La photographie ancienne, qui a connu une phase de croissance exponentielle en dix ans, attire un nombre toujours croissant de collectionneurs, et cela n’est pas fini. Si, parallèlement, la quantité de marchandises offertes sur le marché est aujourd’hui très importante, l’œil de l’amateur éclairé reste sélectif, qu’il se porte sur les grandes signatures du XIXe siècle ou sur les belles images inconnues de la même époque.
Le 27 octobre 1999, à Londres, Sotheby’s dispersait la première partie de la collection de photographies du libraire André Jammes. Avec plus de 10 millions d’euros de produit réalisé, moins de 7 % de lots invendus et plusieurs records atteints, à l’instar de la Grande Vague, Sète – un tirage de 1855 de Gustave Le Gray adjugé 507 500 livres sterling (791 000 euros), la photographie la plus chère au monde –, cette vacation couronne la reconnaissance d’un marché récent qui, après avoir été longtemps confidentiel, a acquis en une dizaine d’années ses lettres de noblesse. Entre 1992 et 2002, en moyenne, le prix d’un tirage ancien a triplé. Les ventes publiques, régulières et prestigieuses, se sont multipliées, dans l’Hexagone plus qu’ailleurs puisque la France enregistre 57 % de parts de marché mondiales en nombre de lots vendus : avec 1 000 tirages adjugés au cours du premier semestre 2002, jamais le volume de transactions n’aura été aussi important (1). En outre, la gamme des prix aux enchères reste très large : 80 % des épreuves anciennes trouvent preneurs à moins de 4 500 euros (2). Le lancement en 1997 dans la capitale du salon Paris Photo correspond à l’envolée du marché de la photographie. Ce rendez-vous annuel, qui est devenu un événement mondial très attendu des acheteurs, contribue grandement au développement de ce marché. Les musées internationaux sont aussi de plus en plus actifs dans leurs achats. “Paris Photo donne une vision très large de la photographie, des primitifs à la création contemporaine, observe le marchand Laurent Herschtritt. Je constate qu’une catégorie de collectionneurs d’œuvres du XXe siècle, qui a compris l’esprit de la photographie du XIXe siècle, s’oriente aujourd’hui vers la photographie ancienne.” Salomé Michell, du département des Photographies chez Christie’s à Londres, confirme également cette tendance. Les belles épreuves les plus anciennes sont à présent établies comme les valeurs sûres du marché de la photographie. “Les prix de la photographie du XIXe siècle ont beaucoup monté en dix ans, mais d’une façon sélective, explique Salomé Michell. Les valeurs se sont vraiment envolées pour les tirages des grands noms de la photographie primitive, c’est-à-dire de la période 1840-1860, dans un bel état de conservation et avec une bonne provenance.” Parmi les grandes signatures de cette époque, citons les artistes français Baldus, Bayard, les frères Bisson, Du Camp, Le Gray, Le Secq, Nadar et Nègre, les Anglais Cameron, Carroll, Fenton, Hill & Adamson, Rejlander et Talbot, et les Américains Greene, O’Sullivan, Southworth & Hawes et Watkins.
Si les plus belles enchères sont toujours liées à l’esthétique de l’image et à son état de conservation, elles ne concernent pas toujours les plus grands noms. Une étude d’Artprice va dans ce sens : le marché est actuellement soutenu par des artistes qui n’ont pas encore occupé le devant de la scène. “C’est un art jeune, précise l’expert français Pierre Marc Richard. Il y a encore des trouvailles à faire, même s’il y en aura de moins en moins.” L’œil du collectionneur se tourne de plus en plus vers les œuvres d’amateurs – souvent de grands bourgeois qui n’ont pas exposé, mais dont les photographies ont un réel intérêt artistique et commercial. “Par exemple, Vallou de Villeneuve (1795-1866) a fait des nus extraordinaires”, souligne Laurent Herschtritt. Et les véritables talents sont rapidement reconnus dans ce domaine. Tel est le cas de l’œuvre de Jean-Baptiste Frenet (1814-1889), qui fut découvert par le public lors de la mise à l’encan de l’atelier du photographe le 22 janvier 2000 à Drouot. Ses portraits, accessibles à partir de 2 000 euros, et dont le plus beau, Trois modèles féminins légèrement dénudés posant dans un clair-obscur, est parti à plus de 15 000 euros, sont à présent recherchés par les amateurs éclairés. “Ce qui compte, c’est la qualité, insiste Pierre Marc Richard. Il existe beaucoup de collections fondées sur l’esthétique. Aussi n’est-il pas surprenant de voir aujourd’hui une belle image, même anonyme, atteindre 15 000 euros en ventes publiques. Ces images sont des pièces que l’on aurait jamais regardées il y a quinze ans et qui sont autant de pièces de puzzles que l’on arrive quelquefois, par la suite, à attribuer.” Selon l’expert, “le jour où l’on organisera de belles ventes de photographies anonymes n’est pas loin. Mais, pour trouver un chef-d’œuvre inconnu, il faudra brasser des milliers de choses ennuyeuses”. Le marché n’en a pas fini de livrer des trésors. C’est également ce qui emballe collectionneurs et marchands. Pour Laurent Herschtritt, “il y a encore des tonnes de photographies à découvrir. On pense que l’on en est à un tiers. Si de nos jours les prix sont stables, une image qui sort de l’ordinaire peut faire vingt fois le prix estimé.” L’expert parisien Marc Pagneux se réjouit de toutes les initiatives, de plus en plus nombreuses, qui sont favorables au marché de la photographie. “Outre les expositions consacrées à la photographie qui ont lieu partout en Europe, l’inauguration de la galerie permanente de photographie au Musée d’Orsay est un événement important qui aura des répercussions sur le marché. Car cela ne peut que faire naître des vocations de collectionneur. Et maintenant qu’il existe en France un enseignement de l’histoire de la photographie – ce qui n’était pas le cas il y a quinze ans, on peut passer aux choses sérieuses."
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’envolée des images anciennes
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : L’envolée des images anciennes