Images moyennes, tirages tardifs ou posthumes, accrochage approximatif : l’exposition que la Pinacothèque de Paris consacre à Man Ray sème le trouble chez les spécialistes de l’artiste. Gardien présumé de son héritage, le Man Ray Trust, dont sont issues les œuvres, est au centre d’une polémique quant à son action.
PARIS - C’est un déballage d’œuvres bien médiocres de Man Ray, issues du Man Ray Trust, que propose la Pinacothèque de Paris dans l’exposition titrée « L’Atelier Man Ray : Unconcerned but not indifferent » : images moyennes, tirages parfois tardifs, de dates indéterminées ou posthumes ; lithographies des années 1970 reprenant l’iconographie la plus connue ; tableaux plutôt plats, accrochés de manière malhabile, comme celui intitulé Beaucoup de bruit pour rien, surplombant un grand tuyau. Pire, alors que l’exposition prétend montrer la face intime, inhabituelle de Man Ray, celle que les institutions et le marché n’auraient pas comprise, elle propose un retirage de 2007 sur imprimante à jet d’encre de la photo iconique Noire et Blanche réalisée à partir de l’internégatif que possède le Trust ! L’explication du co-commissaire de l’exposition, John Jacob, selon laquelle Man Ray faisait toujours des répliques, aussi juste soit-elle, ne fait pas avaler la pilule. Ce ramassis prétendument subtil mais plutôt sans saveur a suscité l’ire de plusieurs marchands et spécialistes. « Je trouve que pour la mémoire de Man Ray, c’est une honte de faire une exposition avec des choses qui ne sont pas des chefs-d’œuvre, avec beaucoup de photos qui ne sont pas d’époque. Il est étonnant que le Man Ray Trust ait toujours combattu les retirages posthumes alors qu’ils en ont dans leur collection et dans l’exposition », s’indigne le marchand parisien Marcel Fleiss, lequel organise en avril un contre-événement autour d’une donation au Centre Pompidou de 120 index cards avec photos vintage de l’artiste. Pour son confrère Alain Paviot, « cette exposition fait penser à un fonds de stock d’un petit marchand ».
Même grincement de dents de la part du marchand américain Timothy Baum, grand spécialiste de l’artiste : « Je n’ai pas vu l’exposition, mais en me référant au catalogue, je suis outré que pour la couverture, ils aient utilisé un autoportrait de Man Ray tiré à partir d’un négatif cassé. C’est le type d’exposition qui n’aurait pas dû dépasser le cadre d’un musée local à Long Island. Malheureusement, les gens qui n’ont jamais vu d’œuvres de Man Ray vont penser que c’est le standard de qualité ! Est-ce que le Trust espère trouver un pigeon parvenu qui goberait tout ça et achèterait ce fonds ? »
« Gardiens de la flamme »
Au vu des 250 œuvres exposées, le Man Ray Trust, qui possède quelque 5 000 lots, ne semble avoir que la queue de la comète. Le gros des pièces maîtresses de l’artiste a été acquis par l’État français par dation en 1994, ou dispersé en mars 1995 chez Sotheby’s à Londres. Un article rageur de Steve Manford dans la revue Art on Paper de décembre 2007 s’en prenait vertement au catalogue de l’exposition organisée par Noriko Fuku et John Jacob à la Fabrica à Madrid, et reprise dans une version plus abrégée à la Pinacothèque. « Le Man Ray Trust est le gardien présumé de l’héritage de Man Ray… Comme entité familiale, le Trust est dans un dialogue de rentier avec le monde de l’art. Il ne fait pas le policier sur le marché, n’encourage pas l’authentification. Son indifférence est à blâmer », écrit Steven Manford. Celui-ci, qui avait un temps travaillé pour le Trust, précise que ce fonds compte à côté de bonnes œuvres, d’autres plus douteuses. « Le Trust a eu amplement le temps en deux décennies d’entrer dans le jeu ou d’engager quelqu’un pour le faire, rajoute-t-il. Ils ont eu amplement le temps de cataloguer et faire des recherches sur le fonds. « Unconcerned but Not indifferent » est une collection de demi-mesures et de demi-vérités, et une preuve supplémentaire que le Trust à la fois ne se sent pas concerné et est indifférent. Pour que l’intégrité de l’héritage de Man Ray soit restituée, il est de plus en plus apparent qu’un gardien engagé est nécessaire. » Stéphanie Browner, administratrice fiscale du Trust, s’insurge : « C’est faux et calomnieux d’attaquer l’intégrité du fonds. S’il y a bien une chose dont nous sommes sûrs, c’est de la provenance. Nous n’avons jamais prétendu être des chercheurs ou des universitaires. Nous sommes juste des gardiens de la flamme. John et Noriko ont essayé d’impliquer Steven Manford dans le projet, mais lui aurait aimé diriger cela seul. Il veut devenir la personne de référence dans l’expertise de Man Ray, avoir l’exclusivité. » Pour certains observateurs, le Man Ray Trust souhaiterait donner par le biais de ces expositions une valeur marchande à des fonds de tiroirs. « Il y aurait valorisation si nous avions l’intention de vendre, mais tel n’est pas le cas, nous affirme Stéphanie Browner. Depuis 1999, le Trust ne vend pas de pièces. » Pourtant, Éric Browner, administrateur de la succession, avait été en négociation avec plusieurs musées américains pour céder l’ensemble du fonds. Mais, pour que ces objets acquièrent une valeur, ne serait-ce que documentaire, encore eut-il fallu les associer aux chefs-d’œuvre dans les expositions cornaquées par le Trust, puisqu’ils sont supposés en montrer le ferment ou la reprise.
« L’Atelier Man Ray : Unconcerned but not indifferent », jusqu’au 1er juin, La Pinacothèque de Paris, 28, place de la Madeleine 75008 Paris, tél. 01 42 68 02 01.
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Man Ray mal traité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : Man Ray mal traité