Architecte et enseignante à l’École de Paris-Val-de-Seine, Manuelle Gautrand mène actuellement la réhabilitation de l’immeuble Citroën sur les Champs-Élysées et vient d’être choisie pour réaliser la nouvelle aile du Musée d’art moderne de Lille-métropole à Villeneuve-d’Ascq. Parmi ses constructions précédentes figurent le Centre dramatique national du Pas-de-Calais à Béthune et le complexe de “La coupole”? à Saint-Louis. Son intérêt pour les équipements culturels l’amène par ailleurs à préparer une exposition sur le sujet à la Galerie d’architecture, à Paris, en juin. Elle commente l’actualité.
À l’annonce de la création d’une antenne du Centre Georges-Pompidou à Metz, Jean-Marie Rausch, le maire de la ville, a appelé à la création d’un bâtiment aussi marquant que celui du Guggenheim Museum de Bilbao. Dans le même temps, la fondation américaine a annoncé l’arrêt de certains de ses projets, dont celui d’un nouveau bâtiment de Frank Gehry à New York. Selon vous, à quoi doit correspondre le bâtiment d’un musée ? Revêt-il un rôle d’enseigne, de marque ou doit-il s’orienter vers ses collections ?
Il existe des points communs entre Bilbao et Metz : les deux villes appartiennent à des régions autrefois très industrialisées et qui, de ce fait, vivent depuis plus d’une dizaine d’années un déclin assez important. Il est indispensable qu’elles se tournent vers d’autres valeurs pour dépasser ce malaise. Et croire en une dynamique culturelle pour redonner un élan est courageux ; cet élan sera évidemment réussi. Il est regrettable que les élus ne réalisent pas toujours que la culture est un moment incontournable dans une ville. C’est donc une initiative remarquable. Un bâtiment culturel est un lieu indispensable à notre épanouissement, il peut être une locomotive pour la renaissance de Metz, comme le Guggenheim l’a été pour Bilbao.
Si l’on évoque l’architecture de ces projets, on peut dire qu’il existe un double enjeu : créer un lieu public dans une ville, et établir un rapport aux œuvres. Cela doit être à la fois un geste pour la ville et un geste pour les œuvres. Je n’apprécie pas que l’on critique l’architecture dès qu’elle est spectaculaire ou inhabituelle. Cela revient à ne pas supporter que l’architecture s’exprime, qu’elle soit belle, surprenante, émouvante, contemporaine. Un projet peut à la fois réussir le rapport entre l’art et l’architecture et, dans le même temps, le rapport de son architecture avec le contexte et la ville. Je ne veux pas rentrer dans les critiques qui ont été faites au bâtiment de Gehry ; ce projet répond déjà de manière superbe à sa place dans la ville. Pour ce qui est de son rapport aux œuvres, j’y ai vu entre autres une très belle exposition de Nam June Paik, preuve que l’architecture du lieu a su se placer à l’écoute de cette œuvre particulière. Critiquer ce bâtiment revient à dire qu’une architecture forte est arrogante pour les œuvres. Mais le public attend de l’émotion, au contact du lieu tout autant qu’au contact des œuvres, et l’une n’efface pas l’autre. Je souhaite pour Metz un projet aussi ambitieux : qu’il cherche à emporter le public dans un voyage artistique tout autant qu’architectural...
La question de la décentralisation est certes au cœur du projet, mais je ne regarde pas tant Paris et la France que l’Europe. Metz a une place exceptionnelle dans l’Europe, proche du Luxembourg, de l’Allemagne, de la Belgique. Il est évident que c’est un concours qui m’intéresse. Et puis, je suis d’origine lorraine, et pour moi cela a son importance.
Justement, le concours que vous venez de remporter pour l’extension du Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq a trait à des collections d’un type très particulier, des œuvres de l’art brut. Cela a-t-il eu une incidence dans vos conceptions ? Comment voyez-vous l’articulation de cette nouvelle aile avec le bâtiment de Roland Simounet ?
Dans ce projet, comme dans la plupart des autres, il y a ce double enjeu évoqué plus haut, un positionnement par rapport aux œuvres exposées, des œuvres d’art brut, un positionnement par rapport au site et au bâtiment existant de Roland Simounet. L’architecture devra être là pour régler cet entre-deux : enveloppe des œuvres, qui vient se glisser tout contre l’architecture de Simounet. Cette enveloppe est délicate.
D’abord, le voisinage avec le bâtiment de Roland Simounet : je ne connaissais pas son œuvre dans le détail et j’ai eu envie de m’y immerger, non pas pour l’imiter mais pour la comprendre et la réinterpréter. Il y a ensuite les collections. L’art brut est exceptionnel, d’une grande liberté. C’est un art non conçu par des “artistes”, mais, en tant que tel, il est très puissant dans l’émotion qu’il donne. La conservatrice Joëlle Pijaudier nous a fait découvrir des œuvres qui m’ont remuée. Il s’agit donc de quelque chose d’assez extraordinaire, qui véhicule moins d’a-priori. Finalement, cela sera le premier bâtiment neuf en Europe pour une collection de ce type. Nous avons imaginé une succession d’espaces en séquences, tantôt tournées vers les œuvres, tantôt ouvertes sur le paysage. Le site n’est pas très grand, il fallait se rattacher à la première séquence du bâtiment de Simounet, enjamber la seconde et en inventer la troisième.
Ainsi le projet prend naissance de manière sobre à l’arrière du bâtiment de Simounet, puis se déplie et se délie progressivement vers des espaces plus larges et plus visibles lorsque le site le permet. La forme de l’extension est donc un grand éventail, serré quand le terrain ne le permet pas, lâche quand il est plus généreux. Le bâtiment originel est très ancré dans le sol, j’ai essayé de préserver cela, en donnant l’impression que le projet se coule dans les courbes de niveau. L’image est celle d’une architecture organique, comme le sont les racines au pied d’un arbre. Il s’agit en fait de cinq “plis” qui reprennent les proportions de l’architecture de Simounet mais de façon plus libre. Ce travail sur le paysage est complété par des empiècements de végétaux qui enveloppent les extrémités des salles. À l’intérieur, les différentes salles d’art brut seront articulées autour d’une salle pivot.
Jean-Jacques Aillagon a annoncé la création d’une délégation de l’Architecture au sein de la direction de l’Architecture et du Patrimoine. Cette mesure “administrative” vous semble-t-elle répondre aux attentes de votre profession ?
Peu importe la forme. Honnêtement, l’architecture est aujourd’hui dans un triste état. Nous n’y sommes plus sensibles quotidiennement, mais la grande majorité des projets qui se construisent n’attachent plus aucune importance à l’architecture qu’ils produisent. Le logement en est un exemple flagrant, mais il n’y a pas que le logement. La situation est catastrophique, et la réparer, c’est avant tout faire connaître l’architecture au grand public, lui montrer que l’architecture est partout autour de nous, des bâtiments aux espaces vides. Il faut favoriser un apprentissage, une connaissance, une culture qui permette un regard critique sur le paysage urbain et donne les moyens à chacun d’être exigeant. Ce qui me semble positif dans l’annonce de Jean-Jacques Aillagon, c’est que l’architecture pourra prendre une certaine indépendance par rapport au patrimoine. Pour un grand nombre de personnes, l’architecture, c’est le patrimoine, ce sont donc des bâtiments anciens. Mais l’architecture n’est pas que patrimoine, elle a besoin d’être vivante, elle est une discipline en mouvement qui ne demande qu’à s’étendre.
Après une remise en question, le projet de la Cité de l’architecture et du patrimoine a été confirmé et devrait s’ouvrir en 2004. Quelles sont vos attentes pour un tel lieu ? Dans le même temps, cette institution pose la question de la présentation de l’architecture sous la forme de l’exposition.
L’architecture doit s’exprimer à nouveau, partout, et pas uniquement dans un “musée”... Créer la Cité de l’architecture et du patrimoine à Chaillot n’est pas l’essentiel. La Cité de l’architecture et du patrimoine doit être un lieu qui touche le grand public et pas que la profession, un lieu dans lequel le public découvre ce qui ne l‘intéresse plus assez. Mais pourvu qu’un musée ne soit pas l’unique geste envers les architectes... !
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
J’aime les musiques électroniques et j’ai donc naturellement apprécié “Sonic Process” au Centre Georges-Pompidou. Et j’aime aussi aller vers des sujets plus inattendus. Je suis ainsi allée voir “Chevaux et cavaliers arabes” à l’Institut du monde arabe. De prime abord, cette exposition ne m’intéressait pas particulièrement... et j’ai été passionnée. On y découvre un sens esthétique fabuleux.
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Manuelle Gautrand
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°164 du 7 février 2003, avec le titre suivant : Manuelle Gautrand