Musique

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Louis Sclavis : « Les travaux de Pignon-Ernest déclenchent en moi des idées de mouvement »

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 21 novembre 2019 - 662 mots

Chaque mois, Laure Albernhe, l’animatrice des Matins Jazz sur les ondes de TSF JAZZ, rencontre un musicien inspiré par les arts visuels. Ce mois-ci le clarinettiste et saxophoniste Louis Sclavis.

Pour son dernier album Characters on a Wall, le clarinettiste et saxophoniste Louis Sclavis s’est inspiré de l’art urbain du plasticien Ernest Pignon-Ernest.
 

D’où le goût pour l’art vous vient-il ?

J’ai toujours eu un goût pour l’image, peut-être parce que j’ai toujours baigné dedans, avec un père photographe… Mais la musique que j’ai pu créer autour de l’image est toujours née d’un concours de circonstances. Avec Ernest Pignon-Ernest, j’avais déjà imaginé de la musique autour du travail qu’il avait fait sur les murs de Naples pour le projet Napoli’s Walls, en 2002. Comme je travaille beaucoup pour le cinéma, j’ai aussi fait des musiques pour des travaux documentaires qui lui étaient consacrés. Son univers m’a toujours inspiré. Et j’avais envie de reprendre mon chemin avec lui. J’avais aussi les musiciens avec qui le faire, des personnes précises avec qui je voulais travailler, et un son de groupe qui me plaisait. Tout était là :

un heureux concours de circonstances.

Comment s’est élaborée la musique de l’album ?

J’ai choisi de me pencher sur huit de ses travaux, qui déclenchent en moi des idées de mouvement. J’avais l’impression de travailler avec un danseur davantage qu’avec un plasticien. Plus que l’esthétique de l’image, c’est le mouvement qu’elle engage qui m’inspire. De manière générale, mon rapport à l’image est basé sur le mouvement. Mais il ne s’agit pas d’illustrer les images en musique, ce serait un pléonasme.

Vous avez lu les œuvres de Pignon-Ernest comme des poèmes…

Oui. Par exemple, parmi ces travaux, il y a cette vieille femme méditerranéenne assise sur une chaise, qu’il a installée dans différents décors à Martigues. Cette femme m’évoquait un temps immobile, une éternité ; elle aurait pu être là il y a 2 000 ans et s’y trouver 2 000 ans plus tard. La musique s’inscrit donc dans un temps étiré, presque immobile.

Pour les images de Pasolini qu’il a collées dans divers endroits fréquentés par le cinéaste, j’avais une référence culturelle : je trouve le visage de Pasolini très proche de celui du trompettiste de jazz Chet Baker. M’est alors revenue la mélodie de My Funny Valentine, thème fétiche de Chet, que je cite dans le morceau, pour la casser par une verticalité dans la composition, et je termine par une valse lointaine, comme l’esprit de Pasolini qui s’envolerait… C’est très visuel, tout ça. Mais après, une fois que la musique est là, j’oublie l’image, je m’en éloigne. Et je souhaite que mes auditeurs s’en éloignent aussi, qu’ils la recréent pour eux, telle qu’ils la voient au prisme de ma musique. C’est pour ça que je ne projette pas ses travaux pendant les concerts.

Ce qui est formidable avec l’univers d’Ernest Pignon-Ernest, c’est que la musique m’apparaît de manière très naturelle ; c’est comme la photo avec un révélateur.

La photo, vous la pratiquez vous-même…

Oui, je suis un cadreur. J’aime fixer une image, un mouvement. C’est au contact du photographe Guy Le Querrec, avec qui nous avons mené un projet en Afrique en compagnie du contrebassiste Henri Texier et du batteur Aldo Romano, que j’ai approfondi ma connaissance de la photographie et son histoire. Aujourd’hui, j’ai quelques expositions qui tournent, comme celle sur les musiciens. Ces photos en noir et blanc ne sont pas des portraits, ce sont les musiciens tels que je les vois, tels que je les connais, ni sur scène ni dans le privé mais dans un entre-deux. L’autre expo qui vient de s’achever aux Lilas, ce sont des carrés. Des images concrètes, de l’architecture, qui, à mesure que je les regarde, me deviennent abstraites. Mais pour moi, il n’y a aucun lien entre cette activité de photographe et mon activité de musicien. Ce sont deux formes d’art très distinctes. Chaque discipline demande une façon d’être, ce sont des temps différents.

À écouter
Characters on a Wall, Louis Sclavis Quartet (ECM, 2019).
À retrouver
Laure Albernhe dans les Matins Jazz, avec Mathieu Beaudou, du lundi au vendredi, de 6h à 9h30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com.Et tous les jeudis matin, entre 8h et 9h la chronique « De L’Œil à l’oreille » de Fabien Simode et Jean-Christophe Castelain.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°729 du 1 décembre 2019, avec le titre suivant : Louis Sclavis : « Les travaux de Pignon-Ernest déclenchent en moi des idées de mouvement »

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