PARIS
Fin de purgatoire pour Les Halles de Léon Lhermitte qui sont de nouveau visibles au Petit Palais après une restauration qui augure la fin du chantier des nouvelles Halles.
L'immense toile de Léon Lhermitte sort d’un long sommeil. Le réveil sonne en 2012 quand le Musée de la civilisation de Québec sollicite le prêt de l’œuvre pour figurer dans l’exposition « Paris en scène, 1889-1914 », close le 23 février dernier. Le tableau, restauré pour l’occasion grâce au mécénat de Rungis Marché International, retrouve ce mois-ci les cimaises du Petit Palais après plus de soixante-dix années passées dans ses réserves. Remontée sur châssis, décrassée, puis recouverte d’un léger vernis, la toile, d’une superficie de presque 26 m², a retrouvé l’harmonie de sa palette brune, ainsi que son emplacement initial, la galerie des grands formats du XXe siècle. L’œuvre, achevée en 1895, décorait à l’origine un salon de l’Hôtel de Ville de Paris. Le décor de l’édifice, depuis sa reconstruction après l’incendie de 1871, est confié à des artistes de l’École moderne à qui le conseil municipal réclame des représentations de la ville actuelle et des Parisiens dans leur quotidien. La réalisation de Lhermitte satisfait pleinement à cette exigence. Elle magnifie à la fois l’audace de l’ingénierie française contemporaine incarnée par l’architecture métallique de Victor Baltard, l’auteur des pavillons du même nom, et l’activité commerciale et populaire du plus grand marché de France que Zola surnommait le « ventre de Paris ».
Une toile peinte pour « les chercheurs de l’an 2000 »
Cependant, les modes changent et les tableaux passent à l’Hôtel de Ville. Le sujet des Halles, d’actualité à sa commande en 1889, ne l’est plus en 1904 quand la mairie décide de remplacer le tableau par une tapisserie des Gobelins. Le Petit Palais récupère alors l’infortuné dont le sort bascule de nouveau en 1942 pour sombrer dans les abîmes du dépôt d’Ivry, centre de stockage de la Ville de Paris. Leur purgatoire terminé, Les Halles font leur retour au Petit Palais à l’heure où s’ouvre l’exposition « Paris 1900, la ville spectacle ». Un titre en résonance avec le ballet incessant des porteurs des Halles. L’abondance des détails qu’apporte Lhermitte à sa description frappe les visiteurs qui découvrent le tableau au Salon de 1895. Le journaliste de La Paix souligne la valeur de témoignage de l’œuvre, qu’il dit avoir été conçue « pour les chercheurs de l’an 2000 ». Une prédiction plus vraie que jamais à l’heure où la mémoire des lieux se voilera bientôt d’une vaste canopée verte.
1 - Les pavillons de Victor Baltard
700 tonnes de fer, 600 tonnes de fonte, 2 millions de briques et 48 000 mètres cubes de béton sont nécessaires à l’architecte Victor Baltard (1805-1874) pour ériger les dix premiers pavillons des Halles commencés en 1854. Deux autres, conçus en 1936 sur le même modèle par René Dubos, achèvent l’ensemble du côté de la Bourse du commerce. L’utilisation à grande échelle du fer (charpentes et structures) et de la fonte (colonnes, éléments décoratifs) a le double avantage d’offrir une résistance au feu et d’augmenter les portées afin de soutenir les verrières des toits, tout en affinant les colonnes porteuses, élargissant au sol l’espace utile. Les baies zénithales sont ajourées afin d’assurer une ventilation efficace, condition pour vendre des produits frais. Chaque pavillon comprend 350 boutiques et repose sur deux niveaux de caves. Soucieux d’apporter à son chef-d’œuvre une indépendance énergétique, Baltard construit sous le pavillon n° 6 une usine électrique.
2 - Un inventaire des petits métiers
« La scène est d’une vérité saisissante », proclame le journaliste du Matin qui découvre le tableau de Léon Lhermitte en 1895. Il fait allusion à « cette foule hurlante et grouillante composée de Parisiens descendus des faubourgs et de paysans amenés de la banlieue » qui se bousculent dans les artères des Halles. Dans la cohue se faufilent des légions de porteurs aux affectations précises et hiérarchisées. Au sommet de la pyramide des manutentionnaires trônent les « forts », reconnaissables à leur blouse en toile bleue et leur chapeau à large bord. Ils contrôlent la place car ils sont responsables de l’organisation et du marquage des emplacements au sol. Sous leur direction s’agite la foule des porteurs : verseurs de poissons en marinière, meneurs de viande en blouse bleue, portefaix ou renforts équipés de « tortues », paniers d’osier de forme ovale et plate, appropriés au transport des fruits et légumes. Cet inventaire des petits métiers serait incomplet sans la marchande de soupe dont le commerce réchauffe les travailleurs à la tâche depuis l’aube.
3 - Le carreau, point central des halles
La toile de Lhermitte, « sans l’avoir vue », du temps de sa présence à l’Hôtel de Ville, « tous les Parisiens la connaissent ». « C’est la grande artère des Halles, entre neuf et dix heures du matin, avant que la cloche sonne et rende à la circulation ce gigantesque marché en plein vent », rapporte le journaliste du Temps dans son édition du 24 avril 1895. Cette partie des Halles, en plein air, avec en ligne de mire le chevet de l’église Saint-Eustache, se nomme le Carreau. Ouvert tous les jours, sauf le lundi, il était réservé à la vente directe de fruits et légumes. Les maraîchers étaient autorisés à y rester jusqu’à dix heures du matin, n’ayant besoin d’aucun intermédiaire pour vendre en gros aux Halles ou au détail aux particuliers. La marchandise était étalée à même le sol et alignée par variétés. Les potirons arrivaient d’Étampes ou de Montlhéry, les choux-fleurs de Chambourcy, le raisin chasselas de Thomery et les pêches de Vincennes. Au vu des fruits et légumes de saison décrits par Lhermitte, la scène se déroule au mois de septembre ou en octobre.
4 - Léon lhermitte en haut-de-forme
À la manière des couples de donateurs figurant dans les tableaux d’époque médiévale, Léon Lhermitte s’est représenté au côté de son épouse. Son chapeau haut-de-forme renseigne sur sa condition sociale élevée. Sa présence rappelle qu’aux Halles se croisent toutes les couches de la société. Déjà titulaire de la légion d’honneur en 1895, Lhermitte est nommé, cette année-là, président de la commission d’examen pour la section peintures à la Société nationale des beaux-arts. Ce salon accueille les peintres naturalistes depuis le coup d’éclat de Jules Bastien-Lepage exposant Les Foins, en 1877 (Musée d’Orsay). Le premier succès de Lhermitte vient avec La Paye des moissonneurs adressée en 1882. Son style tient de Lepage qui a dicté les codes d’une peinture réaliste à la féconde descendance. Avant Les Halles, le peintre avait déjà saisi l’animation populaire des marchés de province, dont celui de Château-Thierry, en 1879, situé en Picardie, sa région natale.
1844 Naissance à Mont-Saint-Père (Aisne)
1863 Monte à Paris, entre à la Petite École où il se lie avec Rodin
1882 Achat par l’État de La Paye des moissonneurs
1889 Premières esquisses pour Les Halles
1925 Meurt à Paris le 28 juillet
1971 Destruction des Halles
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les « Halles » de retour au Petit Palais
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Du 2 avril au 17 août. Musée des beaux-arts de la Ville de Paris-Petit Palais
Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h
Nocturne le jeudi. Tarifs : 11 et 8 €. Commissaires : Christophe Leribault, Alexandra Bosc, Dominique Lobstein et Gaëlle Rio
www.petitpalais.paris.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Les « Halles » de retour au Petit Palais