Hongrois d’origine, éditeur d’art et romancier, Adam Biro a d’abord fait ses armes à l’Office du Livre à Fribourg,
puis chez Flammarion, avant de fonder sa propre maison
il y a déjà quinze ans. Parmi les derniers représentants d’une espèce en voie de disparition, Biro maintient tant bien que mal un cap exigeant et indépendant dans un secteur bien souvent fragilisé et compte quelques beaux succès éditoriaux dans un catalogue déjà riche de 290 titres. A 61 ans, l’éditeur poursuit sans nostalgie son bonhomme de chemin, cultive colères, malice et appétit universaliste, avec en fer de lance la nécessité d’initier la jeune génération aux choses de l’art, et bien sûr... la passion du livre et du métier.
La presse a beaucoup parlé des éditions Adam Biro ces derniers temps et de votre transfert chez Flammarion. Est-ce toujours d’actualité ?
Non. Il a effectivement été question que je rejoigne Flammarion. Mais nous ne nous sommes pas mis d’accord sur le prix de vente des éditions Biro. Je reste, mais en devenant directeur éditorial du groupe Vilo auquel appartient la maison. De toute façon, il n’y avait aucune urgence à être racheté. La maison se porte très bien. C’est même l’une des rares maisons d’édition d’art à se porter aussi bien. En Allemagne par exemple, je n’aurais jamais pu la vendre.
Que vous inspire l’échec du géant
allemand du livre illustré Könemann ?
Je crois qu’il y avait un côté mégalomane chez lui. Mais je ne me réjouis pas de son échec, c’est évident. Bien sûr, je suis très loin de ce genre d’éditions, mais nous avons travaillé ensemble et il est dans mon domaine. Notre public est finalement très petit. Le public de Könemann, de Taschen, c’est aussi le mien. Disons que le cœur est le même. Après, c’est vrai que les étudiants achètent plutôt
Taschen que Biro.
On a parlé des années noires de l’édition dans les années 90. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les années vraiment noires, c’était 90-92. Puis ça a été beaucoup mieux. Pour moi en tout cas. Par contre, 2002 sera une mauvaise année et pour tout le monde, je le crains. L’édition d’art est un équilibre sensible et fragile. Ce sont des investissements très lourds et à long terme. De plus, en vingt ans, l’offre culturelle s’est prodigieusement développée : catalogues d’exposition, voyages, musique. De sorte que les loisirs n’appellent pas à l’achat de livres d’art, qui passent toujours pour être des objets de luxe réservés à une élite. Et dans le contexte actuel, il est évident que l’achat du livre d’art n’est pas une priorité.
On vous connaît pour votre virulence aux côtés des éditeurs privés, luttant contre les tarifs prohibitifs pratiqués par les fournisseurs d’images d’art. Les choses ont-elles sensiblement évolué ?
L’accès à l’image a évolué, mais dans le mauvais sens. C’est de pire en pire et nous n’avons que peu de moyens pour lutter. En tant qu’éditeurs, nous n’intéressons pas beaucoup les fournisseurs d’images ; ils gagnent avec nous bien moins d’argent qu’avec la télévision, la presse ou la publicité. Alors oui, je suis de plus en plus virulent et à chaque fois que je le peux. Je le suis avec l’ADAGP (qui gère en exclusivité les droits de quelque 42 000 artistes français), je le suis parfois avec les héritiers. S’il est évident qu’il faut payer les artistes vivants, je ne suis pas sûr qu’il soit juste de payer les héritiers. Je n’irai pas contre la loi, mais on frise parfois l’absurde. Lorsqu’on reproduit par exemple la tour Eiffel, il faut payer celui qui en a fait l’éclairage. Ce n’est même plus une question de droits, c’est une question philosophique. Que signifie la création ? Que signifie l’accès à l’image ? Bientôt on paiera Météo France pour pouvoir photographier les nuages ! Cela rend notre métier extrêmement difficile.
Au point de renoncer à des projets pour des questions de budget iconographique ?
Evidemment ! Très souvent. Je donne entre 4 et 6 % aux auteurs. Pour une monographie sur un peintre relevant encore du domaine privé, c’est-à-dire mort depuis moins de 70 ans, l’ADAGP me demande 4 %. Je trouve scandaleux qu’on demande autant pour un artiste mort, qui ne produit plus rien. Scandaleux qu’on donne autant aux héritiers qu’à un auteur qui a parfois passé vingt ou vingt-cinq ans à travailler sur un sujet. Et puis les éditeurs d’art ne peuvent pas suivre. Quand ont dit que je suis virulent, c’est plus que ça. Je suis furieux. Mais je sais que c’est une bataille de Don Quichotte et que je me bats contre des moulins à vent.
Une des particularités de votre maison réside dans la place accordée à la qualité du texte. Quel dialogue doit-il entretenir avec l’image ?
Le terme est juste. C’est un dialogue et on y tient beaucoup. Il y a deux interlocuteurs : le texte et l’image et c’est indispensable. D’abord pour des raisons que l’on pourrait qualifier de pédagogiques. Une image se commente. Une image s’explique et nous nous adressons à des spécialistes pour le faire. L’image ne se donne pas comme ça. Rien n’est plus faux que la phrase de Breton « l’œil existe à l’état sauvage ». L’œil a besoin d’être éduqué. Aimer un tableau d’Yves Klein, sans événement, sans anecdote, ou même un Malevitch, n’est pas donné. Vous devez faire un long chemin d’éducation artistique, intellectuelle, philosophique. C’est pourquoi je tiens tant au texte.
D’où l’urgence d’éduquer dès le plus jeune âge ?
C’est pour cela qu’on vient de publier Comment parler d’art aux enfants. On a vendu 5 000 exemplaires le mois de sa sortie. Je pense d’ailleurs en faire une série, déclinée avec la sculpture et la photographie. Et pourtant, je n’ai pas obtenu un sou de subvention. J’ai demandé au ministère de l’Education nationale, ils ne m’ont même pas répondu ! Alors qu’il y a une véritable demande d’éducation artistique pour les jeunes. Nous, éditeurs d’art, nous nous y employons. C’est la clé. Il n’y a pas de raison de privilégier le discours, aux dépens de l’image. Et puis il y a bien aussi une question commerciale : si on ne veut pas voir un pan de l’édition française disparaître, il faut nous fabriquer des acheteurs. On ne peut pas se contenter de quelques lettrés ou amateurs fortunés.
La tendance au beau livre plutôt qu’au livre d’art s’accentue. A l’art de vivre plutôt qu’à l’art tout court. Le livre d’art en est-il bientôt réduit à un objet décoratif à offrir ?
Nous dépendons tous du livre d’art cadeau. C’est à Noël que l’on vend le plus et très nettement. C’est presque la moitié de notre chiffre d’affaires. Je ne vise pas forcément ce qu’on appelle le beau livre, je préfère les livres d’art. Mais je ne suis pas si sûr que le beau livre d’images soit plus facile. On a eu de beaux succès avec des livres à texte comme L’Eloge de l’individu, de Tzvetan Todorov et il est parfois plus facile de lire ces auteurs-là que de regarder un tableau bleu. Finalement, les livres d’images ne marchent pas si bien. On ne les regarde qu’une fois. Et le lecteur est en demande d’explication. C’est tellement passionnant d’entrer dans la sensibilité de quelqu’un ! Quand Claudel, Malraux, Diderot ou Baudelaire parlent d’art, cela nous permet d’entrer dans leur sensibilité. Parfois même, les textes de Diderot sont plus intéressants que les tableaux dont il parle.
Y a-t-il une particularité du public français, qui s’intéresserait davantage à tel ou tel médium ?
Certainement. La peinture domine forcément. Même si on en fait, la sculpture est très difficile. La photographie et l’architecture le sont encore davantage. Ce qui marche bien, ce sont les approches transversales, comme L’Homme de dos. Peinture, théâtre de Georges Banu. Lorsque je l’ai publié, des confrères allemands m’ont assuré que chez eux, ils n’en auraient pas vendu plus de 200. Ici, nous l’avons épuisé, réimprimé et l’on ne doit pas être loin de 7 000 exemplaires. Avec des textes de qualité et d’importance, nous essayons de faire des beaux livres. Aux Etats-Unis, ces textes paraîtraient dans un format de type scolaire. En France, il y a un public réel pour le mélange du beau livre et du vrai contenu. C’est le paradis du livre d’art !
L’art contemporain est-il encore le vilain petit canard de l’édition d’art ?
J’en fais ! Soulages, Julije Knifer ou encore Jan Voss. Mais c’est tellement plus difficile. On ne peut pas faire boire un âne qui n’a pas soif. Pour mettre 50 euros dans un livre d’art contemporain, il faut vraiment avoir une culture artistique. Même à un euro, vous ne me feriez pas acheter un manuel d’obstétrique ! J’en reviens toujours à la même chose : il faut éduquer. Et l’art contemporain se vendrait comme des petits pains.
On vous a vu également très agacé par la concurrence croissante des éditions publiques et institutionnelles. Cette concurrence peut-elle à terme modifier radicalement le métier d’éditeur d’art ?
Il restera passionnant quoi qu’il arrive. Dans l’édition d’art, beaucoup plus qu’ailleurs, vous avez un rapport physique avec l’objet, vous choisissez le papier, la mise en page. Vous participez à toutes les étapes de la confection d’un livre. De plus, vous côtoyez imprimeurs, libraires, critiques d’art, auteurs et universitaires. Humainement c’est passionnant. Ces côtés-là vont rester. Mais je pense que le métier va évoluer un peu tristement dans la mesure où les institutions prennent le pouvoir. A titre d’exemple, je publie l’année prochaine deux ouvrages pour le centenaire de la mort de Gauguin. Il y aura plusieurs expositions, en France et en Amérique. Cette fois c’est pour le centenaire, mais parfois, sans raison, parfois pour des raisons diplomatiques comme un échange de tableaux entre états, quelque part dans un ministère ou un bureau de conservateur de musée, on décide de faire une exposition. Et tous les métiers de l’histoire de l’art suivent. Ce n’était pas le cas auparavant. Les fondations, les musées, les Frac prennent lentement le pouvoir, aux dépens des petits éditeurs, même s’ils travaillent souvent avec nous. La tendance, la direction, vient d’eux. A court et moyen terme, je pense que nous serons de plus en plus des prestataires de services pour institutions
- A lire : Adam Biro, Louise s’habille, éd. le Passage, 10 euros.
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L’œil d’Adam Biro
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°542 du 1 décembre 2002, avec le titre suivant : L’œil d’Adam Biro