En dépit de quelques opérations d’envergure, la restauration des monuments historiques peine encore à attirer les bienfaiteurs. Même si les besoins ne vont pas cesser de s’accroître.
Alors que la question de l’entretien du patrimoine monumental a été au cœur des préoccupations de l’année 2006, le mécénat peut-il devenir une bouée de secours pour ce secteur en proie à d’importantes difficultés budgétaires ? Si l’Admical en fait l’un des domaines privilégiés pour les actions des entreprises en matière culturelle (le patrimoine concerne 8 % des opérations, à égalité avec les musées), la réalité sur le terrain semble plus mitigée. Peu de mécènes acceptent en effet la contrainte d’un engagement sur le long terme, pénalisé par une faible visibilité. C’est ce que révèle une enquête réalisée en septembre 2006 par l’institut de sondage BVA pour la Fondation du patrimoine : 81 % des sondés s’avouaient incapables de citer spontanément le nom d’une entreprise mécène de la sauvegarde et de la mise en valeur du patrimoine (1) ! Comment dès lors attirer les philanthropes, souvent soucieux d’un retour rapide sur investissement en termes d’image ?
Le ministère de la Culture et de la Communication a choisi de miser sur l’attrait exercé par le patrimoine national à l’étranger. En septembre, il soutenait en fanfare le lancement d’une nouvelle association, « The American Friends of the Loire châteaux », inspirée des précédents de Versailles, du Louvre ou du château de Blérancourt (Aisne).
Un autre projet, davantage tourné vers des entreprises françaises, concernerait par ailleurs le château-musée de Fontainebleau, dont le potentiel fait désormais l’objet, Rue de Valois, de toutes les attentions. Car si quelques prestigieux établissements ont réussi à attirer dans leur escarcelle des poids lourds du mécénat pour des opérations d’envergure – restauration de la galerie d’Apollon du Louvre grâce au soutien de Total (4,5 millions d’euros) ou de la galerie des Glaces à Versailles avec l’aide du groupe Vinci –, ce type d’action de longue haleine peine à séduire les bienfaiteurs. Notamment lorsqu’il s’agit de monuments historiques dénués de collections. « Même s’il peut sembler complexe à aborder, le thème patrimoine reste à défricher, constate Fabienne Grolière, responsable du mécénat au Centre des monuments nationaux/Monum, qui gère plus d’une centaine de monuments appartenant à l’État. Toutefois, il nous est plus difficile d’offrir une monnaie d’échange que les châteaux-musées, qui peuvent, par exemple, louer des œuvres. » Si Monum en propose pour tous les goûts, de la grotte ornée préhistorique aux sites archéologiques, de la villa Savoye de Le Corbusier (Poissy, Yvelines) aux forteresses médiévales en passant par les châteaux classiques, le catalogue séduit toujours davantage en termes de location d’espaces (5 millions d’euros par an) que de mécénat pur (un peu plus de 800 000 euros pour l’année 2005). Or cette somme n’est pas affectée à l’entretien des monuments historiques, mais sert à soutenir les événements organisés par l’établissement public (50 % du budget mécénat), les expositions (17 %), les éditions (11 %), les aménagements de sites (14 %) ou les actions « d’intérêt général » (16 %) – accessibilité pour tous les publics, mallettes pédagogiques… À titre d’exemple, les quinze années de chantier de restauration du château de Vincennes n’auront bénéficié d’aucun mécénat.
« Enrichissement sans cause »
Les choses devraient toutefois changer dès janvier 2007, date à laquelle le Centre de monuments nationaux assumera la maîtrise d’ouvrage des travaux entrepris sur les 115 monuments appartenant à l’État. Autant dire que, dans le climat actuel, leur financement devra être abondé par d’importantes ressources provenant de la philanthropie. Les prochaines opérations s’annoncent déjà d’envergure : mise en accessibilité totale du palais du Tau, à Reims, qui deviendrait ainsi un monument pilote en ce domaine (pour un coût de 7 à 8 millions d’euros), campagnes lourdes pour les châteaux de Pierrefonds (Oise), Carcassonne (Aude) ou Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne), achèvement des travaux de Vincennes… Un chapitre nouveau du mécénat à destination des monuments historiques pourrait donc enfin s’ouvrir. Car pour l’heure, seules quelques rares grandes entreprises ont choisi cette voie. Ainsi du Crédit agricole qui, avec sa Fondation « Pays de France », soutient depuis 1979 des opérations en régions en faveur du patrimoine de proximité, et vient d’annoncer son appui à Patrimoine sans frontières. Ainsi également de la Fondation Gaz de France, qui a consacré son action à la restauration – et à la création – de vitraux, ou encore, plus récemment, du groupe Total, engagé pour trois ans auprès de la Fondation du patrimoine. Reste enfin l’épineuse question du mécénat à destination des monuments historiques privés. « Tout a été fait pour que la nouvelle loi ne s’applique pas à la moitié du patrimoine protégé de notre pays », commentait Jean de Lambertye, président de la Demeure historique, à la veille des dernières Journées du patrimoine. Les critères d’éligibilité – gestion à but non lucratif, don au bénéfice d’un cercle non restreint de personnes – ne s’appliquent pas aux propriétaires privés, qui risquent d’être suspectés d’« enrichissement sans cause » par Bercy. Seul un intermédiaire (association, société d’amis…) peut alors délivrer aux donateurs un reçu fiscal – la Fondation du patrimoine, qui remplit ce rôle, ne s’occupe que du patrimoine non protégé. Le ministère de la Culture s’est engagé à proposer un nouveau texte sur ce sujet. Nul doute que, dans le climat actuel, il soit très attendu.
(1) « Les Français et le patrimoine de proximité », sondage réalisé en septembre 2006 pour les 1res rencontres Fondation du Patrimoine-Total auprès d’un échantillon de 971 personnes.
Quand, en 1999, Édouard de Royère, ancien patron d’Air Liquide et créateur de la Fondation du patrimoine, joue les médiateurs lors de la fusion entre TotalFina et Elf Aquitaine, il refuse toute rémunération. Mais il encourage Thierry Desmarest, président-directeur général de Total, aux libéralités. Six ans plus tard, en décembre 2005, Total signe une convention triennale avec la Fondation du patrimoine. Huit millions d’euros seront ainsi consacrés à des opérations menées sur des édifices ou des ensembles non protégés, avec une prédilection pour le patrimoine industriel. Les neuf premiers projets ont d’ores et déjà été annoncés : en Seine-et-Marne, rotonde ferroviaire de Longueville, halle au blé de Bray-sur-Seine, usine Leroy à Saint-Fargeau-Ponthierry ; dans le Gers, remparts de Lectoure ; dans les Landes, château d’Aon à Hontan ; en Loire-Atlantique, ancien auditoire de justice de Saffré, moulin du Liveau à Gorges ; dans les Bouches-du-Rhône, château Borély à Marseille (lire p. 20), site archéologique de Tholon à Martigues. Reste à savoir si, dans un avenir proche, cette préoccupation concernera aussi le propre patrimoine de l’entreprise, constitué de raffineries et de terminaux pétroliers. Budget mécénat du groupe Total en 2006 : 12,5 millions d’euros (dont 5 millions pour le patrimoine)
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Le patrimoine, un nouvel enjeu
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°249 du 15 décembre 2006, avec le titre suivant : Le patrimoine, un nouvel enjeu