Ce palmarès confirme l’importance du patrimoine dans les stratégies culturelles des métropoles, qui privilégient pareillement leurs musées.
Quelles sont les composantes du dynamisme culturel des grandes villes ? En individualisant les profils, le Palmarès du Journal des Arts livre un instantané beaucoup moins homogène que la taille limitée de l’échantillon étudié pourrait le laisser le croire (33 villes de plus de 100 000 habitants, hors Paris, villes de banlieue et d’outre-mer). Ainsi, si les Villes consacrent en moyenne 13,7 % de leur budget à la culture, l’écart entre les plus généreuses (plus de 20 %) et celles qui le sont moins (moins de 10 %) va du simple ou double.
Sans surprise, on observe une très forte corrélation entre le trio de tête du classement (Lyon, Bordeaux et Strasbourg) et leurs dépenses et investissements culturels. Ces chiffres sont cependant à prendre avec précaution, la montée en puissance de l’intercommunalité peut parfois fausser les résultats, comme pour ce bien faible taux de 3,6 % de Montpellier qui doit être complété par les dépenses culturelles de Montpellier Agglomération.
Le montant total des dépenses culturelles s’élève à 1,5 milliard d’euros et représente ainsi 34 % des dépenses culturelles des 866 villes comptant plus de 100 000 habitants. Les villes, et notamment les grandes villes, sont donc devenues des acteurs majeurs du financement et du développement culturel. Cependant en 1981, la part du budget consacré à la culture était déjà de 11,4 %. Cette hausse apparemment faible de seulement 2,3 points ne rend pas suffisamment compte du dynamisme des villes dans la promotion du patrimoine, des musées, des arts visuels et du marché de l’art, le territoire de cette étude du JdA. Nous ne disposons pas des dépenses culturelles dans le détail pour ces grandes villes, mais une étude du service statistique du ministère de la Culture en 2006 pour les villes de plus de 100 000 habitants montre que celles-ci se répartissent comme suit: spectacle vivant : 33 %, musées/patrimoine/arts visuels : 21 % ; bibliothèque : 20 % ; action culturelle : 18 %. Il est probable que la catégorie qui nous intéresse soit celle qui progresse le plus vite et qui attire le plus l’attention des médias.
Alors que les premières Capitales européennes de la culture que furent Paris (1989) et Avignon (2000) se sont déroulées dans une certaine indifférence, « Lille 2004 » a révélé l’enthousiasme du public en région pour ce type de manifestation, rejaillissant en retour sur l’image de la ville qui n’apparaît pourtant qu’au 10e rang de notre classement (1). Entre-temps, de nombreuses villes ont concouru au titre de « Capitale 2013 », n’hésitant pas à élaborer des projets ambitieux portés par des personnalités connues, sur le même modèle que les Jeux olympiques. Même la compétition entre les quatre finalistes (Bordeaux, Lyon, Marseille, Toulouse) fut très fortement relayée par les médias.
Le poids du patrimoine
Le point commun de ces quatre villes ? L’étendue du patrimoine bâti historique, qui constitue le socle de leur dynamisme culturel. Une ville d’art se vit d’abord par son centre-ville. Les centres historiques du trio de tête du classement sont tous classés patrimoine mondial de l’humanité. L’hyper centre que constitue la place Stanislas de Nancy (4e) figure également sur la Liste de l’Unesco. Cette évidence historique s’impose à un point tel que, sur les huit premières villes du Palmarès disposant d’une architecture multicentenaire, seulement deux (Bordeaux et Dijon) n’ont pas demandé le label « Ville ou Pays d’art et d’histoire », lequel existe pourtant depuis près de trente ans. Un quartier riche de vieilles demeures, églises ou bâtiments publics anciens, souvent piétonnier, est le lieu de convergence naturel des habitants et des touristes. Les municipalités ont compris la nécessité de faire vivre ces lieux : 44 % des sites protégés étaient ouverts lors des Journées du patrimoine 2013, un record.
Le haut et le bas du Palmarès du JdA sont assez bien corrélés avec la répartition des 4 007 monuments protégés (soit 9 % du total national). Les cinq premiers disposent de près d’un tiers des sites inscrits ou classés, tandis que les cinq derniers n’en détiennent que 5 %. Par leur histoire ou les destructions liées à la Seconde Guerre mondiale, des villes comme Brest, Perpignan ou Toulon sont peu dotées. Pourtant, la richesse patrimoniale ne détermine pas systématiquement le dynamisme culturel. Ainsi, avec seulement 26 monuments historiques, Le Havre (19e) devance largement Aix-en-Provence (28e) et ses 155 sites protégés.
Des musées très choyés
Nombre de ces bâtiments historiques abritent par ailleurs des musées. Les musées sont très certainement les grands bénéficiaires du volontarisme culturel des villes. Les grandes villes en possèdent en moyenne 7,7 ; les trois premières du classement en comptent plus de 10. Mais quantité ne rime pas toujours avec qualité. Alors que Marseille se targue de 23 musées, bien peu d’entre eux, avant « Marseille-Provence 2013 », ne pouvait prétendre à un rayonnement ne serait-ce que national. Du reste, aucun ne participait jusqu’à présent au Palmarès des musées du Journal des Arts, expliquant le zéro pointé pour ce critère qui additionne les points de chaque musée participant (lire le JdA no 394, 21 juin 2013).
La quasi-totalité des villes ont, dans les vingt dernières années, rénové leur musée de beaux-arts ou construit des musées d’art contemporain. Signe qui ne trompe pas, 85 % des musées participent à la Nuit européenne des musées. Presque tous mènent une politique volontariste d’expositions temporaires même si les grands musées, ceux qui disposent des collections permanentes les plus riches (Lyon, Strasbourg, Nancy, Rouen, Nantes, Montpellier), sont aussi ceux qui bénéficient des budgets les plus importants pour monter des expositions d’envergure nationale… et le faire savoir. Mais il faut parfois se méfier des effets de communication. Vue de Paris, Nantes, la ville du Premier ministre, jouit d’une image culturelle flatteuse alors qu’elle est classée derrière Besançon, plus discrète. La politique culturelle a néanmoins un coût, et l’on constate que bien peu de municipalités ont, à l’exemple de Paris, instauré la gratuité d’accès aux collections permanentes. Elles ne sont que 7 dont 4 municipalités de droite, ce qui va à l’encontre de quelques idées reçues.
Une scène artistique handicapée par un faible marché de l’art
Sur le papier, l’écosystème de la création pour les arts visuels dans les grandes villes semble satisfaisant. Toutes les villes, à l’exception de Lille (mais les écoles de Dunkerque-Tourcoing et Valenciennes ne sont pas loin), disposent d’une école supérieure d’art dont certaines (Lyon, Nice, Nantes…) rivalisent avec Paris. Les jeunes diplômés peuvent, plus facilement que les Parisiens, s’installer dans des ateliers, en raison d’un prix de l’immobilier trois fois moindre que dans la capitale. Ils peuvent profiter d’un tissu d’ateliers municipaux qui commence à se développer. Notre enquête en dénombre au moins 440. Lyon et Bordeaux se détachent nettement par leur politique en la matière, avec une mention spéciale pour Rennes (15e), moins riche que ces deux capitales régionales et qui dispose pourtant de 34 ateliers.
Dans l’ensemble, les grandes villes ne manquent pas de lieux de diffusion, que ce soit des lieux d’exposition au sens large ou des centres d’art dans l’acception plus réduite du terme. Outre les écoles elles-mêmes, qui exposent les travaux de leurs étudiants, on en compte 279, auxquels s’ajoutent les Frac (Fonds régionaux d’art contemporain). Certains jouissent d’un rayonnement national voire international (Le Magasin à Grenoble, le Consortium à Dijon, La Criée à Rennes, le CCC à Tours, les Frac situés à Orléans, Amiens, Reims, Limoges, Montpellier…). Enfin, mais il leur faudra attendre encore un peu pour y exposer, les régions possèdent des musées d’art contemporain renommés (Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Nice, Nîmes, Saint-Étienne).
Il convient de noter cependant qu’aucune ville (sauf Metz et Amiens) n’a repris le concept parisien de Nuit blanche dont le coût rapporté à la brièveté de l’événement est trop élevé. Les municipalités préfèrent investir sur des manifestations plus longues, type biennale, dont celle d’art contemporain de Lyon (1re) fait autorité. Face à elle, les autres villes cherchent à se spécialiser : l’urbanisme à Bordeaux (Agora), la jeune création à Mulhouse, l’image à Nancy, l’architecture à Orléans, le design à Saint-Étienne, le verre à Strasbourg.
Les villes mènent également depuis quelque temps une politique ambitieuse de commandes publiques, au nombre total de 622. Les œuvres in situ sont devenues les compléments indispensables aux réaménagements de zone, comme pour les Rives de Saône à Lyon ou des nouvelles lignes de tramway, ceci indépendamment des obligations liées au 1% artistique (Nice, Brest, Strasbourg).
Pour autant, s’il a existé au cours des trente dernières années des foyers créatifs (Grenoble, Nantes, Nice), la province ne parvient pas à entretenir des places fortes et pérennes. L’explication est à chercher dans l’absence de lieux de vente établis. Si l’on dénombre beaucoup de galeries (217), très peu jouissent d’un rayonnement national, à telle enseigne que, cette année à la Fiac, deux galeries seulement dont Cortex Athletico (Bordeaux, Paris) représentaient la province. Le constat est plus sévère encore pour les foires où seules émergent celles de Strasbourg (St-Art), Lille (Art Up !) et Lyon (Docks Art Fair), sans rivaliser avec Paris. De sorte que les collectionneurs d’art contemporain préfèrent aller à Paris, entraînant dans leur sillage les artistes.
Le marché de l’art est cependant plus actif pour l’art ancien. La plupart des villes offrent un petit salon d’antiquaires et toutes (un bénéfice du long monopole territorial des commissaires-priseurs) disposent d’une ou de plusieurs salles de vente. Avec un produit total d’adjudication de 128 millions d’euros, elles ne pèsent que 10 % du chiffre d’affaires national (monopolisé par Paris), mais, çà et là, quelques maisons de ventes font un travail solide (Leclere à Marseille, De Baecque à Lyon).
Cette enquête est la première du genre, et probablement la dernière dans ce format. Nous l’avons évoqué plus haut, le mouvement vers l’intercommunalité est irréversible. La loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004 n’a pas transféré les compétences culturelles aux regroupements de commune, mais le développement culturel est de plus en plus envisagé sur un territoire qui englobe toute la métropole et s’étend aux quartiers. Un classement culturel des agglomérations donnerait certainement de tous autres résultats.
(1) Cette 10ie position de Lille s’explique par l’absence d’école supérieure d’art. Dans le cas inverse, la ville de Martine Aubry se classerait probablement en 4e position.
La ville de Lyon, vue de Notre-Dame-de-Fourvière. © Only Lyon.
Bordeaux, le Miroir d'eau en face à la place de la Bourse. © Photo : T. Sanson.
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Le volontarisme culturel des villes
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Le volontarisme culturel des villes