Après une longue traversée du désert dans les années 1990, les artistes des «”¯seventies”¯» et «”¯eighties”¯» sortent de leur purgatoire.
Alors que certains marchands traquent la chair fraîche, d’autres lorgnent dans le rétroviseur. À la Foire de Bâle en juin dernier, un revival des années 1970 se percevait via la présence d’artistes conceptuels, comme Mel Bochner ou David Lamelas, dont une œuvre fut réservée par le Museum of Modern Art (MoMA) de New York. De leur côté, les totems des eighties comme Robert Longo, Eric Fischl et Peter Halley sonnaient aussi leur retour en grâce.
Avec le triomphe de la peinture dans les années 1980, l’art conceptuel de la décade précédente avait pourtant peiné à s’imposer sur le marché. « La vogue de la figuration fut dévastatrice à ce moment-là, rappelle la galeriste parisienne Almine Rech. Maintenant, le minimal peut cohabiter avec l’école de Leipzig. » Aussi, un des pionniers de l’art conceptuel, Joseph Kosuth, n’a fait un vrai retour sur le marché que depuis 2000-2001. Même retour de flamme pour Kenneth Noland, figure de l’abstraction américaine, dont Almine Rech (Paris) a cédé une œuvre baptisée Grade pour 260 000 dollars sur la Foire de Bâle.
Composées d’une équation de peintures et photos portant en germe une amorce de fiction, les œuvres du Californien John Baldessari sortent du ghetto. L’artiste, qui a détruit ses premières peintures, s’est attelé dans les années 1980 à gommer les visages de ses photos par des découpes rondes colorées. Pendant longtemps, ce travail conceptuel n’a touché qu’un public confidentiel. Voilà encore dix ans, ses prix stagnaient entre 40 000 et 50 000 dollars. En 2005, la galerie Marian Goodman présentait à Paris pour environ 150 000 dollars ses œuvres récentes, où les zones de tension ou d’action étaient masquées par des grands aplats jaune vif. L’année suivante, la galerie récidivait avec des œuvres des années 1980 et 1990 dans une gamme de 200 000 à 250 000 dollars. Des tarifs « abordables » à l’aune de la flambée en ventes publiques. Le 15 mai, le marchand new-yorkais David Zwirner a acheté Kiss-Panic (1989) pour 992 000 dollars chez Sotheby’s à New York. Le lendemain, c’était au tour d’une peinture de 1967-1968 de s’envoler pour 4,4 millions de dollars chez Christie’s.
Élèves de Baldessari au California Institute of Arts, près de Los Angeles, les Golden boys des années 1980 comme Eric Fischl et David Salle reviennent aussi tambour battant. Emblématiques du capitalisme triomphant et de l’individualisme cynique décrits par Tom Wolfe dans le Bûcher des vanités, les artistes de cette décennie s’adonnaient parfois, comme ce fut le cas de Julian Schnabel, à un exhibitionnisme de rock star. Empruntant à la fois au réalisme et à l’expressionnisme américain, les tableaux d’Eric Fischl critiquent l’American Way of Life par le biais de scènes de plage ou d’intérieurs mettant en scène des personnages dénudés. Au-delà de la séduction ou de l’indécence immédiate des postures, une sourde menace semble planer sur ses vues triviales de la vie quotidienne. La galerie berlinoise Jablonka proposait sur la foire Tefaf Maastricht, en mars dernier, le portrait de John McEnroe par Fischl pour 500 000 dollars. Une bagatelle à côté du record de 1,9 million de dollars enregistré l’an dernier chez Christie’s pour Daddy’s Girl. Une réhabilitation est aussi à l’œuvre pour Robert Longo, âprement défendu par la galerie Metro Pictures (New York). Connu pour sa série Men in the cities, yuppies désarticulés traduisant l’aliénation dans le monde moderne, cet artiste dessine aujourd’hui des tsunamis et autres explosions nucléaires. La galerie Daniel Templon (Paris) proposait l’an dernier ses pièces récentes entre 100 000 et 150 000 dollars.
Les tenants du groupe Neo-Geo, aussi appelés simulationnistes, comme Ashley Bickerton, sortent aussi des oubliettes. Bien qu’il critiquât le consumérisme et la mécanisation du monde, Bickerton s’attirait les faveurs des yuppies qu’il vomissait. La crise venant, celui-ci quitta New York pour le Brésil puis Bali, où il réside toujours. Il y produit depuis des œuvres réalistes où il se met en scène. Sur la foire Frieze Art Fair à Londres en octobre 2006, la galerie Lehmann Maupin (New York) lui a orchestré une exposition personnelle aussi grotesque que grandiose. Une présentation aux relents de musée des horreurs, mais qui a fait mouche auprès des collectionneurs. Le grand collectionneur grec Dakis Joannou y aurait même acheté pour 150 000 dollars une pièce récente, Green Reflecting Heads with Hula Girls. Si le revival des créateurs conceptuels des années 1970 correspond à une juste adéquation du marché à l’histoire de l’art, l’exhumation des eighties tient plus du pragmatisme que de la nostalgie. Ces artistes aujourd’hui en milieu de carrière sont tout simplement plus abordables que certains jeunes trentenaires.
Présenté en juin dernier à la galerie Ileana Sonnabend à New York, puis du 10 novembre 2007 au 5 janvier 2008 chez Laurent Godin à Paris, Haim Steinbach fait son grand retour. Associé au groupe Neo-Geo lancé en 1982 dans l’East Village par Peter Halley et Ashley Bickerton, le travail de Steinbach part d’un constat : la modernité a été happée par le pouvoir marchand. Constituées d’arrangements d’objets disposés sur des étagères ou présentoirs, ses œuvres fonctionnent comme une narration cachée, sur un principe de métonymie. « L’étagère avec les objets est le point de jonction de l’interaction sociale, explique l’artiste dans un article paru dans la revue américaine Artforum. Je testais la présence physique d’un objet - quelque chose chargé de patine, d’évocation, des marques de son histoire. Les gens ont des sentiments forts pour les objets parce que ces derniers occupent leur espace. Ce n’est pas comme de la peinture qui est essentiellement illusionniste, encadrée sur le mur. » On s’étonne dès lors que ce travail conceptuel ait été jeté aux orties au même titre que la peinture lors de la crise de 1991. « La crise des années 1990 a emporté certains artistes qu’on a presque rendus coupables de la situation spéculative. Ils ont fait les frais de manière individuelle d’une faute collective, indique le galeriste parisien Laurent Godin. Pourtant Steinbach a posé un paradigme clair pour d’autres artistes. » Il s’impose d’autant plus en modèle qu’on le retrouve dans la collection de l’artiste britannique Damien Hirst, exposée l’an dernier à la Serpentine Gallery à Londres. Ses prix, de l’ordre de 30 000 à 50 000 euros, n’en demeurent pas moins extrêmement raisonnables à l’aune du marché en général, et de Hirst en particulier !
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le revival des années 1970 et 1980
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°264 du 7 septembre 2007, avec le titre suivant : Le revival des années 1970 et 1980