La foire de Maastricht s’est peu à peu imposée comme la foire d’antiquaires de référence. Mais son avenir passera sans doute par le moderne et le contemporain.
Qu’est-ce qui fait courir le gratin des marchands, collectionneurs et conservateurs chaque année à Maastricht ? Ni le climat peu amène, ni un maigre vivier de collectionneurs locaux, ni le charme de cette bourgade qui, pour être la plus vieille des Pays-Bas, n’est pas la plus dotée en joyaux culturels. Pas plus d’ailleurs que la physionomie de la MECC, où la foire a pris ses quartiers en 1988, centre de congrès efficace mais à l’esthétique aussi ingrate que les tristes bâtiments de la porte de Versailles à Paris. Depuis sa création en 1975 avec seulement 28 exposants, le salon n’a jamais misé sur autre chose que sur lui-même. Comme sa consœur d’Art Basel, Tefaf est ce que les professionnels appellent une destination fair, lancée ex nihilo dans une région au carrefour de l’Europe. Par un jeu de métonymie, le seul nom de « Maastricht » évoque d’emblée la foire.
Sociabilité lucrative
Montée en puissance dans les années 1990, la Mecque des foires d’antiquaires n’est pas un lieu de pavane, mais de sociabilité lucrative. « Les gens restent en moyenne entre six et huit heures à la foire, remarque le marchand munichois Konrad Bernheimer, président de la section des tableaux anciens à Tefaf. Les grands collectionneurs y restent plusieurs jours, voire une semaine entière. Ils se concentrent sur la foire, et, plus ils y restent, moins ils ont envie de repartir sans un trophée. » Quand les grands raouts multiplient les à-côtés, jouent la carte de l’esbroufe à coups de fanfreluches, Maastricht n’a qu’un mot d’ordre, le professionnalisme et la rigueur ! « Outre l’esprit très commercial traditionnel hollandais, le succès de Tefaf vient de sa structure. Le fait qu’il s’agisse d’une fondation (1) a permis de prendre des options qu’une société commerciale ou un syndicat n’aurait pas pu prendre, remarque l’antiquaire parisien Nicolas Kugel. La foire est annuelle, ce qui permet aussi de l’améliorer chaque année. Ce n’est pas une métamorphose complète contrairement à la Biennale des antiquaires, qui renaît à chaque fois du néant. » Tefaf s’est tellement imposée comme référence que toutes les foires essayent de près ou de loin de s’aligner sur son standard de qualité.
Avec la désertion depuis quatre ans des Américains, la manifestation a dû renouveler et internationaliser sa clientèle, longtemps circonscrite au nord de l’Europe (2). À la puissance de feu des amateurs italiens et au contingent espagnol, abonné du dernier week-end de la foire, s’ajoute depuis peu l’arrivée des amateurs sud-américains. Invités par les galeries et non par la foire, les musées arpentent aussi les allées avec leurs régiments de trustees. « Les musées visitent toutes les foires importantes, mais se réservent pour Maastricht où ils pensent trouver la plus belle marchandise », estime le marchand canadien Robert Landau. L’infrastructure de la ville n’est toutefois pas adaptée au bon accueil confortable des visiteurs et ne permet pas un accroissement des troupes. « Il n’y a pas assez de parkings, admet le marchand munichois Konrad Bernheimer, président de la section tableaux anciens. Un nouvel hôtel cinq étoiles va ouvrir dans un monastère, mais il est difficile de créer d’autres hébergements, car, durant l’année, il n’y a pas assez de monde pour les remplir. » Comme toutes les autres foires d’antiquaires, Maastricht peut difficilement compter sur des achats spontanés. Les transactions s’étirent de plus en plus, une élasticité qui balaye l’unité de lieu et de temps, argument fondateur des salons.
Reste à voir si Tefaf pourra maintenir longtemps son niveau d’excellence. « Le problème de Maastricht aujourd’hui, c’est qu’elle n’a plus à se prouver, mais à maintenir le niveau. Avant, il y avait des buts à atteindre. Maintenant, c’est presque plus difficile », convient Nicolas Kugel. La raréfaction est telle que les redites sont fréquentes. On retrouve notamment sur le stand de Konrad Bernheimer un très beau Pâris et Oenone de François de Troy, entrevu en septembre dernier à la Biennale des antiquaires, à Paris, et présenté pour 1,1 million de dollars (environ 861 000 euros) à Palm Beach ! en février. Pour la première fois depuis cinq ans, Tefaf, qui s’est longtemps contentée de foisonnants bouquets de tulipes, a opté pour de plus beaux atours. Espérons que le « relookage » intégral opéré par l’architecte néerlandais Tom Postma et le designer britannique David Bentheim ne se révèlera pas un cache-misère pour masquer la pénurie galopante en œuvres.
Obéissant aux lois inéluctables du marché, la foire a dû s’ouvrir en 1991 au XXe siècle. Ce secteur ne peut rivaliser avec la Foire de Bâle, mais les marchands d’art moderne tendent à quitter le giron des foires d’art contemporain pour les sphères antiquaires. « Peut-être devrions-nous avoir plus d’art contemporain. D’ici deux ans, Maastricht sera prêt pour ça », ajoute d’ailleurs le galeriste Robert Noortman. On devine un signe dans cette direction avec le rapport sur le marché de l’art moderne et contemporain publié cette année par Tefaf sous la férule du cabinet Kusin & Company. Le salon devra aussi se forger une section arts décoratifs du XXe siècle digne de ce nom. Et si l’avenir du bastion des tableaux anciens passait par le moderne ?
(1) depuis 1989.
(2) Les visiteurs sont pour 59 % d’entre eux néerlandais et pour 41 % étrangers.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Les clefs d’un succès