associations, les commerçants et les habitants se mobilisent… Tout le monde prépare son « Fantastic ».
F.S. : Depuis 2004, la crise économique est passée par là, dans une région déjà fortement touchée par le chômage. La culture peut-elle être une alternative à la crise ?
M.A. : Une alternative, je ne sais pas ; une réponse, sans aucun doute. Pour moi, l’avenir de notre économie passe par la créativité. Je vous donne un exemple : dans les premiers jours de « Fantastic », nous inaugurerons un grand Centre européen des textiles innovants qui regroupera des centaines de petites et de moyennes entreprises de l’Eurométropole. Cette aventure a démarré en 2006 grâce à la culture, avec la grande exposition « Futurotextiles » sur ces textiles de demain qui nous conduiront dans l’espace, nous permettront de réparer des organes, etc. Pour cette exposition, Daniel Buren avait notamment créé pour nous une toile que l’on pouvait accrocher à un mur et qui éclairait en même temps. Nous sommes donc partis de la culture pour aller vers l’économie. Et c’est vrai dans d’autres domaines. À Tourcoing, nous avons deux autres grands pôles économiques, le premier autour du design et le second autour de l’image-culture-média – la Plaine Images – qui compte déjà une cinquantaine d’entreprises et plus de mille emplois. C’est une autre illustration de la culture et de la créativité comme vecteurs d’activité économique. De plus, Lille 2004 a placé Lille et sa métropole sur la carte du monde. Les tour-opérateurs du monde entier nous ont désormais repérés. Quand la presse internationale parle de Lille en ces termes : « Lille, the place to be » [l’endroit où il faut être] pour le Times, ou la « Lille touch » [la touche lilloise] pour le Financial Times, les effets sur l’économie et le tourisme sont bien sûr immédiats. Aujourd’hui, des visiteurs du monde entier viennent à Lille, vont dans nos hôtels, dînent dans nos restaurants, achètent chez nos commerçants… et parfois, même, s’installent dans la région. Ce sont aussi les entreprises qui ont découvert une région énergique et n’hésitent plus à y investir ou à y installer leur siège.
F.S. : Cette nouvelle situation internationale facilite-t-elle les prêts quand il s’agit, par exemple, de faire venir ce mois-ci au Palais des beaux-arts des tableaux de Bosch ou de Brueghel ou d’inviter le collectionneur Charles Saatchi à présenter sa collection en 2010 ?
M.A. : Il est certain qu’il est plus facile de monter aujourd’hui de grandes expositions comme, actuellement, « Fables du paysage flamand au XVIe siècle » à Lille, « La ville magique » au LaM-Villeneuve-d’Ascq ou « Phantasia » au Tri postal. C’est d’abord la collection de François Pinault [exposée au Tri postal en 2007] qui a déclenché l’intérêt des grandes collections – après Charles Saatchi, nous avons accueilli le Cnap en 2011 – pour Lille. Beaucoup d’artistes indiens, turcs ou pakistanais de ces grandes collections étaient inconnus du public. Or, ces artistes contemporains nous conduisent à réfléchir sur notre monde, sur la place de l’individu dans la société, sur la consommation à outrance, sur les discriminations… Autant de réflexions que nous menons à travers notre programme annuel d’expositions. Et tout cela réuni suscite l’intérêt et la réflexion des habitants.
F.S. : Lille 2004 et les éditions suivantes de lille3000 ont permis de redynamiser certains quartiersde Lille, à travers les maisons Folie par exemple. Était-ce dès le départ inscrit dans votre projet ?
M.A. : J’ai écrit un livre lorsque je suis devenue maire, Un nouvel art de ville, dans lequel je défends l’idée que l’architecture est un élément majeur de notre « vivre en ville » et qu’elle doit absolument permettre de mêler les catégories sociales, de redonner de la qualité à l’espace public, de rendre aux habitants une dignité. Notre politique du logement impose d’intégrer dans tous nos programmes résidentiels de plus de quinze logements, 1/3 de logement privé, 1/3 d’accession à la propriété et 1/3 de logement social, ce qui crée de la mixité dans les dix quartiers de Lille. C’est une force. L’un des points essentiels de cette politique est de développer, parallèlement, des pôles d’excellence culturels ou sportifs dans nos quartiers pour favoriser le brassage social. Lille 2004 et lille3000 sont également des occasions de construire de beaux projets. Cela passe en effet par les maisons Folie, mais aussi par ce que nous appelons les « Métamorphoses » : avec « Fantastic », pendant une période de quatre mois, nous métamorphosons la ville avec des œuvres d’artistes installées dans les rues de Lille – vingt-cinq sont prévues – dont certaines seront pérennes. Il est resté cinq œuvres de Lille 2004 à Lille. Depuis, à travers un programme « Lille, ville d’art et d’artistes » initié par la municipalité, l’artiste britannique Kenny Hunter a réalisé une imposante sculpture pour le quartier de Fives, le quartier le plus populaire de la ville. Et, dans quelques jours, nous inaugurerons une œuvre de Pascale Marthine Tayou, un grand artiste camerounais vivant à Gand, dans le quartier de Moulins. À Lille, la culture va vers les habitants, et les habitants viennent à la culture.
F.S. : Le LaM, le LAAC, La Piscine, le MUbA, le Palais des beaux-arts, le Musée de l’hospice Comtesse et, demain, le Louvre-Lens : le Nord-Pas-de-Calais ne risque-t-il pas de voir ses grandes institutions entrer en concurrence ?
M.A. : Au contraire, le Louvre-Lens est un formidable projet que la Région a porté avec le Louvre. C’est une chance pour le bassin minier, pour Lens, pour le Nord-Pas-de-Calais mais aussi pour Lille. La France entière viendra au Louvre-Lens ; les habitants de la région en feront également un lieu de destination. À Lille, nous travaillons d’ailleurs à mettre en place des relations entre le Tri postal et Lens pour organiser des déplacements entre les deux sites. Il n’y a pas de concurrence, je crois au contraire à l’élargissement de la culture, et je m’en réjouis.
F.S. : Le mécénat, très présent en 2004 avec 17 % du budget de Lille 2004, continue-t-il de vous suivrepour « lille3000 Fantastic » ?
M.A. : Nous recevons une aide financière de l’État, de la Région ou du Département, mais relativement modeste. Le mécénat est donc essentiel. Il est présent à hauteur de 40 % du budget de « lille3000 Fantastic ». Tous les grands groupes qui ont signé pour Lille 2004 sont restés à nos côtés. Et depuis, bien évidemment, d’autres mécènes nous ont rejoints : 37 sont partenaires au-delà des 7 grandes entreprises. Nous avons toujours développé un mécénat faisant sens avec l’esprit de l’entreprise pour l’inscrire dans un vrai partenariat avec lille3000 : nous réfléchissons avec ces entreprises à leurs valeurs et aux modalités de leur participation. Le groupe Auchan, par exemple, accueille des œuvres d’artistes dans ses magasins ; EDF mécène toutes les œuvres qui intègrent de la lumière…
F.S. : Dans l’interview qu’il nous accorde, M. Percheron déclare que la Région soutient beaucoup la culture à Lille, au détriment parfois d’autres villes. Que lui répondez-vous ?
M.A. : Lille dépense 14 % de son budget pour la culture, c’est-à-dire 55,9 millions d’euros, dans une ville qui n’est pas riche. Or, je vous ai dit combien la culture était un outil de rayonnement et du « vivre ensemble » lillois, et beaucoup d’habitants de la région viennent à Lille. D’ailleurs, 4 % seulement de ce que nous dépensons pour la culture va à lille3000. Tout le reste va à l’enseignement artistique dans les écoles (23 %), à l’aide aux grandes structures (25 %) et à l’aide aux associations (28 %), qui a été multipliée par deux depuis que je suis maire.
F.S. : Dans quel état d’esprit êtes-vous à la veille de la parade d’ouverture de « Fantastic », le 6 octobre ?
M.A. : Je suis à la fois impatiente et déjà enthousiaste, car je connais bien évidemment tous les projets de cette nouvelle édition. Nous venons d’ailleurs de recevoir les costumes de Jean-Charles de Castelbajac qui animera la parade d’ouverture avec Jean-Claude Casadesus et l’Orchestre national de Lille, ainsi que le plasticien Nick Cave. Tout le monde se prépare, les Lillois confectionnent leur tenue « Fantastic » pour le 6 octobre. On sent partout, dans la ville et dans l’Eurométropole, une fièvre monter. « Fantastic » est sur toutes les lèvres, les commerçants aménagent leur boutique… Il n’y a pas beaucoup d’autres villes où cela se passe ainsi.
« Marc Chagall, l’épaisseur des rêves » La Piscine (Roubaix), du 13 octobre au 13 janvier.
« Fables du paysage flamand au XVIe siècle » Palais des beaux-arts (Lille), du 6 octobre au 14 janvier.
« La ville magique »LaM (Villeneuve- d’Ascq), du 29 septembre au 13 janvier.
« Otherwordly. Optical delusions... » MUba Eugène-Leroy (Tourcoing), du 4 octobre au 7 janvier.
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Martine Aubry - « À Lille, la culture va vers les habitants »
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Abonnez-vous dès 1 €Martine Aubry lors d'un meeting de François Hollande à Lille, le 17 avril 2012 - © Photo Philippe J. - Licence CC BY-SA 2.0
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Martine Aubry - « À Lille, la culture va vers les habitants »