MADRID / ESPAGNE
Depuis le 6 juin, le Musée du Prado est l’un des très rares grands musées au monde à rester ouvert.
Abracadabrant pour des Français qui comparent l’ouverture des grands magasins à la fermeture des musées. Le public doit réserver en ligne un créneau horaire, puis subir un test de température à l’entrée, nettoyer ses mains au gel hydroalcoolique et, bien sûr, porter un masque durant sa visite. Mais il est gratifié d’un calme exceptionnel. La jauge est limitée à 1 800 personnes alors que l’affluence moyenne quotidienne dépassait 8 000 avant le Covid-19. Une jouissance sans précédent pour découvrir ou revoir l’incomparable collection, de surcroît en accès gratuit les deux dernières heures de la journée, sept jours sur sept.
Le public peut aussi profiter d’« Invitadas » [Invitées], première manifestation post-confinement que l’institution est fière de présenter jusqu’au 14 mars, exposition consacrée à la femme dans les arts plastiques, comme artiste ou sujet (1833-1931). 17 sections thématiques, 130 œuvres montrant le peu de place laissée aux femmes, qui avaient rarement la possibilité de devenir artistes et disposaient d’un champ étroit de création, borné aux petits formats, à la copie, aux fleurs, aux natures mortes… Des sections affichant aussi le sexisme des académies se délectant de femmes passives, infantiles, sorcières, prostituées… Le musée, qui dans son histoire n’a consacré que deux monographies à des femmes, la Flamande Clara Peeters du XVIIe et les peintres de la Renaissance italienne Sofonisba Anguissola et Lavinia Fontana, fait son mea culpa.
Son directeur veut aller plus loin, rendre l’établissement « plus inclusif, pas par caprice mais par réflexion », insiste-t-il, en employant toutefois ce terme faisant florès. Les acquisitions vont être réorientées, une bourse d’étude sur la question des genres va être octroyée. Mais surtout, Miguel Falomir veut revoir l’accrochage des collections et faire davantage place aux femmes. Vaste chantier, qui va débuter par le XIXe siècle dont les salles seront remodelées dès cet été pour afficher cette volonté et montrer aussi plus d’artistes non espagnols, ainsi que d’autres sujets, délaissés autrefois, comme la peinture dite sociale. Une exposition sur l’art colonial ibéro-américain en Espagne sera inaugurée en octobre.
Ce réaccrochage suit le mouvement des collections déjà opéré durant la fermeture du musée au printemps, pendant près de trois mois. Le Prado offre désormais dans sa galerie centrale et les salles adjacentes, un quart de sa superficie, un condensé étonnant et réussi de 249 de ses chefs-d’œuvre : Francisco de Zurbarán, El Greco, Diego Velázquez, Francisco de Goya, José de Ribera, Bartolomé Esteban Murillo…
Le bouleversement supplémentaire est plus complexe et délicat. Vouloir accrocher des œuvres reléguées jusque-là dans les réserves pour répondre à une injustice part d’une bonne intention. Mais les salles n’étant pas extensibles, il faudra décrocher d’autres tableaux. Comment choisir, selon quels critères, quelle hiérarchie, voire quels quotas ? L’opération annoncée est passionnante puisqu’elle peut contribuer à la réécriture de l’histoire de l’art. Elle doit donc être menée très sérieusement. « Invitadas » avait déclenché des polémiques à son ouverture : comment le Prado pouvait-il exposer un tableau attribué à une femme, alors que son auteur était un homme, pourquoi avait-il abouti à une exposition si misogyne alors qu’elle prétendait le contraire, des historiennes de l’art pointant 60 œuvres de femmes sur les 130 œuvres montrées ? Sur le site Internet du Prado, « Invitadas » est traduit en anglais étrangement par « Uninvited Guests » [Des invitées sans invitation]. Une exposition pourrait donc dire une chose et presque son contraire. Le Prado n’a pas été échaudé par les critiques. Marketing, oblige ?
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Le Prado « plus inclusif », mais comment ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°560 du 5 février 2021, avec le titre suivant : Le Prado « plus inclusif », mais comment ?