Monet sur le sable d’Étretat, Pissarro à l’entrée du pont Boieldieu à Rouen, Boudin sur les berges du port de Honfleur… Cet été, la Normandie réclame sa part dans la naissance de l’impressionnisme en organisant un festival pluridisciplinaire sur tout son territoire.
A l’instar du classicisme, du baroque, du romantisme ou du réalisme, l’impressionnisme est passé dans le langage courant pour désigner au sens large toute forme d’art visant à rendre « les impressions fugitives, les nuances les plus délicates du sentiment » (cf. Le Petit Robert, éd. 2006). Entendu au sens strict du mot, il réfère à une période de l’histoire de l’art de la seconde moitié du XIXe siècle en phase avec l’avènement au pouvoir de la classe bourgeoise dont ce mouvement se fera le chantre.
Qui plus est, l’impressionnisme renvoie à une séquence temporelle très précise, portée par une série de huit expositions organisées entre 1874 et 1886 par toute une bande d’artistes en rébellion contre le Salon officiel. Ils ont plus ou moins la trentaine et se nomment entre autres Claude Monet, Camille Pissarro, Edgar Degas, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Paul Cézanne, Berthe Morisot, Gustave Caillebotte, Mary Cassatt, Paul Gauguin…
Un nom devenu universel
Mais à tout seigneur, tout honneur, c’est au critique d’art Louis Leroy que l’on doit l’invention du mot impressionnisme. Rendant compte de la première exposition de ce groupe qui se tint dans l’atelier de Nadar, au 35 du boulevard des Capucines à Paris, le journaliste publia dans Le Charivari du 25 avril 1874 un article dont il ne pouvait pas imaginer un seul instant l’incroyable fortune critique qu’il allait connaître. Intitulé « L’école des impressionnistes », ce dernier, à l’appui du tableau de Monet Impression, soleil levant, s’écriait : « Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans… et quelle liberté, quelle aisance dans la facture ! Le papier peint à l’état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là ! » Et vlan ! pour Monet et ses amis, du moins est-ce ce que Louis Leroy pouvait croire. Erreur. Ce faisant, il leur ouvrait toutes grandes les portes de la postérité.
Quelque cent trente-six ans plus tard, porté par une foule de chefs-d’œuvre, des expositions qui se comptent par centaines, des records de vente permanents et une estime publique qui n’a pas cessé de croître depuis une cinquantaine d’années, l’impressionnisme est devenu un lieu commun. « Une tarte à la crème », diront certains. « L’un des plus beaux fleurons de l’art français », diront d’autres. Dans tous les cas, un style, une marque de fabrique, une manière de voir. « Quoi de neuf ? », s’interrogeait Sacha Guitry dans Toutes Réflexions faites publié en 1947. « Molière ! », répondait-il sans hésiter. Il aurait pu dire : « L’impressionnisme ! », lui qui en fut un fervent admirateur et qui eut la bonne idée, dès 1914, de filmer sous forme de « clips » quelques-uns de ses acteurs avant qu’ils ne disparaissent.
La Normandie, seul berceau ?
L’impressionnisme fêté aujourd’hui dans le cadre d’un festival dit « Normandie impressionniste », labellisé d’intérêt national, est-ce une étape de plus dans la reconnaissance du mouvement ou son instrumentalisation au service d’une identité régionale ? Un peu des deux, sans doute. Bien sûr, on peut s’interroger sur le fait de savoir si la Normandie est ou non le berceau de l’impressionnisme et si elle peut s’en revendiquer. À considérer non seulement que le tableau de Monet qui donne son nom au groupe figure l’entrée du port du Havre, mais aussi que son auteur, qui en est l’âme, a multiplié les sujets normands, la réponse est faite. En revanche, à consulter la liste de tous les tableaux qui ont été présentés à l’occasion de la première des expositions impressionnistes et à relever les origines géographiques des artistes qui y ont participé, la réponse diffère. Enfin, à dresser l’inventaire des lieux où ceux-ci ont travaillé, installant leur chevalet sur le motif, le temps d’une toile ou d’une série, il n’est plus une seule et unique réponse. Si la Normandie y occupe une place de choix, il est impossible de ne pas faire cas de territoires comme l’ouest de la région parisienne ou le Vexin français, de fiefs aussi déterminants qu’Argenteuil ou Marly-le-Roi.
Au fil du temps, parce que l’impressionnisme a très vite essaimé autour de lui, imposant une façon de regarder le monde et s’offrant comme modèle, il a atteint nombre de registres artistiques autres que les arts plastiques. Musique et littérature au premier chef, suivies dans le temps par la photographie, la danse, le cinéma, etc. C’est dire si l’impressionnisme est bien plus qu’un mouvement, une manière d’être au monde, du monde et dans le monde. Que la Normandie soit ainsi l’organisatrice d’un festival qui le conjugue à tous les modes est une façon de l’historiciser en lieu et place tout en le dynamisant à l’aune d’une création polymorphe et universelle.
Dans le cadre de « Normandie impressionniste », l’amateur d’art contemporain n’a pas été oublié. Une quinzaine d’expositions sont au programme, tous médias confondus, vidéo et photographie y étant particulièrement privilégiées. Ainsi, en ce dernier domaine, Georges Rousse au musée Poulain à Vernon et Olivier Mériel au musée des Impressionnismes de Giverny.
Du Frac Haute-Normandie au pont Boieldieu de Rouen
Fer de lance de l’art contemporain dans la région, le Frac Haute-Normandie a choisi de jouer les variations du thème du Déjeuner sur l’herbe. Marc Donnadieu, son directeur, s’est donc saisi du sujet dans l’amont d’une histoire, non sur le mode nostalgique, mais pour mieux faire valoir son incroyable fortune critique. « Dans un jardin » réunit ainsi photos et vidéos d’une soixantaine d’artistes – dont Douglas Gordon, Anne-Lise Broyer et Rémy Marlot – en une exposition pleinement prospective. Leur lecture est une heureuse façon de revisiter l’impressionnisme non seulement à l’écho du temps passé, mais à l’aune des préoccupations qui sont les nôtres. La vidéo est encore à la fête avec l’exposition organisée par le département de Seine-Maritime et notamment confiée à Jean-Luc Monterosso, le directeur de la Maison européenne de la photographie. Couleur et lumière y trouvent éminemment leur compte et l’impressionnisme y trouve le sien puisque chacune des treize œuvres présentées est confrontée à une ou plusieurs du passé. Point commun aux artistes, cette volonté de trouble – voire de tremble – de la forme si chère aux impressionnistes, qu’on retrouve, par exemple, chez Isabelle Lévénez ou Stephen Dean.
Sur un autre tempo, l’exposition « Rouen impressionnée », organisée par la Direction du développement culturel de la ville de Rouen, propose un parcours d’œuvres qui sont autant d’invitations à redécouvrir la cité. Pour l’essentiel articulée à l’appui d’une réflexion qui mêle cadre de vie et écologie, comme en témoignent les œuvres d’Arne Quinze et Shigeko Hirakawa, elle est une excellente manière de porter sur la ville un regard neuf, tout en retrouvant nombre de sites jadis prisés des artistes.
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L’impressionnisme made in… Normandie
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1821 Premiers voyages en Normandie de Turner et Bonington.
1860 « Rencontres de Saint-Siméon ». Boudin attire à Honfleur Monet, Jongkind, Bazille et Courbet.
1874 Première exposition des « impressionnistes » chez Nadar.
1879-1885 Les plages et les falaises de Pourville et d’Étretat inspirent Renoir puis Monet.
1892 À Rouen, Monet peint sa fameuse série des cathédrales.
1902 Après les ponts et les toits de Rouen, Pissarro s’intéresse au port de Dieppe.
1926 Monet s’éteint à Giverny où il a peint ses Nymphéas.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°626 du 1 juillet 2010, avec le titre suivant : L’impressionnisme made in… Normandie