Parmi les œuvres de la collection C.C. Wang acquises par le Metropolitan, figure un rouleau de soie, Rive, que les conservateurs attribuent à Dong Yuan, un maître du Xe siècle, mais dont l’authenticité est mise en doute par d’autres spécialistes.
NEW YORK - Chez les artistes chinois, copier les grands maîtres n’était pas méprisé, mais estimé. Le marché des peintures chinoises a été inondé de copies, avec leur cortège d’attributions contestées. La dernière en date a pour objet Rive, un précieux rouleau de soie de 221 x 109 cm acquis par le Metropolitan grâce au financier Oscar Tang. Les conservateurs l’attribuent à Dong Yuan, un des maîtres des paysages monumentaux du Xe siècle ; d’autres le considèrent comme une copie du XXe siècle de l’artiste et collectionneur Zhang Daqian, auquel C.C. Wang l’a acheté en 1956. Pour le département d’Art asiatique du Metropolitan Museum, Rive est l’un des trois plus beaux paysages existants de grand format. Les deux autres, dont l’attribution a également été remise en cause, sont conservés au National Palace Museum de Taipeh et ont été jugés trop rares pour figurer dans l’exposition “Splendeurs de la Chine impériale” à New York, en 1995. Sans aller jusqu’à assurer que l’œuvre est de la main de Dong Yuan, les conservateurs soutiennent que, par son style, elle remonte au Xe siècle, époque où le peintre était actif. Pour étayer leur argumentation, Rive a été placé à côté de Forêts denses et sommets en strates de Zhang Daqian, précédemment attribué à Juran, un disciple de Dong Yuan.
Les sceptiques affirment que Rive est une copie du XXe siècle. Pour James Cahill, professeur à l’université de Californie à Berkeley, elle présente un “trait flou, une incohérence structurelle et un caractère illisible”. Sherman Lee, ancien directeur du Cleveland Museum of Art et spécialiste de l’art chinois, partage cet avis. Mais Wen C. Fong, consultante à la direction du département d’Art asiatique du Metropolitan, riposte : “C’est précisément ce trait qui définit la technique du Xe siècle”. Rive est également suspecté d’être une copie par association : C.C. Wang l’a acheté à Zhang Daqian en 1956, et selon certains experts, toute œuvre provenant de cette collection pourrait être une copie. Le Musée des beaux-arts de Boston, qui avait acquis une de ses œuvres en 1957, l’a par la suite déclassée d’une peinture du Xe siècle à une copie moderne. “Le Met a acheté Rive en sachant pertinemment que certains experts, principalement occidentaux, avaient des doutes sur son authenticité et soupçonnaient qu’il était une copie de Zhang Daqian, l’un de ses précédents propriétaires. Dans les années cinquante et au début des années soixante, le collectionneur John Crawford [autre bienfaiteur du Met] a pu facilement acquérir des peintures de Zhang Daqian, car aucun directeur de musée aux États-Unis n’osait acheter quoi que ce soit en raison de sa réputation de copiste”, déclare Maxwell Hearn. Mais le contexte à quelque peu changé. : “L’un des détracteurs de Rive a émis des réserves sur les calligraphies de la collection Crawford exposées en 1962 par la Morgan Library, qui sont à présent considérées comme des trésors nationaux”.
Un style exagéré
Certain de l’attribution au Xe siècle, le conservateur manifeste son estime pour le connaisseur qu’était Zhang Daqian : “Il fallait pour l’acquérir quelqu’un comme C.C. Wang, ou un Zhang Daqian qui connaissait l’importance de l’œuvre et était un collectionneur passionné”. “Nous en avons fait la démonstration, poursuit-il, en accrochant, à côté de Rive, une copie exécutée par Zhang Daqian. Le contraste est flagrant : le Zhang Daqian est une caricature du style ancien dans la représentation des montagnes, des détails et des silhouettes. Tout y est exagéré, gonflé”.
Les détracteurs de Rive sont souvent ceux qui ont approché l’art chinois à travers des œuvres conservées dans les collections japonaises, qui manquent de grands paysages. Maxwell Hearn souligne le “moindre degré d’expérience des spécialistes japonais qui travaillent sur certaines catégories d’art chinois. Or, celles-ci sont les plus représentées dans la collection C.C. Wang, le summum du goût chinois traditionnel, qui a toujours considéré le trait comme le nec plus ultra dans la façon de juger une œuvre d’art. Les critiques ont mal évalué les œuvres chinoises en surestimant le sujet et la vraisemblance figurative”.
La position du Metropolitan a été ralliée, au moins en partie, par Howard Rogers, marchand réputé de la galerie Kaikodo America. Il reconnaît que si Rive n’est pas de la main de Dong Yuan, “les correspondances de style avec d’autres peintures anciennes font pencher vers une réalisation datant de cette époque”. Un test au carbone 14 permettrait de trancher, mais il est hors de question : il faudrait prélever sur le rouleau un échantillon tellement important que l’opération “profanerait” l’œuvre, conclut Maxwell Hearn.
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Les richesses de la collection Wang
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°94 du 3 décembre 1999, avec le titre suivant : Les richesses de la collection Wang