Le 28 juin à Saint-Pétersbourg, Dominique Perrault, opposé à une dizaine d’architectes internationaux, a remporté le concours portant sur l’édification du Mariinsky II. L’annexe double ainsi la capacité du plus célèbre théâtre pétersbourgeois, éternel rival du Bolchoï de Moscou. Une victoire éclatante proclamée par onze voix sur treize.
On n’attendait pas de Dominique Perrault, architecte minimaliste par excellence, une telle envolée baroque. Sans doute l’atmosphère de Saint-Pétersbourg a-t-elle, ici, été déterminante.
Saint-Pétersbourg, ville mythique, magique... Le golfe de Finlande, la Néva, l’entrelacs des canaux... Une lumière étrange, glacée, givrée... Une ville dont on ne sait si elle est authentiquement XVIIIe, baroque, palladienne, rococo, néoclassique, ou simplement, un bizarre métissage de tout cela. Saint-Pétersbourg avec ses longues perspectives et ses places battues par les vents, appelée “ville dorée” du fait de ses bulbes, dômes et coupoles passés à la feuille d’or.
“L’architecture de Saint-Pétersbourg me confond. Elle est le reflet de tous les styles, de toutes les écoles, de toutes les modes...”, écrivait Dostoïevski.
Nombre d’architectes français s’y sont illustrés à la demande de Pierre le Grand : Jean-Baptiste Leblond, auquel on doit les plans et l’écheveau des canaux ; Vallin de la Mothe, qui signa l’église Sainte-Catherine ; Ricard de Montferrand, qui édifia la cathédrale Saint-Isaac ; Étienne Falconnet, auteur de la statue équestre de Pierre le Grand, symbole de la cité...
Mais revenons au théâtre Mariinsky, point de départ et d’arrivée du concours. Curieux monument, fondé en 1783, consacré au seul art lyrique en 1803, plusieurs fois remanié, et même totalement reconstruit entre 1883 et 1896 par un certain Schroedter. Le Mariinsky, théâtre et opéra tout à la fois, éternel rival du Bolchoï de Moscou, étouffe dans ses murs, dans son fonctionnement comme dans ses capacités techniques. Le reconstruire à nouveau ? l’agrandir ? doubler sa surface ? Le tricentenaire de Saint-Pétersbourg tombe à point nommé pour que se prennent les décisions. D’autant que le président Vladimir Poutine est enfant de Saint-Pétersbourg.
Un concours international est donc organisé portant sur la création d’un nouvel équipement, le Mariinsky II, à édifier sur une friche située à l’aplomb du premier, sur l’autre rive du canal Kruykov. S’affrontent dès lors une douzaine d’architectes russes et internationaux, parmi lesquels les inévitables Arata Isozaki (Japon), Hans Hollein (Autriche), Mario Botta (Suisse)... Parmi eux figure le supposé favori du jury, l’Américain Eric Owen Moss.
Immense scarabée
Divine surprise, le jury choisit le projet du Français Dominique Perrault par onze voix sur treize. Une victoire sans discussion et parfaitement inhabituelle tant on sait à quel point les décisions des jurys peuvent être le résultat de compromis et de négociations.
Une victoire célébrée par Valéry Gergiev, le directeur artistique du Mariinsky, dont le travail est aussi internationalement salué.
Le nouveau bâtiment, d’une surface totale de 39 000 mètres carrés, sera édifié en 2007 pour un budget de 100 millions de dollars. Autant dire qu’il s’agit d’un équipement majeur, que Perrault a voulu “ouvert sur la ville, généreux, multiple”. Soit un jeu de cubes qui s’organisent en un ordre faussement aléatoire et que vient enrober une sorte de coque dorée souple et vibratile.
Immense scarabée dont la carapace déborde les formes du bâtiment et englobe sans les toucher les berges du canal, l’édifice voit son espace public intérieur prolongé en une succession de foyers. Ces derniers forment une généreuse galerie couverte offrant boutiques, cafés, restaurants...
Profitant de cette distance entre enveloppe et bâtiment, les sommets se transforment en terrasses, balcons, belvédères. On émerge au-dessus des toits et l’on perçoit, au travers du voile, la présence de la ville. Cette perméabilité n’altère en rien le mystère de l’opéra. Passé le voile doré, le visiteur est confronté à un imposant volume de marbre noir. Au-delà, la grande salle de 2 000 places, à sa façon très singulière, joue à plein de la tradition. Le rouge et l’or si spécifiques de l’opéra sont bien là, mais en parfait trompe l’œil, littéralement projetés sur les sièges, les balcons, les murs et le plafond. Le visiteur pénètre, en fait, dans une peinture plus vraie que nature qui va l’entraîner au plus profond du rêve et de la poésie. Et, pour mieux lier les deux Mariinsky, Perrault lance au-dessus du canal Kruykov une passerelle télescopique qui, par sa légèreté, sa transparence et sa mobilité, ne perturbe en rien la scénographie urbaine de Saint-Pétersbourg.
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L’opéra Perrault
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : L’opéra Perrault