Psychanalyste, sexologue, ex-animatrice de télévision, féministe, progressiste… Marta Suplicy est une figure médiatique, originale et respectée au sein du Parti des travailleurs (PT) de Lula et Dilma Rousseff.
Issue d’une famille de l’aristocratie du XIXe siècle à São Paulo, elle est maire de sa ville entre 2001 et 2005, où elle ouvre notamment des centres éducatifs unifiés (CEUs) dans les quartiers difficiles. Après le ministère du Tourisme en 2007 (où son franc-parler devient légendaire), elle est nommée à la culture en 2012 et use de son influence politique pour augmenter significativement le budget (45 %) et la visibilité de son ministère.
Dans un pays encore très inégalitaire, la feuille de route de Dilma Rousseff est la lutte contre les inégalités sociales. Comment cela se traduit-il dans la politique culturelle ?
Nos deux dernières actions en sont de bons exemples. Le vale-cultura (1), d’abord, donne à ceux qui n’en ont pas les moyens d’accéder à la culture. Les centres éducatifs unifiés (CEUs), répondent au problème de tissu culturel dans les zones défavorisées : on identifie une spécialité, un talent de la région ou du quartier, et ses vecteurs : institution, école, atelier, ce que notre cartographie appelle les « points de culture ». Les CEUs sont des structures qui permettent de les développer. Ainsi, on renforce l’identité culturelle du lieu avec des éléments locaux. C’est à cette condition que la culture est un facteur de développement durable. Il y a aujourd’hui près de 3 000 points de culture référencés.
C’est aussi un moyen de lutter contre l’inégalité des territoires en termes de culture ?
Évidemment. Dans cette optique, la modification de la loi Rouanet [l’équivalent de la loi Aillagon pour le mécénat, ndlr] devrait aussi déboucher sur un meilleur équilibre territorial, en incitant les entreprises à financer des projets en zones prioritaires. C’est aussi le rôle des états : le Système national de la culture, en cours d’adoption par les régions, redéfinit le pacte fédéral et les attributions locales en matière de culture.
Après des décennies de politiques en faveur de la production, est-ce un changement idéologique ?
Nous continuons à encourager la création en facilitant les mécanismes de production. Mais en effet, cette politique de la demande est une posture nouvelle qui suit la ligne du Parti des travailleurs. C’est aussi lié à mon histoire politique personnelle, à la mairie de São Paulo comme au ministère du Tourisme.
En 2013, le programme de grands travaux pour la préservation des villes historiques a enfin démarré. Où en est-il ?
Le programme « villes historiques » du second Programme d’accélération de la croissance (PAC 2, voir page 22) est le plus gros investissement jamais réalisé par un gouvernement fédéral en matière de culture : 1,6 milliard de réaux (556 millions d’euros) investis dans 44 villes. L’enjeu historique, technique et financier est tel que les procédures sont longues pour lancer plus de 420 interventions dans le pays. Mais selon l’Institut de protection du patrimoine historique et artistique (l’Iphan), nous sommes dans les délais, avec dix chantiers majeurs lancés. Notons que 300 millions (90 millions d’euros) supplémentaires sont alloués aux particuliers dont la maison est classée. À Salvador, la mesure devrait permettre de redonner enfin son éclat au Pelourinho, joyau de notre pays. Et par la même occasion de faire changer les mentalités des Brésiliens envers le patrimoine dont ils sont responsables.
Allez-vous financer l’ouverture de nouveaux musées ?
Le Musée afro-brésilien ouvrira prochainement à Brasília. Il vient compléter la mission du Musée Afro-Brasil de São Paulo, en contant une histoire de l’esclavage encore trop peu visible dans notre pays. Aujourd’hui, 52 % de la population se dit afro-descendante. Notre célèbre musique, que nous aimons, produisons et dansons est fondamentalement africaine. Sur les 10 millions d’africains venus avec l’esclavage, 5 millions sont restés au Brésil, quand on parle de 300 000 aux États-Unis. Il faut garder ce chiffre en tête quand on fait de la politique culturelle au Brésil. Par ailleurs, nous « fédéralisons » deux musées régionaux en délicatesse, à Brasília et Salvador.
Les budgets d’acquisition des musées publics sont faibles, cela va-t-il évoluer ?
Il n’y a pas de ligne budgétaire précise pour cela. Mais le nouveau statut des musées, malgré les polémiques qu’il suscite, répond en partie à votre question : lorsqu’une œuvre d’intérêt national est en vente, un musée peut faire appliquer le droit de préemption de l’Institut brésilien des musées (Ibram) et augmenter ainsi sa collection sans avoir à en supporter le budget. Il y a une certaine hypocrisie qu’il faut dissiper quant au côté prétendument « intrusif » du décret : au Brésil, peu de collections privées sont sollicitées pour les grandes expositions, parce qu’il y a d’abord un problème de recensement. Nous ne voulons pas interférer dans le marché, mais simplement savoir où sont les œuvres majeures de notre culture.
Le statut fiscal de l’artiste plastique est différent de celui du chanteur ou de l’acteur. Cela- va-t-il changer ?
La réflexion sur ce sujet est embryonnaire, mais nous y travaillons.
Quelles sont vos mesures phares en termes d’éducation artistique ?
Le programme « plus de culture dans les écoles » alloue 100 millions de réaux (35 millions d’euros) par un système d’appel à candidatures émanant de professeurs d’écoles publiques. Ils organisent des projets culturels avec des enfants de la bolsa familia [dont les parents touchent les minima sociaux, ndlr]. Le même dispositif existe dans les universités, mais pour encourager une programmation culturelle au sein des campus.
Vous parlez souvent du soft power brésilien, en quoi cela consiste-t-il ?
Une de mes priorités est d’associer au Brésil autre chose que le carnaval, la samba et le football. Dans cette optique, la coupe du monde est un handicap… et une incroyable opportunité ! Les succès du Brésil à l’étranger tiennent à sa culture riche, qu’il faut faire rayonner. Aux salons de Francfort ou de Bologne, où le Brésil était à l’honneur [il le sera au salon du livre de Paris en 2015, ndlr], le soutien financier du ministère a été fondamental. Quand plus de livres et de droits sont achetés là-bas, c’est toute une économie qui en profite ici.
(1) Voir page 20. Le vale-cultura , lancé en décembre dernier, est une carte prépayée (par l’employeur, sur demande, contre déduction fiscale) destinée aux bas salaires. Elle permet d’acheter divers biens : livres, presse, artisanat, billets d’entrée pour le théâtre, les musées ou les concerts.
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Marta Suplicy, ministre de la culture du Brésil : « il n'y a pas que le football »
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Abonnez-vous dès 1 €Marta Suplicy, ministre de la culture du Brésil. © MinC.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : Marta Suplicy, ministre de la culture du Brésil : « il n'y a pas que le football »