À la fin du XIXe siècle, les Gallé, Daum, Majorelle et autres Prouvé allaient faire de la capitale lorraine l’un des principaux foyers de l’Art nouveau en Europe. 1999, année de l’École de Nancy, sera ponctuée d’une série de manifestations rappelant son exceptionnelle fertilité. La réouverture du Musée des beaux-arts agrandi en constituera le prélude.
En 1735, le duché de Lorraine revient au roi de Pologne déchu, Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV. De ce passé royal, le nouveau duc a gardé le goût des fastes, et il fait de son domaine, avec la collaboration de l’architecte Emmanuel Heré, un des hauts lieux du style rocaille. La place Stanislas, point d’orgue de ses somptueux travaux d’aménagement urbain, accueille depuis 1936 le Musée des beaux-arts, à l’extension duquel ont travaillé Jacques et Michel André, avec leur père Émile, le célèbre architecte Art nouveau. Laissé inachevé, ce projet a été repris il y a trois ans, et la réouverture du musée, début février, constituera le premier événement de l’année 1999, vouée à la célébration de l’École de Nancy. Avec le XVIIIe siècle, le temps de l’Art nouveau, conjuguant réussite économique et artistique, constitue certainement un des moments les plus glorieux de l’histoire régionale, et justifie les manifestations de toutes sortes (expositions, conférences, colloques...) prévues pour 1999 dans la région nancéienne.
Cette singulière efflorescence est paradoxalement le fruit d’une cruelle amputation : l’annexion par l’Allemagne d’une partie de la Lorraine, consécutive à la défaite de 1870. Pour échapper au joug prussien, beaucoup, à l’instar du verrier Jean Daum ou de l’ébéniste Jacques Gruber, ont fui Metz et ses environs, et trouvé refuge à Nancy rapidement promue capitale économique de l’Est français. Les industries d’art, sans brasser des sommes comparables aux aciéries, n’ont pas été étrangères à la prospérité de la ville et ont contribué à faire de la cité lorraine un des principaux foyers de l’Art nouveau en Europe. Émile Gallé (1846-1904), Louis Majorelle (1859-1926), Auguste (1853-1909) et Antonin (1864-1930) Daum, Victor Prouvé (1858-1943), Eugène Vallin (1856-1922), Émile André sont les protagonistes de cette école qui, en 1901, prit la forme officielle de l’Alliance provinciale des industries d’art. On situe traditionnellement son apogée entre l’Exposition universelle de 1889, qui voit le triomphe de Gallé et de Majorelle, et l’Exposition internationale de l’Est de la France en 1909, à Nancy.
Une relation ambivalente à la tradition
Résolument tournée vers les formes de la nature, et hostile aux styles de tout poil déclinés à l’infini par les artistes et les décorateurs du XIXe siècle, les tenants de l’Art nouveau, comme Majorelle et ses luxueux meubles ornés de bronzes, se rapprochent parfois des modèles Louis XV, également inspirés du répertoire naturel. La mise en évidence des sources de l’École de Nancy sera l’un des enjeux de la grande rétrospective qui lui est consacrée aux galeries Poiriel récemment restaurées. Juste retour des choses, c’est là qu’avait été présentée la donation Corbin en 1935, composée de pièces essentielles conservées au Musée de l’École de Nancy, aujourd’hui installé dans l’ancienne propriété du donateur. Cette exposition proposera, à travers près de 400 œuvres, un panorama de toutes les techniques concernées, qui s’unissaient souvent dans la réalisation de chantiers architecturaux et décoratifs. Si l’exemple le plus achevé de cette fusion reste la villa Majorelle, construite au tournant du siècle par Henri Sauvage, alors jeune architecte, avec la collaboration du commanditaire Louis Majorelle qui assume l’étourdissant décor intérieur, Nancy abonde en témoignages architecturaux de cette époque fertile. De nombreux parcours dans la ville inviteront à découvrir ces édifices, pour la plupart inscrits à l’Inventaire des Monuments historiques : de la simple maison à l’immeuble d’habitation en passant par la villa et la banque, construits par Émile André, Paul Charbonnier, Lucien Weissenburger, Eugène Vallin ou encore Charles-Désiré Bourgon. Tous ces architectes seront au cœur de l’exposition “De l’esquisse au chantier, l’architecture et l’Art nouveau à Nancy, en Meurthe-et-Moselle et en Lorraine”, présentée à l’Hôtel du département.
À l’écoute de la nature
Toutefois, malgré les audaces de son architecture, plus sensibles dans le décor que dans l’organisation de l’espace, Nancy a conquis ses lettres de noblesse artistique dans le domaine des arts décoratifs. Émile Gallé, verrier, céramiste et ébéniste, se présente à tous points de vue comme le fer de lance de l’Art nouveau. Ses créations marient expérimentation technique et audace poétique, et leurs affinités avec le Symbolisme ambiant affleurent dans les titres de ses œuvres – parfois des vers sont inscrits sur les objets – et dans leur aspect insolite. “Nos racines sont au fond des bois, parmi les mousses, autour des sources”, cette devise de Gallé donne son titre à l’exposition organisée par le Musée de l’École de Nancy afin de mettre en évidence la variété de l’inspiration de ces artistes, de la représentation du motif végétal à son interprétation dans la structure ou la forme des œuvres. Pionnier dans le maniement de formes organiques, Gallé sera bientôt suivi par les frères Daum, qui contribueront à répandre ses innovations. La collection Daum constituée par le Musée des beaux-arts depuis 1980, riche de quelque 400 pièces, permet de mesurer l’ampleur de la production sortie de leur manufacture.
Face à la débauche créative des arts décoratifs, la peinture fait figure de parent pauvre dans le tableau de cette époque. Y a-t-il, au-delà de la coïncidence chronologique, de quelconques affinités entre l’Art nouveau et la peinture de son temps ? L’exposition “Peinture et Art Nouveau”, au Musée des beaux-arts, s’efforcera d’apporter une réponse convaincante à cette question, en mettant en avant les figures d’Émile Friant et de Victor Prouvé, plus connu pour ses créations décoratives. D’autres manifestations s’attacheront à Victor Prouvé et à d’autres peintres lorrains, tel Jacques Majorelle dont une rétrospective est annoncée, toujours au Musée des beaux-arts, en novembre 1999.
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L’Ecole de Nancy refleurit
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : L’Ecole de Nancy refleurit