Les rares représentants du mobilier ancien à la Biennale résistent au changement de goût en proposant des pièces d’exception et les mariant au contemporain.
Le succès que rencontre l’art contemporain ferait presque oublier qu’il y a autre chose sur le marché. C’est ce que s’épuisent à rappeler les antiquaires spécialisés dans le mobilier ancien. Cependant, il est nécessaire d’établir une distinction entre le mobilier haut de gamme et le mobilier courant. Comme le note Laurent Kraemer, antiquaire à Paris, « il est vrai que le mobilier XVIIIe courant ne marche pas et subit la désaffection du public. Pourquoi ? Je l’ignore mais les modes sont faites pour être changées et en ce moment, les gens ne recherchent que les objets exceptionnels, qui se vendent mieux que jamais ». Guillaume Léage (Galerie François Léage), qui a repris la galerie de son père depuis sa disparition prématurée l’année dernière, va dans le même sens. « Les clients recherchent des choses de plus en plus spécifiques et élitistes, les collectionneurs étant plus stricts envers eux-mêmes ». Selon lui, les critères de sélection pour un meuble extraordinaire résident dans une qualité de réalisation, un équilibre dans les formes et proportions, la qualité des matériaux choisis, un bronze très ciselé et une dorure d’origine. « Mais avant toute chose, il y a l’authenticité. Un meuble transformé au XIXe siècle ne nous intéresse pas. Seules les restaurations d’usage, utilisant les techniques du XVIIIe, sont permises ».
Six exposants seulement
Cette concentration sur le mobilier d’exception a pour conséquence de réduire le nombre de spécialistes. La Biennale n’y fait pas exception et doit faire face à une véritable hémorragie : entre la galerie Kugel qui préfère organiser des expositions dans ses espaces à deux pas du Grand Palais, la galerie Perrin qui n’a pas participé à l’événement depuis 2010, et Maurice Segoura et Ariane Dandois qui ont tiré leur révérence depuis 2006, cette année, c’est au tour de la galerie Aveline (Jean-Marie Rossi), Anne-Marie Monin et la galerie Delvaille de faire faux bond à l’événement. Ainsi, il ne reste plus que six antiquaires représentant cette spécialité, non des moindres et tous français. Tel est le cas de la galerie Steinitz, qui mise sur les plus belles pièces. « Plus personne ne veut se meubler pour se meubler. Ce sont des meubles de collection qui sont recherchés », souligne Benjamin Steinitz, qui montre dans deux décors de boiseries, l’une rythmée de pilastres et l’autre en chêne naturel, de l’ancienne collection Sassoon, un bas d’armoire attribué à l’atelier d’André-Charles Boulle (collection Van Hoorn, puis Randon de Boisset), une paire de fauteuils de Nicolas-Quinibert Foliot, une commode en laque bleue des frères Martin et une pendule aux Magots en bronzes dorés et porcelaine japonaise, dont l’autre exemplaire est à Versailles, mais dont il manque la figure. La galerie Kraemer présente « Twins », une exposition qui réunit des meubles et objets d’art du XVIIIe siècle ayant leur jumeau au Louvre, à Versailles ou au Metropolitan Museum de New York. Le jumeau du musée est matérialisé au-dessus de chaque pièce par une photographie. « Les visiteurs peuvent enfin toucher les meubles qu’ils ne peuvent pas toucher dans les musées ! Ce thème, qui n’a jamais été traité, nous a demandé trois ou quatre ans de préparation. C’est compliqué d’évoquer la réputation d’une maison sur un stand seulement », explique Laurent Kraemer. Parmi ces merveilles, citons une commode d’époque Louis XV de Charles Cressent, dont la jumelle est au Victoria & Albert Museum de Londres ou encore une paire de chenets aux tritons, d’époque Louis XV, dont un modèle identique est conservé au Musée du Louvre. Ces œuvres s’insèrent dans un décor contemporain, très dépouillé, « à base de compartiments métalliques ultramodernes », poursuit l’antiquaire. La galerie François Léage montre, entre autres, une paire d’encoignures d’époque Louis XV en laque de Coromandel, estampillées Adrien Delorme ainsi qu’une coiffeuse de Jean-Henri Riesener en acajou moucheté, dont un exemplaire ayant appartenu à Marie-Antoinette est à Versailles. Quelques sculptures et tableaux contemporains viennent se mêler aux objets du XVIIIe et là encore, le décor se fait contemporain puisque des cloisons en acier noir reposent sur un parquet versaillais teinté noir.
Mariage réussi avec le contemporain
Le ton est donné. Il y a une véritable incursion dans l’art contemporain. Est-ce pour conquérir une nouvelle clientèle ? « Depuis deux ou trois ans, nous avons de nouveaux clients, de 35-40 ans, qui achètent de l’art contemporain et du design et qui réalisent que par exemple, sous une œuvre de Rothko, une commode Louis XV de qualité muséale ou royale produit un effet extraordinaire », souligne Laurent Kraemer. « Nous souhaitons dynamiser le marché, en mélangeant les goûts pour montrer que cela fonctionne ! », renchérit Guillaume Léage. La galerie Gismondi a choisi pour thème le cabinet d’amateurs, une notion qui revient en force, tout à fait dans l’esprit du tableau de Frans Francken le Jeune (Anvers, 1581-1642) qu’elle expose. Elle met notamment à l’honneur un cabinet richement décoré de marqueterie de pierres dures polychromes, Rome, XVIIe siècle, qui se rapproche du cabinet conservé à la pinacothèque capitoline de Rome. Chez Aaron, on peut admirer une commode à l’anglaise en laque du Japon d’époque Louis XVI, vers 1780, estampillée Saunier ainsi que du mobilier sortant des sentiers battus, dans l’esprit des œuvres exposées lors des expositions universelles, à l’image d’une vitrine d’exposition à décor sino-japonisant d’Édouard Lièvre, vers 1875 ou d’une paire de guéridons siciliens, vers 1830, remarquables de par la richesse et la profusion des matériaux et des techniques employés. Michel Guy Chadelaud montre un cabinet japonisant d’Édouard Lièvre pour l’Escalier de Cristal vers 1895, ainsi qu’une imposante table d’apparat (vers 1880) de Charles-Guillaume Diehl, tandis que Giovanni Sarti expose deux commodes, l’une d’époque Louis XIV en marqueterie dite Boulle, vers 1710, de Nicolas Sageot, l’autre de Pietro Piffetti, en marqueterie de bois et d’ivoire gravé, vers 1730-1740.
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Le prestige au secours du mobilier ancien
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Le prestige au secours du mobilier ancien