En écho à l’exposition sur Deir el-Médineh, Anne Minault-Gout analyse dans son dernier ouvrage les ostraca figurés produits en grande majorité sous les XIXe et XXe dynasties, et retrouvés dans le village des « Serviteurs dans la Place de Vérité ». Alors que l’art des peintures officielles réalisées dans les tombes royales ne laisse aucune place à l’improvisation, ces éclats de calcaire nous emmènent dans un univers beaucoup plus libre, témoignant d’une sensibilité inédite des Égyptiens.
Les artisans de l’Égypte ancienne seraient certainement très surpris qu’un livre soit consacré aux ostraca, ces petits objets destinés au rebus. Ostraca vient du grec “coquille”. Brouillons pour la réalisation des décorations murales dans les tombes, certes, ils sont aussi l’expression d’un art libre, bien loin de l’art officiel qui se devait d’être efficace pour la vie des pharaons dans l’au-delà. Anne Minault-Gout reprend la classification de Jeanne Vandier d’Abbadie et d’Emma Brunner-Traut pour nous faire revivre cette expression d’un art éphémère : les esquisses, études et modèles ; les scènes d’intimité et celles en relation avec l’amour ; la religion et la magie ; les illustrations de fables et de légendes ; la vie quotidienne. Les auteurs sont essentiellement les scribes qui maîtrisaient l’art du trait de par leur apprentissage et leur fonction. Les couleurs utilisées sont d’ailleurs celles de la palette du scribe, noir et rouge, complétées par celle du peintre lorsqu’il s’agit de souligner les détails. Les scènes les plus surprenantes sont liées à l’amour, à la naissance et à l’allaitement, les seules figurations de ces thèmes qui nous soient parvenues. L’accouchement avait lieu dans le “Pavillon de naissance”, et ce moment dangereux et douloureux était protégé par le dieu Bès. Certaines formules sont censées aider la femme : “Descends, placenta, descends [...] je suis Horus qui fait de la magie pour que celle qui donne la vie se sente mieux, comme si elle était délivrée...” La parturiente est souvent nue et porte une coiffure spécifique. Des réjouissances accompagnent cet événement comme le montre cet ostracon où une mère allaite son nouveau-né, accompagnée de femmes vêtues de robes transparentes qui battent des mains et chantent. “On remarque que les symboles à connotation sexuelle y sont nombreux et convergent tous vers la même direction : la vie, l’amour et le sexe en étant les indispensables médiums.”
Malgré le respect très fort de la religion et du pouvoir, les artisans ne manquaient pas d’humour. Ils se moquaient de l’autorité en dessinant un pharaon s’afférant à la réalisation ou à la réparation d’un filet de pêche – chose improbable. Les animaux sont les héros de fables décrivant “un monde inversé”. Les chats deviennent les esclaves des souris, ou bien ils sont les gardiens du troupeau d’oies. Outre les thèmes “hors norme”, le style étonne : une jeune femme, nue et accroupie, souffle dans le foyer d’un four. Elle est réellement dessinée de profil, et son souffle est figé par deux traits sortant de sa bouche.
L’art égyptien est décidément pluriel, et ces ostraca figurés apportent une nouvelle lecture de cette civilisation sujette à fantasmes. Cet univers inconnu du grand public ne pourra que le charmer à travers une vulgarisation réussie.
- Anne Minault-Gout, Carnets de pierre, l’art des ostraca dans l’Égypte ancienne, édition Hazan, 2002, 162 pages, 29,75 euros, ISBN 2-85025-802-4.
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Les ostraca, expressions d’art éphémère
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°148 du 3 mai 2002, avec le titre suivant : Les ostraca, expressions d’art éphémère