La précarité d’une partie des étudiants, la continuité pédagogique et la question du diplôme figurent parmi les préoccupations les plus critiques des écoles actuellement fermées.
France. Suite à l’arrêté du ministère de la Santé du 17 mars dernier interdisant « l’enseignement en présentiel », les établissements d’enseignement supérieur ont dû fermer leurs portes et faire face à la crise en temps réel. La nécessité d’assurer une continuité pédagogique s’est traduite par un recours massif au télé-enseignement, tandis que trois priorités s’imposaient aux écoles d’art : le soutien des étudiants les plus précaires ; le besoin de maintenir un lien, fût-il virtuel ; la question, enfin, des diplômes.
Privés de la possibilité d’exercer des petits boulots d’appoint ou d’effectuer des stages – les gratifications pouvant aller jusqu’à 600 euros mensuels – pour assurer un complément de revenus et payer leurs factures (loyer, téléphonie, etc.), de nombreux étudiants se retrouvent en grande difficulté financière. Plusieurs écoles ont ainsi déclenché des plans d’urgence. À Lyon, une caisse de solidarité a été mise en place afin de venir en aide aux étudiants précarisés de l’École nationale supérieure des beaux-arts. À Paris, l’Ensad (École nationale supérieure des arts décoratifs) a puisé dans son fonds de secours et mis en place un suivi psychologique et social, ainsi que des mesures de soutien en partenariat avec le Crous. L’école vient également de lancer une plateforme de collecte solidaire ouverte « aux dons des particuliers et des entreprises », afin de répondre aux multiples situations de détresse. À l’Icart (l’École de médiation culturelle de Paris), où les frais de scolarité s’élèvent de 7 500 à 9 000 euros par an, le directeur Nicolas Laugero Lasserre a consenti « des modalités de paiement exceptionnelles ».
La plupart des établissements ont choisi de tolérer un relatif défaut d’assiduité à distance. « Il ne s’agit pas d’être dans une continuité pédagogique forcée, assure Sylvain Lizon, directeur de la Villa Arson. Ce moment exacerbe les écarts qui existent, d’autant que le spectre sociologique des élèves en écoles d’art est très large. Nous soutenons donc les initiatives qui permettent de prolonger les cours d’une autre manière, mais nous n’allons pas sanctionner ceux qui, pour de multiples raisons, ne seraient pas en capacité de les suivre. Il y a un enjeu de solidarité, de bienveillance, qui s’impose à nous. »
Certains directeurs font le constat que l’école manque aux élèves, ces derniers exprimant leur « frustration » de devoir finir l’année scolaire avec des cours et des examens en ligne. « Nos étudiants pensent d’abord en fabriquant », note Raphaël Cuir, le directeur de l’Esad, l’École supérieure d’art et de design de Reims. Le besoin d’incarner l’esprit de communauté se traduit à la fois par l’entraide entre enseignants – les plus calés en informatique épaulant les moins technophiles – et par de nombreuses initiatives en ligne, expositions virtuelles, canal vidéo improvisé, et autres exercices de style plus ou moins bricolés, dont se félicite David Cascaro, directeur de la HEAR (Haute école des arts du Rhin). « Il y a une attention les uns aux autres, le sentiment d’appartenir à une communauté plus que jamais soudée. »
Reste la question sensible des diplômes, car, dans les écoles d’art, ils prennent le plus souvent la forme d’une présentation matérielle, voire d’une véritable exposition nécessitant un temps d’accrochage. Comment permettre aux étudiants de montrer leur travail si les locaux ne sont pas accessibles ? Très attendue, la communication ministérielle du 18 avril devait fixer un cadre général. Sans surprise, elle laisse une grande autonomie aux établissements, leur enjoignant de rester fermés au public et de gérer… au mieux. Tous les cas de figure sont envisagés : la suppression de l’épreuve terminale, son adaptation au contexte sanitaire, mais aussi « le contrôle continu et toutes les possibilités de dématérialisation et de validation à distance ». Le report est également possible « quand seront réunies les conditions de réouverture des écoles ». Cette dernière option est celle qu’ont retenue beaucoup d’écoles. « Nous sommes réservés sur la possibilité d’un DNA [Diplôme national d’art, équivalent d’une licence] en contrôle continu. Si les conditions sanitaires nous l’imposaient, nous rechercherons les solutions pour que les étudiants n’aient pas l’impression d’un diplôme au rabais ; d’où l’hypothèse aussi considérée d’un report en octobre, explique Raphaël Cuir. « La présentation de l’œuvre, la rencontre avec le jury constituent un moment pédagogique marquant », renchérit Jean de Loisy, le directeur de l’École des beaux-arts de Paris. Disposant d’une superficie de deux hectares et de trente-cinq ateliers, celle-ci tente de maintenir son calendrier en respectant les nécessaires distanciations. « Une cinquantaine de diplômes devraient pouvoir être validés en juillet », espère Jean de Loisy. Les autres le seront, comme d’habitude, en septembre et octobre.
L’Icart, dont la remise de diplômes a traditionnellement lieu en décembre, prévoit de la repousser au premier trimestre 2021, en pariant sur le fait que quelques élèves pourront ainsi effectuer leurs stages en les reportant en septembre. Une fois réglées au mieux ces questions d’agenda, reste toutefois « le sentiment d’un grand chamboulement et une certaine inquiétude sur l’insertion professionnelle de cette promotion », résume Nicolas Laugero Lasserre. Cette « séquence assurément inconfortable et anxiogène » est cependant « riche aussi d’enjeux multiples et passionnants », veut croire Emmanuel Tibloux, directeur de l’Ensad, dans un courrier électronique envoyé le 31 mars à l’ensemble des enseignants et des élèves de l’école. Le diplôme, vu comme une carte de visite précieuse pour l’entrée dans la vie professionnelle, ne se déroulera pas, « quoi qu’on fasse, dans des conditions normales », souligne-t-il. Mais c’est bien « la façon de prendre acte de ces nouvelles conditions » qui fera selon lui sa qualité intrinsèque. Quant à l’entrée dans la vie professionnelle, elle s’annonce, forcément, affectée par la crise sanitaire et ses répercussions économiques.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les écoles d’art s’adaptent tant bien que mal au confinement
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°544 du 24 avril 2020, avec le titre suivant : Les écoles d’art s’adaptent tant bien que mal au confinement