Depuis la mort d’Henry Moore, en 1986, les faux se multiplient. La Fondation Moore en a recensé plus de 350, dont plus de 150 sculptures et presque 200 dessins. Les pièces mises sur le marché peuvent valoir jusqu’à 300 000 francs. Le conservateur adjoint de la Fondation, Julie Summers, dresse l’état des lieux et met en garde les acheteurs.
LONDRES - Les faux qui préoccupent le plus la Fondation Henry Moore sont les copies de fontes connues et répertoriées. Elles ne sont pas faciles à repérer ; certaines, on le sait, ont pu s’infiltrer sur le marché en passant pour des Moore authentiques et trouver des acheteurs. Elles sont parfois tout à fait convaincantes : ce n’est que lorsqu’on les compare à une fonte de la sculpture originale qu’il devient évident que le faux est d’une qualité différente.
Une fonte obtenue par surmoulage est légèrement plus petite que l’original, car le bronze se rétracte en refroidissant, et l’on constate d’autres détails révélateurs, par exemple des défauts de patine qu’on ne verrait pas sur un Moore. Ces faux sont souvent montés sur des socles en marbre, ce qui est anormal, mais ces anomalies peuvent passer inaperçues si l’on n’est pas un expert.
L’œuvre la plus copiée est Reclining figure : Circle, 1983. Maquette for Reclining figure : Circle (LH 902), longueur 15 cm, qui a été fondue en 1983. Une version plus grande, Reclining figure : Circle (LH 903), longueur 89 cm, est sortie la même année de la fonderie Fiorini à Londres. (Ces pièces sont estimées respectivement entre 67 000 et 100 000 francs, et entre 209 000 et 292 000 francs, ndlr).
En mai 1987, la Fondation est contactée par une salle des ventes de Zurich, qui demande un certificat d’authenticité pour une œuvre, censée être de Moore, devant être mise en vente au mois d’août. L’œuvre est signée et numérotée 1/10 au sommet du socle. Il apparaît qu’elle est d’une dimension intermédiaire, soit 33 cm – ce qui ne correspond à aucune des deux éditions connues faites par Moore en 1983. Il s’agit donc d’un faux, s’inspirant soit de la maquette, soit de la version de dimension supérieure de Reclining figure : Circle. En outre, la signature n’est pas celle de Moore et la numérotation est incorrecte. Moore a coulé en neuf exemplaires aussi bien la maquette que la version de dimension supérieure. Or, cette fonte provient d’une série de dix. Au cours de l’année suivante, une autre fonte numérotée 8/10 apparaît à New York. Les questions concernant la provenance et les circonstances de la réalisation de la fonte ne reçoivent aucune réponse.
Par la suite, il devient clair que les faussaires n’ont pas décidé une fois pour toutes du nombre d’exemplaires des séries qu’ils coulent. En 1989, on voit apparaître respectivement à Saint Louis (Missouri) et à Madrid les fontes 2/7 et 3/4. La fonte 3/4, celle de Madrid, est accompagnée d’un certificat d’authenticité signé par un consultant du Fogg Art Museum de Boston, daté de mars 1979, indiquant que la "maquette en bronze signée H. Moore fait partie d’une série exécutée aux environs de 1950 et fondue par Hermann Noack à Berlin". La Fondation est extrêmement troublée par ce document aberrant, dont la date est antérieure de quatre ans à la période où Moore a conçu la Maquette for Reclining Figure Circle ; de plus, le Fogg Art Museum affirme ne jamais avoir entendu parler de ce prétendu consultant.
De toute évidence, quelqu’un a entrepris de produire ces sculptures et de les écouler systématiquement sur le marché. En 1990, la 1/7 apparaît à Berlin et la 4/9 à Boca Raton (Floride). En 1991, la Fondation reçoit de Tampa (Floride) la description d’une fonte signée mais non numérotée. La fonte 8/9 apparaît à Londres la même année, mais elle a été achetée en 1986 sur le Continent et est allée plus tard jusqu’à Rio de Janeiro.
La fonte 5/7 apparaît à New York en février 1991. En 1992, trois fontes sont signalées à la Fondation. La fonte 1/7 vient de faire son apparition en Californie. Nous sommes à peu près sûrs qu’il s’agit de la fonte de Berlin, que le comité d’experts de la Fondation a rejetée en octobre 1990. À cette occasion, nous découvrons le prix auquel se vend cette sculpture. Un amateur californien l’a payée 2 200 dollars (11 900 francs). Pour quiconque connaît l’œuvre de Moore, un prix aussi bas pour une sculpture de cette taille est forcément suspect.
En mai 1992, un collectionneur de New York écrit à la fonderie berlinoise Noack pour vérifier l’authenticité du poinçon figurant sur une sculpture à laquelle il s’intéresse. Il s’agit encore d’un exemplaire de la même série de faux. Il se trouve que Noack, qui a beaucoup travaillé pour Moore dès la fin des années cinquante, n’a fondu aucune des deux versions de la sculpture qui a inspiré les faussaires. Hermann Noack est furieux d’apprendre qu’une fausse estampille Noack figure sur la fausse fonte. À nouveau, toutes les tentatives pour en savoir plus sur l’histoire de cette sculpture ne débouchent que sur un silence frustrant.
En juin 1992, Sotheby’s New York contacte la Fondation pour avoir des renseignements sur la fonte 2/8. Par l’intermédiaire de Sotheby’s, on s’efforce d’obtenir de plus amples informations auprès du mandataire, mais rien ne vient et aucune photographie de cette fonte n’est communiquée. Mais c’est la première fois que la fonte 2/8 nous est signalée : il faut donc l’ajouter à la liste des œuvres, qui s’élèvent maintenant à neuf.
En 1993, un collectionneur de Floride fait état auprès de la Fondation d’une fonte signée, mais non numérotée, de la sculpture en question. C’est la deuxième fois qu’on nous signale une fonte non numérotée : il s’agit de la même fonte dont des photographies ont été examinées par la Fondation en 1991. Dans les deux cas, en effet, elle avait fait son apparition en Floride. En 1993 encore, un marchand londonien nous informe de la fonte 5/8. Là encore, peu d’indications sur sa provenance.
En 1994, de nouvelles fontes apparaissent. La 8/8 nous est signalée en juillet. Le cas le plus préoccupant est celui de la fonte 5/9, qui n’est pas répertoriée par la Fondation et se trouve sur le point d’être offerte au musée de Boca Raton, en Floride. Au début de juin, le musée écrit à la Fondation pour obtenir une confirmation de l’authenticité : notre réaction le stupéfait, ainsi que le donateur. Le possesseur affirme avoir acheté la sculpture à une galerie privée qui a fermé ses portes. Moins de deux mois plus tard, nous recevons une lettre d’un marchand de Palm Beach (Floride), qui demande une confirmation d’authenticité pour cette même fonte. En d’autres termes, l’œuvre a rapidement changé de mains, et on continuait à la faire passer pour un Moore alors que le musée de Boca et le donateur savaient qu’il s’agissait d’un faux.
C’est en septembre dernier que nous est parvenu l’indice le plus clair sur la genèse de cette affaire. Un marchand du Massachusetts nous contacte à cette époque au sujet d’une fonte non numérotée. Ayant appris que l’œuvre était un faux, il parvient à récupérer auprès de la salle des ventes la somme versée. Les organisateurs de la vente, très coopératifs, communiquent à la Fondation le nom et l’adresse du vendeur. Celui-ci se manifeste à son tour : il dit avoir acheté la sculpture lors d’une vente, en décembre 1993. Sachant que l’œuvre était un faux, il s’est rendu de nouveau aux ventes organisées par la même compagnie et "a vu la même fonte mise en vente à plusieurs reprises"
Il ne s’agit pas de la seule œuvre de Moore à avoir été copiée. Une fausse série de bronzes d’une maquette de Mother and Child (LH 682) est en circulation (cette pièce est estimée entre 83 500 et 125 000 francs, ndlr). Un des exemplaires de cette série, vendu dans une salle des ventes londonienne, est maintenant prêté en permanence à la Fondation Henry Moore. On pense que ce faux a été coulé à douze exemplaires au moins.
Par ailleurs, les sculptures qui s’inspirent du style de Moore sans reproduire une œuvre connue posent un problème plus délicat. On les considère comme des faux, et on s’efforce de retrouver leur provenance. Cette catégorie d’œuvres représente environ 30 % de la totalité des faux.
La Fondation Henry Moore reste convaincue qu’il existe d’autres fontes que celles portées à sa connaissance. Peut-être ne sait-on pas toujours, en dehors des marchands, des salles des ventes et des collectionneurs, que la Fondation assure une expertise gratuite des œuvres. Aucune n’est admise au rang d’authentique sans avoir été vue par tous les membres du comité d’experts. Les œuvres acceptées seront répertoriées dans le catalogue complet de la sculpture d’Henry Moore, édité par Alan Bowness et publié par Lund Humphries.
Même si des faux circulent, il ne faut cependant pas oublier que la majorité des œuvres soumises à la Fondation par les salles des ventes, les marchands, les collectionneurs et d’autres institutions sont authentiques.
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Les faux Moore se multiplient
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°8 du 1 novembre 1994, avec le titre suivant : Les faux Moore se multiplient