Cette exposition-dossier peine à illustrer et démontrer l’influence, pourtant réelle, des séjours parisiens du peintre aixois sur son travail.
Paul Cézanne est né à Aix-en-Provence, y a résidé très longtemps et y est mort. À cette époque, Paris est la capitale de l’art et attire tous ceux qui veulent faire carrière. Zola, le camarade de collège de Cézanne est de ceux-là. En 1861, il convainc son ami de le rejoindre. Cézanne y fera un séjour de quelques mois avant de retourner sur ses terres, puis d’y revenir, d’en repartir…. Au total, il fera vingt-deux allers-retours entre Aix et Paris. Les historiens de l’art, qui revendiquent la scientificité de leur discipline, ont aussi calculé que Cézanne a finalement passé autant de temps de sa vie d’adulte à Paris qu’en Provence.
Denis Coutagne, l’ancien directeur du Musée Granet à Aix-en-Provence, est l’un de ces historiens. Il a évidemment en tête l’exposition « Cézanne en Provence » qu’il a organisée en 2006 en son musée pour célébrer le centenaire de la mort du peintre. Comme son nom l’indique, le parcours présentait exclusivement les productions provençales du peintre aixois. Coutagne a aujourd’hui imaginé un pendant parisien à cette exposition. La capitale n’est-elle pas déterminante dans la carrière du peintre ? C’est à Paris qu’il se forme, à l’Académie suisse précisément, et qu’il copie les tableaux du Louvre ; c’est à Paris qu’il côtoie ses amis impressionnistes, travaille à leurs côtés ; c’est à Paris qu’il rencontre sa femme. Mais c’est aussi à Paris qu’il essuie plusieurs échecs, ce qui n’est sans doute pas sans conséquences pour son œuvre et son caractère ombrageux voire emporté : échec pour entrer aux Beaux-arts, pour exposer au Salon, sarcasmes lors des expositions impressionnistes… Seulement voilà, Paris en tant que sujet n’intéresse pas Cézanne. En montrant quatre petites vues de Paris, l’exposition a fait le plein des motifs parisiens représentés par Cézanne. Et encore, parmi les trois vues, celle sur les toits ne met aucunement en évidence un signe distinctif de la capitale, tandis qu’une des deux vues de la Seine à Bercy est une copie d’un tableau d’Armand Guillaumin accroché à ses côtés. Elle montre la recherche des volumes, même à partir d’une copie, de celui qui inspirera le Picasso cubiste. Cézanne a été plus séduit par les paysages d’Île-de-France : Bonnières, Auvers-sur-Oise, Pontoise, Giverny, les bords de Marne. Si ses amis impressionnistes ne se sont jamais vraiment passionnés pour Paris et pour les événements qui ont bousculé la Ville lumière, il faut rappeler que la gare Saint-Lazare et ses alentours, les Tuileries, la rue Montorgueil et bien d’autres leur ont inspiré quelques chefs-d’œuvre. Rien de cela chez Cézanne, bien plus attiré par la montagne Sainte-Victoire que par la montagne Sainte-Geneviève.
Faute d’illustration de la vie parisienne, l’exposition va alors tenter de montrer en quoi le séjour à Paris a pu influencer le « processus créateur » de Cézanne. Là aussi les moyens employés pour la démonstration tournent court. Le commissaire a choisi un accrochage thématique. Pourquoi pas, même si un déroulement temporel ponctué de quelques événements parisiens clefs aurait peut-être permis de mesurer l’évolution du travail de Cézanne et l’impact de ces événements sur son processus. Mais ici les partis pris thématiques et leur scénographie n’éclairent pas la problématique – à l’exception de la section consacrée à ses années de formation dans le respect de la tradition. La sous-section consacrée à Zola est anecdotique. Celle qui assimile Paris à une femme désirée et laisse entendre que les aventures féminines de Cézanne sont à l’origine des Grandes baigneuses fait même sourire. En revanche, le compagnonnage avec Camille Pissarro, si important pour l’éclaircissement de sa palette et que l’exposition du Musée d’Orsay en 2006 avait su mettre en valeur, est à peine évoqué.
En général, les expositions dossier (celle-ci comporte 77 œuvres de Cézanne, dont plusieurs dessins, contre 117 pour « Cézanne en Provence ») compensent la minceur du corpus exposé par une argumentation scientifique bien étayée. Celle-ci peine à démontrer son propos. Le vingt-troisième retour de Cézanne à Paris laisse songeur.
Commissaires : Gilles Chazal, directeur du Petit Palais ; Denis Coutagne, conservateur honoraire du patrimoine, président de la Société Paul-Cézanne
Nombre d’œuvres : 79 (dont 77 de Paul Cézanne)
Jusqu’au 26 février 2012, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, www.museeduluxembourg.fr, tlj 9h-22h et 10h-20h du mardi au jeudi.
Catalogue, collectif sous la direction de Denis Coutagne, 224 pages, éd. RMN-Grand Palais, 39 €.
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Le retour perdant de Cézanne à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°355 du 21 octobre 2011, avec le titre suivant : Le retour perdant de Cézanne à Paris