À Venise, le Palazzo Grassi renoue avec les grandes expositions de civilisations et analyse les rapports étroits
de l’Empire romain avec ces peuples venus du froid, qui bouleversèrent le continent tout entier.
En 58 avant notre ère, César part à la conquête de la Gaule et franchit le Rhin. C’est la première fois que les troupes romaines sont confrontées aux peuples barbares. Dès lors, ces deux mondes ne cesseront de s’affronter, de se mêler l’un à l’autre, au gré des conquêtes et conflits, mais aussi dans le cadre d’échanges culturels et sociaux. Ces mouvements des peuples venus du Nord et de l’Est, communément appelés les « invasions barbares », et leur rencontre avec l’Empire romain, ont profondément marqué le continent européen. C’est à ces épisodes cruciaux de notre histoire que s’attaque aujourd’hui le Palazzo Grassi, à Venise, en collaboration avec la Kunst-und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland de Bonn et l’École française de Rome. Si les Barbares ont déjà bénéficié d’importantes expositions mettant un terme aux clichés véhiculés sur leurs comptes depuis César, c’est la première fois que leur histoire est abordée de manière globale. Le Palazzo Grassi renoue ainsi avec la tradition de ses grandes expositions historiques qui firent sa réputation avant l’arrivée de la Collection Pinault. Avant de rejoindre Versailles, Jean-Jacques Aillagon, directeur du Palazzo Grassi de 2005 à 2007, s’est lancé dans ce projet colossal, que ce soit par le nombre d’objets réunis (environ 1 700 pièces), la diversité des établissements prêteurs (près de 200 musées et institutions), son coût (5 millions d’euros), la surface du parcours (3 000 m2 d’exposition) et, surtout, l’étendue du propos. Il s’agit, en effet, d’évoquer un millénaire d’histoire (de la conquête de la Gaule au Xe siècle) sur un espace géographique non moins grand : celui du continent européen. Occupant tout l’espace du Palazzo, le parcours suit de manière plus ou moins chronologique les itinérances des peuples barbares, révélant des pièces d’exception, parmi lesquelles de nombreux trésors mis au jour dans des sépultures, ainsi que des découvertes récentes. Ainsi du pied colossal en bronze (fin du Ier-début du IIe siècle) découvert à Clermont-Ferrand en 2007, ou du trésor de la dame de Grez-Doiceau (VIe siècle) exhumé en Belgique en 2002, ensemble remarquable de bijoux et d’objets délicatement décorés. L’intrusion, quelque peu discutable, dans ce parcours historique de tableaux XIXe siècle offre, non sans humour, une vision romantique, totalement manichéenne, des « invasions barbares » face à la civilisation romaine.
Un choix politique
« Le choix du sujet est très politique. Il s’agit de rappeler que nous sommes aussi nés dans les plaines de l’Europe du Nord et de l’Est. Notre culture doit beaucoup à Rome et à Athènes, à la chrétienté, mais une bonne partie de nos racines puisent aussi dans le monde barbare. J’aimerais que les Européens prennent conscience de la dimension barbare de notre culture », a souligné Jean-Jacques Aillagon le jour de l’inauguration de la manifestation, le 24 janvier. Précisant que les « invasions barbares » marquent « l’avènement d’une nouvelle Europe et, d’une certaine manière, de l’Europe moderne ». Une Europe née dans de violents affrontements à commencer par le massacre des troupes romaines, parties à l’assaut de territoires situés entre le Rhin et l’Elbe, par les Germains, dans la Forêt de Teutoburg, en l’an 9 de notre ère. Malgré cet échec, l’Empire s’étend vers le nord, avec la conquête de la Bretagne par l’empereur Claude (41-54), et repousse ses frontières le siècle suivant au nord de l’Angleterre et en Afrique (actuel Maghreb). À la fin du IIe siècle, Marc-Aurèle (161-180) tente de maintenir l’Empire malgré les incursions de plus en plus violentes des Barbares sur le sol italien, période dont témoignent les sarcophages de batailles, dont il subsiste aujourd’hui une vingtaine d’exemplaires. Le sarcophage dit de Portonaccio (du nom du quartier romain où il fut découvert en 1931) représentant un combat entre Romains et Barbares, véritable enchevêtrement de corps humains désarticulés, d’armes et de chevaux, en offre un bel exemple. Attaqué sur tous les fronts, par les Goths, les Alamans ou les Vandales, l’Empire se convertit au christianisme avec Constantin Ier (empereur romain de 306 à 337), les Barbares aussi, mais dans sa forme arienne, et, en 382, les Goths s’installent dans l’empire pour en devenir les « alliés ». La migration des peuples germains se poursuit, notamment vers le sud de la Gaule, où s’installent les Burgondes, les Alamans et les Francs. Au début du Ve siècle, les Francs occupent l’Aquitaine, les Wisigoths, le royaume d’Espagne, tandis que les Jutes, les Angles et les Saxons s’installent dans les îles britanniques, et les Ostrogoths dominent la péninsule italienne, sous le règne de Théodoric Ier (493-526). Les Lombards, arrivés en 569 en Italie, exercent leur pouvoir sur deux siècles, pendant que l’empire Romain se dissout et que se diffuse la chrétienté. « De tous temps, les hommes ont quitté leur pays d’origine – et le quittent aujourd’hui encore – dans l’espoir de trouver une vie meilleure en d’autres lieux, qu’ils fuient une région pour des raisons de crises, de persécution, ou simplement pour tenter d’échapper à la pauvreté », conclut dans le catalogue, Christophe Vitali, directeur de la Kunst-und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland de Bonn, rappelant combien « la connaissance de l’Histoire nous permet souvent de mieux comprendre le présent ».
ROME ET LES BARBARES, LA NAISSANCE D’UN NOUVEAU MONDE, jusqu’au 20 juillet, Palazzo Grassi, Campo San Samuele, 3231, Venise, tél. 39 (0) 41 523 16 80, www.palazzo grassi.it, tlj 9h-19h. Catalogue, éditions Skira, 694 p., 39 euros, ISBN 978-88-6130-648-6.
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L’Europe barbare
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°277 du 14 mars 2008, avec le titre suivant : L’Europe barbare