Quel sens donner à la conservation de vêtements ? Quelle place occupe la mode dans la culture ? Pour tenter de répondre à ces vastes questions, Le Journal des Arts propose un tour d’horizon des différents musées français consacrés aux costumes du passé et aux créations contemporaines.
“La mode, c’est quelque chose d’indéfinissable... C’est une manière d’être qui implique une pause, un contexte, une relation aux autres, une organisation de la politesse... Cette notion est liée aux années 1980, lorsque la mode a été consacrée comme un art et que les créateurs sont passés du statut d’artisan à celui d’artiste, notamment grâce à la création du Musée de la mode et du textile”, explique Catherine Join-Diéterle, directrice du Musée de la mode de la Ville de Paris (Musée Galliera). Évoquant plus volontiers la création contemporaine et le stylisme, le terme “musée de la mode” s’est progressivement substitué à celui de “musée du costume”. En témoigne le Musée Galliera, ancienne annexe du Musée Carnavalet inaugurée en 1956, qui s’est d’abord appelé Musée du costume de la Ville de Paris, puis Musée de la mode et du costume, avant de devenir, en 1997, le Musée de la mode de la Ville de Paris. Il est aujourd’hui riche de quelque 50 000 accessoires – souliers, sacs, éventails, coiffures, porte-bouquets, gants, lingerie – et 50 000 pièces de vêtements. Imaginé dès 1981, le Musée de la mode et du textile, héritier de l’Union française des arts du costume (Ufac), possède, quant à lui, un fonds de 81 000 ouvrages : 16 000 costumes, certains comprenant parfois jusqu’à une dizaine de pièces, 35 000 accessoires ainsi que 30 000 échantillons de textile. “L’association mode et textile, c’est ce qui fait la force du musée, indique Pamela Goblin, conservateur au musée. Pour nous, comme le montrent nos expositions, la mode du costume est indissociable de celle du tissu.” Outre les deux musées parisiens, dont les collections traitent du XVIIe siècle à nos jours, le Musée de la mode de Marseille, de proportions plus modestes, possède plus de 5 000 costumes et accessoires datant de 1945 à aujourd’hui. Fondé en 1989, il offre la particularité d’être intégré à l’Institut Mode-Méditerranée, un espace ouvert au monde extérieur, avec une politique de soutien en faveur des jeunes créateurs – par le biais de partenariats –, l’organisation de défilés, de conférences, de séminaires, de rencontres. D’autres musées, plus traditionnels, comme le Musée provençal de Grasse, spécialisé dans les costumes et bijoux provençaux des XVIIIe et XIXe siècles, présentent les costumes emblématiques de certaines régions. Plus de 90 % des collections des musées de la mode proviennent de donations de particuliers, fabricants ou créateurs. Le fonds du Musée Galliera a ainsi été constitué à partir des 2 000 pièces rassemblées par la société Maurice Leloir, en 1907, que sont venus enrichir les dons des descendants des comtesses Greffulhe, Anna Gould, de Mme de Galéa ou de la maison Balenciaga dans les années 1960. Aujourd’hui, le cercle très restreint des quelque trois cents femmes qui s’habillent en haute couture donne encore ses tenues lorsqu’elles sont démodées. “Le problème avec Yves Saint Laurent, c’est qu’il ne se démode jamais, s’amuse à dire Catherine Join-Diéterle. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Les maisons de couture donnent régulièrement, mais moins qu’autrefois, lorsque les pièces valaient moins cher. Ajoutez à cela qu’elles possèdent leurs propres musées.” Les maisons comme Dior, Hermès ou Givenchy ont en effet développé de véritables “musées” d’entreprise, comme vitrines de leurs créations et garants de leur mémoire. “Je préfère le terme de collection du patrimoine artisanal et industriel d’une marque de luxe à celui de musée d’entreprise”, insiste Marie-Sophie Carron, conservatrice de la collection Louis Vuitton, en charge de présenter d’ici 2003-2004 le prêt-à-porter, imaginé par Max Jacobs, dans l’ancienne demeure familiale, à Asnières. “J’opterai plutôt pour la formule des expositions temporaires, indique-t-elle. Des artistes pourraient être amenés à porter un regard neuf sur le patrimoine Louis Vuitton, à l’instar du travail de Sylvie Fleury, qui avait beaucoup plu à la maison.” Celle-ci avait en effet acquis une œuvre de l’artiste, Louis Vuitton (2000), réalisée avec un “keepall” (sac fourre-tout).
Entre musées des beaux-arts et de société
Malgré des budgets parfois restreints, les musées de mode entendent aussi développer leur politique d’acquisition. Pour Galliera, il s’agit de combler ses lacunes – comme des chaussures du XVIIIe siècle en bon état –, mais aussi d’acquérir les pièces de créateurs vivants. Loin d’être autonome, le musée dépend de la Ville de Paris. “On peut regretter que les crédits de fonctionnement baissent d’année en année, note Catherine Join-Diéterle. Mais, la Ville a investi dans quelque chose qui ne se voit pas à l’extérieur : des réserves et des ateliers exceptionnels.”
Situé au sein de l’Union centrale des arts décoratifs (Ucad), qui compte également les musées des arts décoratifs, de la publicité et Nissim de Camondo, le Musée de la mode et du textile fonctionne de manière particulière, puisqu’il est une association loi 1901. Mais toutes les collections permanentes appartiennent à l’État, qui lui verse une subvention pour assurer son seul fonctionnement. Tout ce qui concerne l’activité culturelle – enrichissement, restauration et valorisation des collections – dépend donc directement de l’association, dont les ressources proviennent du produit des entrées et du mécénat. “Nous travaillons avec quelques marchands, des réseaux de ventes publiques, de manière modeste mais attentive. Notre capacité d’achat est modérée”, reconnaît Béatrice Salmon, directrice des musées de l’Ucad. Lorsqu’il s’agit de constituer une collection contemporaine, les conservateurs rencontrent certaines difficultés : quels sont les critères de sélection ? Faut-il privilégier les pièces typiques d’une époque ou plutôt les œuvres originales de grands créateurs ? “Nous devons veiller à conserver l’exemplarité de certaines tendances, de certaines maisons, mais nous n’avons pas vocation à tout enregistrer non plus. Entre un créateur qui a une démarche expérimentale et la mode de la rue, on ne peut pas tout assumer”, explique Béatrice Salmon. Pour Catherine Join-Diéterle, il s’agit d’un nouveau rôle à jouer pour les musées de mode, “un rôle qui se situe entre le musée des beaux-arts et celui de société. C’est important d’avoir des collections qui correspondent à des pratiques, mais, en même temps, nous sommes là pour montrer l’excellence. La difficulté consiste à voir ce qui, d’une part, est créatif et ce qui, d’autre part, correspond à une mode... Par exemple, pour le caleçon, qui a sévi dans les années 1980, la solution serait de conserver un seul exemplaire, et non plusieurs.”
Secteur marginal de la culture
En raison de la grande fragilité des tissus, sensibles à la poussière, à la lumière et à la moindre manipulation, les musées sont contraints d’exposer les costumes par rotation ou temporairement lors d’expositions thématiques, comme le Musée de la mode de Marseille qui a accueilli dernièrement les créations de Chantal Thomass. En général, entre chaque manifestation, les musées doivent fermer leur porte, une discontinuité qui nuit à leur fréquentation. Avec ses 1 500 mètres carrés et ses vitrines particulièrement adaptées à la sensibilité des étoffes, le Musée de la mode et du textile, à Paris, présente ses collections dans des galeries permanentes, tout en organisant des expositions temporaires. C’est ce que souhaiterait faire à long terme le Musée Galliera, actuellement “condamné à deux expositions par an”, déplore Catherine Join-Diéterle. Pour sa part, le Musée de la mode et du textile projette de donner plus de place à la création contemporaine. “En plus des espaces consacrés à la collection, je voudrais que ce soit un espace conçu comme un lieu d’art contemporain, un lieu neutre et créatif, ouvert à toute forme d’art, comme la photographie, la vidéo ou la publicité. Les expositions privées que nous organisons participent autant à la mission de l’Ucad que les événements pour le grand public, remarque Béatrice Salmon. À l’origine, le musée a été conçu pour des professionnels, processus qu’il faut accroître : il faut rouvrir l’espace public aux créateurs ; pour qu’ils s’y sentent bien, il faut qu’ils y participent.” Pour l’heure, les musées de la mode parisiens doivent surtout faire face à un léger désintérêt du public, après l’euphorie qu’avait suscitée l’ouverture du Musée de la mode et du textile, en 1986. “Mais tant que les musées de la mode n’auront pas trouvé les relais d’opinion susceptibles d’attirer un large public, la mode restera un secteur marginal de la culture, conclut Catherine Join-Diéterle. De même, l’histoire de la mode doit trouver sa place à l’École du Louvre mais aussi à l’Université. Cette perspective est actuellement à l’étude avec la mise en place d’un enseignement doctoral dans les locaux de l’École normale supérieure à Fontenay-aux-Roses.”
Du 12 mars au 19 avril, l’Espace Paul-Ricard (9 rue Royale, 75008 Paris, www.espacepaulricard.com) propose avec “Rapprochements”?, une exposition au croisement entre art et mode. Sur un ton particulier, cette dernière ne porte pas tant sur les influences et les commandes que sur des affinités informelles. Le plissé d’Hantaï est ainsi rapproché de ceux désormais tout aussi fameux d’Issey Miyake. Plus abstrait, Yves Klein et Yohji Yamamoto sont présentés sous l’étiquette Total look/Monochrome. Enfin, plus canaille, le rayon “glamour”? regroupe Pierre & Gilles, Fabrice Hybert, Thierry Mugler et Azzedine Alaïa.
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Les musées de la mode sortent leurs griffes...
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Abonnez-vous dès 1 €- Musée de la mode et du textile, palais du Louvre, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50.
- Musée de la mode et du costume, palais Galliera, 10 avenue Pierre-Ier-de Serbie, 75016 Paris, tél. 01 56 52 86 20.
- Musée de la mode, Espace Mode-Méditerranée, 11 La Canebière, 13001 Marseille, tél. 04 91 56 59 57.
n Musée provençal du costume et du bijou, 2 rue Jean-Ossola, hôtel de Clapiers Cabris, 06130 Grasse, tél. 04 93 36 44 65.
- Musée du costume, 2 rue du Château, 58120 Château-Chinon, tél. 03 86 85 18 55.
- Musée du textile et des costumes de Haute-Alsace, parc de Wesserling, 68470 Husseren-Wesserling, tél. 03 89 38 28 08.
- Musée Dior, villa “Les Rhumbs”?, jardin public Christian-Dior, 50400 Granville, tél. 02 33 61 48 21.
- Musée international de la chaussure, 2 rue Sainte-Marie, 26100
Romans-sur-Isère, tél. 04 75 05 51 81.
- Musée du chapeau, 16 route de Saint-Salmier, 42140 Chazelles-sur-Lyon, tél. 04 77 94 23 29.
- Musée de la chemiserie et de l’élégance masculine, rue Charles-Brillaud, 36200 Argenton-sur-Creuse, tél. 02 54 24 34 69.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : Les musées de la mode sortent leurs griffes...