Marie-Ange Brayer est depuis 1996 directrice du FRAC Centre, dont la collection est centrée sur l’art et l’architecture. Elle est aussi directrice artistique d’ArchiLab, un important rendez-vous de l’architecture contemporaine dont la 6e édition aura lieu à Orléans du 16 octobre au 20 décembre (1). Marie-Ange Brayer commente l’actualité.
Vous revenez de Venise où se déroule actuellement la Biennale d’architecture 2004. Quelles sont les révélations de cette manifestation ?
Personnellement, je n’en ai pas eu beaucoup ! En fait, cette Biennale propose de nombreux architectes déjà montrés à ArchiLab ou présents dans les collections du FRAC Centre. C’est évidemment un panorama intéressant de l’architecture des quinze dernières années, mais qui laisse peu de place aux jeunes, du moins en ce qui concerne l’exposition internationale et la Corderie. Nous sommes en terrain connu puisque l’on peut y voir tous les projets dans le sillage de la déconstruction. Kurt W. Forster, le commissaire, défend depuis très longtemps Daniel Libeskind ; il a donc exposé toute la génération d’architectes dans cette lignée ainsi que les projets liés aux nouvelles technologies. De là son exposition « Metamorph », indiquant une orientation vers les processus de transformation et de mutation de la forme à travers la numérisation. Mais il s’est surtout cantonné à cette génération bien connue d’architectes qui interrogent le langage architectural, comme Peter Eisenman. De ce point de vue, il s’agit d’une biennale sans surprise. Pourtant, à l’intérieur du dispositif scénographique conçu par Asymptote, sont exposés des projets importants de plus d’une centaine d’architectes. Dommage que ce soit essentiellement à travers des maquettes qui s’alignent à l’infini dans l’espace de l’Arsenal. Asymptote n’aura pas bénéficié de moyens financiers suffisants. Sans cela, nous aurions sans doute vu des installations numériques, interactives, beaucoup plus intéressantes. La présentation des maquettes, basée sur un système de rangées de tableaux indépendant du reste, ou du moins isolé, aboutit malheureusement à une interprétation formaliste des projets, même si ceux-ci y échappent dans leur processus.
Et le pavillon français ?
Nous éprouvons peut-être toujours la même difficulté, celle de la confrontation à l’international. Quand Béatrice Simonot et moi-même avons été commissaires du pavillon français, il y a deux ans, nous avions voulu faire au départ une sorte d’ArchiLab miniature, c’est-à-dire exposer des architectes français et étrangers afin de les confronter, de montrer les enjeux, les débats critiques sur un plan international et ouvrir les choses d’une manière un peu plus radicale. N’ayant pu le faire, nous avons choisi de présenter douze jeunes équipes françaises à travers leur interrogation de la notion de « contexte ». Cette année, les Français réunis par Françoise-Hélène Jourda [architecte et commissaire du pavillon français à Venise], ont choisi un dispositif collectif de présentation à partir de la problématique du développement durable, montrant l’évolution d’un quartier dans dix, vingt ou trente ans. Ils ont privilégié la discussion d’atelier, au risque de ne pas valoriser suffisamment leur propre démarche, pourtant singulière pour certains d’entre eux tels Rudy Ricciotti ou Jacques Ferrier. Par ailleurs, c’est encore de manière congrue que les Français sont présents dans le pavillon international ! Parmi les jeunes, on compte entre autres François Roche (R&Sie), Dominique Jakob et Brendan MacFarlane ou encore Manuelle Gautrand.
La remise en question des processus de conception et de production par ordinateur aboutit aujourd’hui à de nouveaux types de formes qui se donnent, dans cette Biennale, sans véritable discours critique. L’exposition de Frédéric Migayrou à Beaubourg, « Architectures non standard » (déc. 2003-mars 2004), voulait pointer qu’il s’agit bien d’un véritable enjeu qui va transformer complètement l’architecture. Le recours aux technologies numériques pourrait déboucher sur la conception d’une architecture qui ne réponde plus seulement à un programme mais devienne elle-même force de proposition. La forme architecturale n’existerait plus a priori, mais s’adapterait à la demande. Or, en France, nous avons tendance à interpréter cela comme n’étant que forme. C’est en tout cas ce qu’on lit dans beaucoup d’articles qui soulignent que ces projets oublient de prendre en compte le contexte sociogéographique, historique… On nous reproche souvent, à ce titre, de ne présenter que des architectes formels, qui ne construiraient pas, détachés de toute réalité. C’est faux bien entendu ! Les architectes sont plus pragmatiques et enracinés dans la réalité que jamais.
ArchiLab n’a-t-il pas en un sens fait évoluer la critique d’architecture en France ?
J’espère qu’il s’est quand même produit une ouverture plus grande à l’international. ArchiLab a permis aux architectes français de regarder ce qui se fait à l’étranger, ce qui n’est pas toujours évident pour eux. J’espère donc que nous avons pu apporter un peu de débat critique et de confrontation à travers les différentes éditions de cette manifestation. Rem Koolhaas est l’un des grands absents de cette Biennale de Venise. ArchiLab 2004, dont Bart Lootsma est le commissaire, part dans une certaine mesure de la question de Rem Koolhaas : qu’en est-il de l’urbanisme ?, existe-t-il encore ? Il a opéré une sélection d’une trentaine d’équipes qui vont porter un regard sur la ville en tant que telle et se demander quelles sont les nouvelles logiques d’appropriation que les architectes mettent en œuvre à partir de l’existant même. À travers son exposition intitulée « The Naked City/La Ville à nu », Bart Lootsma s’inscrit dans le sillage du Situationnisme, de son approche des « situations urbaines », mais le replace dans le contexte actuel de la mondialisation et de la révolution technologique qui ont transformé l’organisation même de la ville. Aujourd’hui, les modes d’appropriation subjectifs à travers l’Internet ou le téléphone portable dessinent de nouveaux réseaux qui tendent à l’emporter sur les traditionnels processus de planification ! Cet ArchiLab montrera une nouvelle génération aux préoccupations très différentes de celle que nous avons pu voir à la Biennale de Venise, dans un contrepoint intéressant.
Justement, avec cette nouvelle invitation, ArchiLab est en train de se transformer en devenant biennale et en accueillant un nouveau commissaire...
Frédéric Migayrou, ensuite Béatrice Simonot et moi-même, avons été commissaires d’ArchiLab pour son lancement. J’en suis maintenant directrice artistique. Quand nous avons débuté ArchiLab, nous nous sommes vraiment appuyés sur les collections du FRAC Centre. Sans cela, nous aurions eu du mal à réunir tous ces architectes. Aujourd’hui, beaucoup de villes à l’étranger veulent développer des biennales d’architecture, comme la Biennale d’architecture de Pékin ou Rotterdam. Il existe donc un intérêt évident pour l’architecture. Reste à espérer qu’Orléans puisse maintenir sa place ! Par ailleurs le commissaire invité vient avec son propre regard.
ArchiLab a encore lieu cette année aux Subsistances militaires. Ce complexe est-il appelé à devenir l’espace permanent de présentation de la collection du FRAC Centre ? Où en est ce projet ?
Il a été quelque peu retardé dans le contexte des élections régionales. Mais le jury devrait se réunir avant la fin de l’année. Nous avons reçu une centaine de candidatures et souvent de jeunes équipes. J’espère vraiment que ce sera l’équipe la plus créative qui l’emportera car il s’agit aussi d’un enjeu symbolique : abriter les collections expérimentales du FRAC et la manifestation ArchiLab. Dans quelques mois, nous connaîtrons les quatre finalistes appelés à proposer un projet. Il est essentiel que le FRAC Centre trouve une enveloppe à la mesure de ce qu’est devenue sa collection, qui a l’ampleur d’un musée de dimension internationale. Nous allons enfin pouvoir la rendre accessible au public. Nous disposerons aussi d’un lieu d’expositions temporaires, d’une galerie d’actualité sur la région, d’un atelier pédagogique, d’un espace de documentation… Nous alternerons de grandes expositions et une multitude d’événements sur Orléans et la région, et prévoyons un déploiement des missions élargies de médiation vers les publics. L’ouverture du FRAC dans ce nouveau bâtiment est prévue pour 2007. D’ici là, il reste encore à créer en France une mise en réseau avec la Cité de l’architecture, l’Arsenal, Beaubourg (Paris) et Arc en rêve (Bordeaux). La France possède une ressource extraordinaire en matière de collections qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays.
Le parti pris des Subsistances est-il plutôt de garder l’enveloppe industrielle ?
En effet, il s’agira essentiellement de rénovation, avec un geste architectural sur l’extérieur de cette enveloppe, qui peut être en interaction avec l’intérieur. Si nous ne disposons pas du budget pour construire, le site des Subsistances présente néanmoins l’avantage d’être situé en plein centre-ville, à proximité de la gare.
Il existe un autre projet qui aurait pu conduire à de la rénovation, c’est celui de la Fondation Pinault, sur l’île Seguin. L’usine Renault historique a finalement été détruite. Que pensez-vous de l’arrivée de ce nouveau musée privé ?
Une collection et la mise en place d’actions intéressantes vont voir le jour, donc pourquoi pas ? Mais il est vrai que, lorsque le concours a eu lieu, le projet de Tadao Ando n’a pas fait l’unanimité. Il va ressembler à un immense paquebot de verre un peu flottant. Mais, quoi qu’il en soit, ce lieu sera très certainement important.
Quelle exposition actuelle a retenu votre attention ?
Celle de Xavier Veilhan au Centre Pompidou. J’ai trouvé que c’était une installation intéressante avec son dispositif de camera obscura, de mise en abîme des niveaux de perception de la réalité, entre « hyperfigurativité » et implosion de l’image. Même si c’est assez démonstratif, il y a une belle maîtrise, déjà sensible dans son installation lors la dernière Biennale de Lyon, en 2003.
(1) www.archilab.org
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Marie-Ange Brayer, directrice du Frac Centre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°199 du 24 septembre 2004, avec le titre suivant : Marie-Ange Brayer, directrice du Frac Centre