Le peintre surréaliste aux racines bretonnes a les honneurs d’une première exposition sur sa terre d’origine. Le Musée des beaux-arts de Quimper lui consacre une rétrospective magistrale.
Le pari était osé. Les musées français ne possédant que sept de ses toiles, l’organisation d’une rétrospective de l’œuvre d’Yves Tanguy (1900-1955) à Quimper (Finistère) promettait d’être épique. Porté par le succès retentissant de « L’aventure de Pont-Aven et Gauguin » en 2003, le directeur et conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Quimper, André Cariou, a su convaincre les élus locaux, les collectionneurs privés et les musées internationaux de l’importance de son projet. Dans le sillage de la rétrospective du Centre Pompidou, à Paris, en 1982, et de celle de la Staatsgalerie de Stuttgart en 2001, « Yves Tanguy. L’univers surréaliste » est le premier hommage de la Bretagne à son enfant terrible.
« Vous devez bien cela à la Bretagne ! », a argué André Cariou pour obtenir les prêts convoités. Bien que les musées allemands – peu enclins à se séparer de leurs trésors – n’aient pas joué le jeu, l’exposition est impressionnante, surtout en regard des moyens dont dispose une petite institution comparativement aux grands établissements parisiens. Grâce à un partenariat avec le Musée national d’art de Catalogne à Barcelone, où la manifestation sera présentée à l’automne, les coûts – transport, assurance, édition… – ont pu être mutualisés. La scénographie, conçue par Yves Kneusé, est particulièrement soignée. En guise de fil rouge, les textes de Benjamin Péret et d’André Breton viennent rappeler la force poétique de l’artiste.
Longtemps caché derrière ses paysages oniriques à propos desquels il ne s’est jamais exprimé, Tanguy se révèle ici dans toute sa dimension. Au visiteur de découvrir une vie marquée par le sceau du contraste.
D’un caractère lunatique, extravagant et indomptable, Tanguy est le « sale gosse » qui fait les quatre cents coups avec Marcel Duhamel et Jacques Prévert sur les plages bretonnes. Le sens naturel de l’absurde chez Tanguy comme capacité à incarner la théorie surréaliste de Breton explique sans doute l’admiration mutuelle qu’ils se vouaient. Mais Tanguy est aussi l’auteur de toiles silencieuses, dont l’exécution minutieuse dans un atelier à la propreté immaculée s’inspire des maîtres hollandais du XVIIe siècle. Alcoolique, tombé dans une grande misère à la fin des années 1920, Tanguy n’est pas un artiste maudit mais un électron libre, refusant catégoriquement tout contrat commercial jusqu’à 1940, époque à laquelle son ami d’enfance Pierre Matisse le prend sous son aile. André Cariou aime à décrire ce besoin contradictoire que l’artiste avait de « contrôler sa liberté ». La surprise faisait partie intégrante de son plaisir de peindre. Quand il commençait une toile, Tanguy ne savait pas ce qu’il allait faire. Mais s’il a vite abandonné l’automatisme surréaliste, c’est aussi parce qu’il savait très bien ce qu’il ne voulait pas faire.
« C’est quand il peignait ses ombres que le tableau devenait réel », disait Jacques Hérold, compagnon surréaliste, dans l’excellent documentaire réalisé par Fabrice Maze pour l’occasion (1). L’ombre est peut-être le concept clé de l’œuvre de Tanguy. C’est en ajoutant une ombre aux formes abstraites de ses paysages que celles-ci donnent l’illusion de la réalité – une idée reprise avec succès par Salvador Dalí. Tanguy offrait une vision picturale de l’écriture surréaliste. André Breton utilisait des mots compréhensibles de tous, semblant créer un sens, mais l’assemblage de ces mots n’en délivrait aucun. Le public français a manifestement eu du mal à s’abandonner à une expérience esthétique pure. Il n’y a sans doute rien à comprendre chez Tanguy, mais tant à admirer.
(1) Yves Tanguy. Derrière la grille de ses yeux bleus, documentaire de Fabrice Maze, DVD, Seven Doc, 180 min.
- Commissaire : André Cariou, directeur du Musée des beaux-arts de Quimper p Œuvres : 50 huiles, 71 œuvres sur papier, 16 cadavres exquis, 3 jeux, plus de 50 photographies, 34 livres, revues, catalogues et estampes. - Autour de l’exposition : Un circuit « Sur les pas d’Yves Tanguy » fait étape dans les lieux marquants du peintre en Bretagne (Locronan, la plage du Ris, Douarnenez). Rens. 02 98 53 04 05, www.quimper-tourisme.com L’exposition ira au Musée national d’art de Catalogne à Barcelone du 22 octobre 2007 au 13 janvier 2008.
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Le sacre breton d’Yves Tanguy
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Abonnez-vous dès 1 €Musée des beaux-arts, jusqu’au 30 septembre, 40, place Saint-Corentin, 29000 Quimper, tél. 02 98 95 45 20, http://musee-beaux-arts.quimper.fr., tlj 10h-19h. Catalogue, Somogy, 226 p., 32 euros, ISBN 978-2-7572-0056-8
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Le sacre breton d’Yves Tanguy