Le 28 octobre à Tokyo, le frère de l’empereur du Japon remettra solennellement les médailles du sixième Praemium Imperiale, qui couronne cette année Zao Wou-Ki (peinture), Richard Serra (sculpture), Charles Correa (architecture), Henri Dutilleux (musique) et Sir John Gielguld (théâtre). Chaque lauréat reçoit quinze millions de yens (825 000 francs). Fondé par la Japan Art Association (J.A.A.), avec le soutien du groupe de communication Fujisankei, ce prix s’est doté de \"consultants internationaux\", les hommes politiques Jacques Chirac, Amintore Fanfani, Edward Heath et Helmut Schmidt, ainsi que l’avocat et mécène David Rockefeller Jr, qui a répondu à nos questions.
Comment avez-vous été impliqué dans le Praemium Impériale ?
D. Rockefeller : Mon père était membre de la Japan Art Association dont il a été le consultant durant deux ans. Comme j’avais consacré une grande partie de ma carrière aux arts, comme artiste, directeur et consultant dans de nombreuses commissions, dont le National Endowment for the Arts, il m’a proposé pour le remplacer et les autres consultants ont accepté.
Quel est le mode de financement du prix ?
Aucun des membres du comité consultatif n’est impliqué financièrement dans ce prix. Les fonds ont été fournis jusque-là par le Fujisankei Communications Group, d’autres compagnies japonaises vont bientôt y participer. Les bailleurs de fonds doivent être exclusivement japonais.
Expliquez-nous le processus de désignation des lauréats.
Six consultants internationaux donnent leur avis. Je suis l’un d’eux. Nous créons des comités régionaux d’artistes et d’experts, à qui nous demandons de proposer un certain nombre de noms – un dans chaque catégorie – puis nous fournissons cette liste à la Japan Art Association. Son comité de nomination fait ensuite son choix.
Quels sont les critères de sélection primordiaux ?
Ces prix distinguent avant tout "l’œuvre d’une vie" ou le travail d’un artiste sur plusieurs années de création, jamais une œuvre unique. On tient compte également de l’influence de l’artiste dans son domaine de création.
Pourquoi privilégier l’œuvre d’une vie par rapport aux talents nouveaux ?
Cette tendance a surtout marqué les débuts du prix. Dans ce genre de récompenses, on a tendance au début à se tourner vers des créateurs de renommée internationale : on se doit de les distinguer avant qu’ils ne nous quittent. Je pense toutefois que la moyenne d’âge des lauréats va naturellement baisser.
Le caractère international des activités de l’artiste est-il un facteur important ?
Cette année, nous avons innové en distinguant des créateurs bien connus dans certaines parties du monde, mais pas nécessairement dans le monde entier. Je pense que le critère d’une célébrité mondiale serait aujourd’hui trop restrictif, donc sans grand intérêt. Mais l’envergure d’un lauréat doit déborder les frontières d’un seul pays.
Que pensez-vous du système de récompenses de la J.A.A. ? Les lauréats étant, dans leur majorité, déjà reconnus et fortunés, l’argent ne serait-il pas mieux utilisé pour des expositions ou des manifestations internationales destinées à faire connaître leurs œuvres ?
L’idée est intéressante, mais notre objectif est de couronner ce qui se fait de mieux. Nous cherchons surtout à faire reconnaître mondialement l’importance des créateurs artistiques qui participent à l’élaboration de la culture mondiale. Nous espérons encourager indirectement le mécénat artistique. Je suis d’accord avec vous – personnellement – sur le fond du problème, mais ce n’est pas notre travail.
Pensez-vous que les réalisations artistiques soient moins appréciées mondialement que d’autres ?
Impossible de répondre globalement à votre question. Ce qui est vrai aux États-Unis, où les prix ont une valeur très importante, doit l’être aussi dans bon nombre d’autres pays. La conviction de la J.A.A. et de son comité consultatif est qu’il n’y a pas d’équivalent réel dans le monde des arts.
Le Praemium Imperiale accroît-il la présence japonaise dans le monde des arts ? Est-ce l’un des objectifs de la J.A.A. ?
Mis à part une meilleure reconnaissance de l’importance des arts, je pense en effet que le prix a été fondé pour accroître la participation du Japon dans le concert de la création artistique mondiale. Je crois qu’il est très important pour les pays occidentaux et pour les autres de prendre conscience de ce phénomène.
L’absence de consultant asiatique jusqu’à cette année a-t-elle été une marque d’humilité ?
Oui, de même qu’un désir de crédibilité a empêché de distinguer des créateurs japonais durant les trois premières années. Mais les autres consultants ont pressé les Japonais de nommer un consultant asiatique pour éclairer le choix du comité sur… l’Asie.
On s’inquiète, dans le monde des arts, de voir que les fondations orientent aujourd’hui une partie de leurs fonds d’intervention artistique vers d’autres programmes. Compte tenu de la gravité des problèmes sociaux dans le monde, consacre-t-on trop d’argent aux arts ?
Je participe à l’action de plusieurs fondations humanitaires qui ne financent pas les arts. Et même si cela me déçoit personnellement, je soutiens leur action. Je suis membre de trois fondations : la Boston Foundation, qui aide les populations n’ayant pas le droit de vote, la Fondation des frères Rockefeller, qui a un programme de préservation des ressources, et la Fondation pour la conservation de l’Alaska, qui s’attache à la protection de l’environnement. Il y a trop peu de fondations, malheureusement, pour pouvoir tout faire. Il est très difficile de choisir. Mais je serais personnellement très triste si des motivations strictement sociales affectaient par trop le mécénat artistique : je pense que l’on a besoin aussi du goût des choses pour vivre, et non simplement de moyens de vivre.
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"Le Praemium Imperiale vise à accroître le rôle du Japon dans la création mondiale"
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°7 du 1 octobre 1994, avec le titre suivant : "Le Praemium Imperiale vise à accroître le rôle du Japon dans la création mondiale"