Des deux côtés de l’Atlantique, les années 1950 sont marquées par le dépassement de la forme. Alors qu’en France Fautrier, Michaux ou Wols empruntent des trajectoires singulières, l’Expressionnisme abstrait américain se libère du modèle européen. Le Musée de Lugano revient sur ces convergences, tandis que la décennie d’après-guerre est à l’honneur à Cahors et Carcassonne qui consacrent respectivement des expositions à Schneider et Poliakoff.
L’exposition du Musée cantonal d’art de Lugano envisage l’histoire de la peinture abstraite des années 1950 comme celle de la dissolution de la forme, de son dépassement. Même si elle prend comme sources Kandinsky, Klee et Prampolini, “Le vertige de la non-forme” fait la part belle à la décennie de l’”Art informel”, terme prononcé par Michel Tapié dans Un art autre (1952). À cette définition se raccrochent d’autres, synonymes ou voisines, comme le “Tachisme”, l’Abstraction lyrique”, voire l’”Expressionnisme abstrait” américain. Dans cette nébuleuse, les artistes sont aussi divers que leurs origines géographiques, mais leurs œuvres convergent. En Europe, l’après-guerre s’inscrit dans la continuité des travaux entamés avant le conflit, même si les aventures singulières comme celles de Michaux, Dubuffet, Fautrier, de Staël ou Wols sont préférées aux avant-gardes. Des groupes se créent, des amitiés se nouent, mais aucun mouvement ne s’autoproclame. La situation aux États-Unis est déjà différente, et l’on assiste à l’essor de New York comme capitale de l’art moderne. Les jeunes Américains bâtissent sur un territoire encore quasiment vierge, mais en partie balisé par les artistes exilés pendant la Seconde Guerre mondiale.
Encore en germe dans les motifs organiques et sous influence surréaliste d’Arshile Gorky, l’Expressionnisme abstrait trouve son héros avec Jackson Pollock, celui qui fut capable de sortir de la “boîte très bien faite” dénoncée par le critique Clement Greenberg comme la limite de l’art européen. Pourtant, les échanges sont nombreux et la centaine d’œuvres, peintures, dessins et aquarelles présentées au Musée cantonal d’art de Lugano prouvent que l’histoire des années 1950 n’est pas seulement celle du passage de témoin ou de la concurrence entre les deux continents. “La recherche esthétique pour une communication entre les chefs-d’œuvre ne devant rien aux classicismes mais en complet appariement avec les notions autres et les idées, c’est-à-dire les plus hautes nécessités de maintenant, se doit de maintenir l’art et l’homme, au cœur du devenir de l’aventure créatrice, dans la plus passionnelle des rigueurs”, écrivait en 1957 Michel Tapié (“Une morphologie autre” in L’Œil, livraison d’octobre).
Les années glorieuses de Gérard Schneider
Né à Sainte-Croix en Suisse en 1896, disparu à Paris en 1986, Gérard Schneider est l’un des principaux protagonistes de l’Abstraction lyrique, marquée par l’usage de larges aplats à l’exécution rapide. Si son œuvre reste moins populaire que celles de Pierre Soulages et de Hans Hartung, il n’en fut pas moins un des représentants majeurs de la scène artistique française des années 1950, exposant en 1948 à la Biennale de Venise et en 1951 à celle de São Paulo. C’est justement aux années 1950, qualifiées de “glorieuses” pour le peintre par Michel Ragon, que le Musée Henri-Martin de Cahors s’attache à travers la présentation d’une cinquantaine de toiles.
- GÉRARD SCHNEIDER, LES ANNÉES 50, Musée Henri-Martin, 54 rue Émile-Zola, Cahors, tlj sauf mardi, 11h-18h, tél. 05 65 30 15 13.
Poliakoff à Carcassonne
Le nom de Serge Poliakoff (1900-1969) est intimement lié à l’essor de la peinture française d’après-guerre. Ce dernier, né en Russie, n’est pourtant arrivé à Paris qu’en 1923. Auparavant, il aura séjourné à Constantinople, Sofia, Belgrade et Berlin. Recueillant l’héritage historique de Delaunay et d’Otto Freundlich, il apparaît à la fin des années 1930 dans la lignée d’une abstraction chromatique riche. C’est d’ailleurs par la couleur qu’il décide après la guerre de s’affranchir de la rigueur géométrique. Même si elle connaît par la suite quelques infléchissements, cette manière perdure ensuite tout au long de sa carrière comme le prouvent la cinquantaine de peintures réunies par le Musée des beaux-arts de Carcassonne, d’un Autoportrait de 1935 à une dernière Composition abstraite restée inachevée.
- SERGE POLIAKOFF, du 26 octobre au 26 janvier, Musée des beaux-arts de Carcassonne, 1 rue de Verdun, Carcassonne, tlj sauf dimanche et lundi, 10h-12h, 14h-18h, tél. 04 68 77 73 71, cat.
Poésie illustrée
“Je ne fais pas mes livres pour cacher, abriter, valoriser mes poèmes. Ce ne sont ni mes alibis, ni mes retraites. Ils sont l’expression dernière, monumentale, achevée de la patience du poème”, expliquait Pierre Lecuire. Jusqu’au 13 janvier 2002, la Bibliothèque nationale rend hommage à cet “architecte du livre” qui a su au fil des pages donner une nouvelle impulsion à l’édition d’art, de 1950 à nos jours. L’exposition réserve d’ailleurs une large place aux “années Staël”. De Voir Nicolas de Staël, paru en 1953, au suicide du peintre à Antibes en 1955, la collaboration entre les deux hommes aura donné naissance à une dizaine d’ouvrages.
- PIERRE LECUIRE, jusqu’au 13 janvier, Bibliothèque nationale de France, galerie Mansart, 58 rue de Richelieu, Paris, tlj sauf lundi, 10h-19h, le dimanche 12h-19h, tél. 01 53 79 59 59, www.bnf.fr, cat.
- DE KANDINSKY à POLLOCK, LE VERTIGE DE LA NON-FORME, jusqu’au 6 janvier, Musée cantonal d’art de Lugano, 10 rue Canova, Lugano, tlj sauf lundi, 10h-17h, tél. 41 91 91 01 47 80, cat.
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Les années 50 ont toujours la forme
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Les années 50 ont toujours la forme