Nécropoles, mémoriaux et monuments internationaux profitent du Centenaire 14-18 pour entreprendre un vaste programme de réfection.
Le Centenaire œuvrera partout en France à la visibilité des lieux de mémoire liés à la Grande Guerre, déjà réalisée chaque année pour les commémorations rituelles. « On ne prévoit aucune rénovation particulière pour le Centenaire », affirme cependant Dave Bedford, superintendant à la nécropole militaire de Romagne-sous-Montfaucon (Meuse). Car un entretien minutieux a lieu quotidiennement dans le plus grand cimetière américain d’Europe, qui abrite les tombes de 14 246 États-Uniens, principalement tombés dans l’offensive Meuse-Argonne en 1918.
Concession perpétuelle
La taille des arbres, le remplacement des pierres de la chapelle-mémorial néoromane, le nettoyage des croix latines ou étoiles de David indiquant les sépultures sont assurées par 26 personnes, qui donnent au site une propreté et une symétrie parfaite. Cela grâce à un budget d’environ 1,6 million de dollars par an, issus de fonds publics et privés états-uniens, et réunis par l’American Battle Monuments Commission (ABMC) qui gère depuis 1923 l’entretien des monuments et cimetières des États-Unis à l’étranger. Les nécropoles militaires (2 330 datent de la Première Guerre mondiale sur le territoire français) sont en effet à la charge perpétuelle des États des soldats morts sur le champ de bataille.
Pour les Alliés, l’usage des terrains a été concédé par la France à perpétuité sous condition d’en faire des lieux de commémoration. L’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) est chargé d’entretenir les cimetières français pour le compte du ministère de la Défense ; la Commonwealth War Graves Commission (CWGC) s’occupe de ceux du Royaume-Uni, du Canada, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud et d’Inde, tandis que la Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge (VDK) est responsable des cimetières allemands. La CWGC (et l’ONACVG dans une moindre mesure) entretient également nombre de mémoriaux de la Première Guerre.
Si la CWGC tire ses financements des États membres au prorata du nombre de soldats commémorés – le Royaume-Uni étant le plus haut financeur à hauteur de 78,43 % – le VDK s’autofinance à 80 % grâce à 500 000 adhérents et donateurs environ. « Le VDK est en difficulté, soupire Julien Hauser, son délégué national. Les dons déclinent et le Centenaire ne crée pas en Allemagne la même mobilisation que dans les autres pays, les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale ayant souvent éclipsé l’intérêt pour la Première. Dans quelques décennies, les corps devront être placés dans des ossuaires car le VDK ne pourra plus entretenir les sépultures individuelles. » Un scénario difficile à imaginer pour les pays du Commonwealth où les pratiques commémoratives liées à la Grande Guerre restent très importantes. Britanniques et Australiens s’apprêtent à venir en masse visiter les tombes de leurs ancêtres, souvent enterrés en bordure des champs de bataille, à la différence des autres nations qui ont préféré construire des nécropoles de regroupement ou ont accepté que les corps soient rendus aux familles des défunts.
Restaurations galloises
La CWGC, omniprésente en Somme, a débuté en 2012 un large programme de rénovation de ses lieux de mémoire, associé à la pose de 253 panneaux explicatifs. L’immense mémorial de Thiepval, bâti entre 1928 et 1932, où sont inscrits les noms de soldats français et britanniques dont les corps restent à ce jour non identifiés, achèvera sa restauration à la mi-2014, lorsque toutes les briquettes composant son grand arc seront rejointées. La fameuse statue de dragon rouge, dédiée à la 38e division galloise ayant combattu dans le bois Mametz, et qui date de 1987, a quant à elle quitté son socle et reviendra en février après avoir reçu un coup de jeunesse.
Loin des budgets faramineux de la CWGC, l’ONACVG français n’est cependant pas dépourvu. « Nos crédits ont augmenté pour le Centenaire », explique Frédéric Charlet, conseiller auprès de la directrice générale de l’ONACVG, évoquant un budget de 1,69 million d’euros pour l’entretien courant et la valorisation (apposition de panneaux) des lieux de mémoire, et d’1,1 million d’euros pour les travaux de rénovation, principalement tournés vers la Meuse.
Si la consolidation des fondations et l’installation de murs anti-racines sur la porte monumentale de la célèbre Tranchée des baïonnettes – mastodonte en béton édifié sur les dépouilles de soldats que l’on a cru morts debout, fusils en main – ne commencera qu’en octobre 2014, afin de coïncider avec la période où la colonie de chauves-souris protégée qu’abrite la porte sera le moins dérangée par le bruit des travaux, la rénovation de la nécropole de Douaumont est en cours. Tandis que la restauration de l’ossuaire, surmonté d’une lanterne des morts de 46 mètres est encore en cours, le remplacement des 16142 stèles cruciformes et musulmanes rappelant l’architecture arabique s’est achevé en 2013.
Lisibilité des inscriptions
Regrèvement des stèles, changement des plaques…, la lisibilité des inscriptions sur les tombes est la priorité dans les nécropoles militaires. La pierre ayant subi trop d’érosion est remplacée et systématiquement détruite. Des restitutions à l’identique peu respectueuses de l’histoire du bâti, mais qui ont vocation à témoigner d’un entretien permanent et d’une victoire contre l’oubli.
Pour favoriser la médiation de ces lieux de souvenir, les centres d’interprétation vont se multiplier sur le territoire, à la nécropole américaine de Romagne-sous-Montfaucon en 2018 ou à la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette (Pas-de-Calais) en 2014. Ce dernier centre d’interprétation, d’une surface de 1 200 m2, géré par la Communauté d’agglomération Lens-Liévin présentera maquettes, films d’archives, tables tactiles et un dispositif multimédia retraçant le parcours des soldats inhumés. Il jouxtera un nouveau mémorial porté par la Région Nord-Pas-de-Calais, « élève vertueux du Centenaire », selon le rapport de 2011 du directeur général de la Mission du centenaire, Joseph Zimet (1), pour s’être attaqué, comme certaines collectivités des zones de front, conscientes de l’impact touristique du Centenaire, à ses chantiers avec un sérieux temps d’avance sur l’État. Ce monument en forme d’anneau imaginé par l’architecte Philippe Prost, qui déroulera dans l’ordre alphabétique et pour la première fois sans distinction de nation les noms de 600 000 soldats, a vocation à cimenter la réconciliation en gommant tout cadre national. L’édifice chiffré à 8 millions d’euros – dont 3 millions sont apportés par la Région – sera inauguré le 11 novembre 2014 par le président de la République après rallumage de la flamme du soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe.
Chaque année, début novembre, la célèbre flamme transite par le monument à la Victoire de Verdun, dont les marches, inscrites au titre de monument historique depuis 1989, ont été élevées en 1929 pour fêter la fin la reconstruction d’une ville détruite à 95 %. Noirci par la pollution et les intempéries, celui-ci devrait être nettoyé début 2014. Comme nombre de monuments commémoratifs dispersés sur le territoire, il appartient à la Ville.
Des monuments aux morts à rénover
Parmi les 6 000 communes françaises, nombreuses sont celles à planifier la restauration de leurs monuments aux morts, cénotaphes élevés après la guerre sous la pression des familles de soldats morts, dans un cadre peu à peu fixé par l’État. Certaines ont pris les devants : ainsi le minuscule village de Vauquois (Meuse), où s’est déroulée la guerre des mines de 1915 à 1918, a restauré son monument aux morts en 2012. Bâti en 1927, il figure Marianne entourée d’obus gravant les noms de sept soldats « morts pour la France », mention créée par la loi du 2 juillet 1915, et six civils. Les pierres de ses marches ont été remplacées, ses inscriptions refaites à la feuille d’or, ses chaines refaites… pour un coût de 30 000 euros. Une plaque déroule au sol une longue liste de souscripteurs avec, en première place, la Ville d’Orléans, marraine de guerre du village depuis 1919. Sont également cités l’ONACVG – qui prévoit dans son budget 2014 un fonds de 200 000 euros pour aide à la restauration des monuments aux morts – et la Fondation du patrimoine. Cet organisme privé, qui valorise le patrimoine rural non protégé, est actuellement très sollicité afin de lancer des campagnes de souscription nationale pour permettre la restauration de monuments aux morts qui, pour l’immense majorité, ne sont ni inscrits ni classés. La cocarde tricolore du Souvenir français, fixée sur le monument de Vauquois, atteste de la participation de cette association de bénévoles.
Créé en 1887, organisé en 1 700 comités à travers la France, le Souvenir français est l’un des principaux acteurs de l’entretien des lieux de mémoire de guerre. « Tous les maires nous contactent actuellement pour que l’on finance les travaux de leur monument », explique son président, le contrôleur général des armées Gérard Delbauffe, précisant ne rien prendre en charge « à plus de 20 % ». Celui-ci évoque avec un certain agacement le cas de communes n’ayant jamais possédé de monument aux morts – environ 1 % des municipalités françaises – mais qui, surfant sur la vague Centenaire, réclament aujourd’hui des financements pour en faire bâtir un.
Puisant dans un budget annuel de 4 millions, alimenté par des dons, quêtes et les cotisations de 200 000 adhérents, l’association est un important relais de l’État, nettoyant et fleurissant chaque année 30 000 tombes au sein de cimetières militaires. Elle entreprend également de réhabiliter les sépultures des poilus qui, selon le souhait des familles, ont été inhumés dans les cimetières communaux ; ces tombes, en déshérence pour certaines d’entre elles, sont menacées d’être reprises administrativement par les Villes et détruites. Quelques monuments ont aujourd’hui un avenir très incertain. Ainsi un monument en béton armé de Sedan (Ardennes), bâti entre en 1915 dans un style à l’antique par les Allemands durant la période d’occupation, situé à proximité de tombes depuis déplacées, pourrait s’effondrer. Jamais entretenu, il se dégrade chaque hiver. En 2012, le Mairie de Sedan, propriétaire du bâtiment, annonce sa destruction, estimant l’édifice dangereux et sa restauration trop coûteuse. La Société d’histoire et d’archéologie du Sedanais, association patrimoniale locale, alerte alors les historiens de la Grande Guerre, lesquels se mobilisent contre sa destruction, relevant l’importance de conserver l’un des derniers témoins d’une architecture allemande majoritairement détruite durant l’entre-deux-guerres.
Le bâtiment, dont des morceaux de pavement continuent de se détacher, est resté debout et nuls travaux ne sont à l’ordre du jour. La Ville, qui refuse aujourd’hui de s’exprimer sur ce dossier, l’a ceinturé d’une barrière de sécurité. Tandis que les élections municipales approchent, les journalistes allemands, à l’approche du Centenaire, commencent à s’intéresser de plus en plus à l’affaire.
(1) « Commémorer la Grande Guerre (2014-2020) propositions pour un centenaire international, rapport au président de la République », de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives
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Les lieux de mémoire se préparent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Les lieux de mémoire se préparent