Loi sur la démocratie de proximité qui réforme la police des abords et impose sans concertation une décentralisation expérimentale, critiques de la Cour des comptes sur la gestion du parc immobilier du ministère de la Culture, et sur la rémunération des architectes en chef des Monuments historiques… Le patrimoine est soudain l’objet de toutes les attentions. Comme si cela ne suffisait pas, le scandale éclate enfin sur la gestion du Centre des monuments nationaux (CMN), dont certains dirigeants ont déjà été évincés.
PARIS - Il faut se méfier des textes aux ambitions générales et généreuses. Sous couvert de “démocratie de proximité”, un volet essentiel de la protection des monuments historiques et de leurs abords est remis en cause par la loi du 5 février 2002. Depuis 1999, un maire pouvait faire appel d’un avis négatif rendu par l’architecte des Bâtiments de France (ABF). Pour mémoire, doit être soumis à cet avis tout permis de construire relatif à un immeuble situé dans un périmètre de 500 mètres autour d’un monument historique, ou dans son champ de visibilité. Les secteurs sauvegardés et les ZPPAUP (zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) sont également du ressort des ABF. L’une de leurs missions, depuis que le qualificatif d’urbaniste d’État a été accolé à leur titre originel, est de veiller à la diffusion de la qualité architecturale.
En vertu de l’article 43 JA de la nouvelle loi, cet appel sera désormais examiné par une section créée au sein des commissions régionales du patrimoine et des sites (CRPS), qui comprendra deux représentants de l’État, trois titulaires d’un mandat électif et quatre personnalités qualifiées nommées par le préfet. Après consultation de cette instance, le préfet de région rend un avis qui se substitue à celui de l’ABF. Mais les parlementaires ont voulu aller plus loin, en offrant au pétitionnaire le droit de faire appel devant cette section de la CRPS d’un refus d’autorisation de travaux, pris en vertu d’un avis de l’ABF. Certes, le pire a été évité puisque le Sénat avait décidé, auparavant, de reprendre dans un amendement le contenu de la proposition de loi Fauchon, adoptée par la Haute Assemblée en juin dernier (lire le JdA n° 130, 29 juin 2001). Elle aurait confié l’examen des recours à une commission départementale, composée à parité d’élus et de fonctionnaires, et ouvert au pétitionnaire le droit de contester directement l’avis conforme : un système dangereux qui déniait aux fonctionnaires de l’État le droit de dire non. Il n’en demeure pas moins qu’insidieusement, toute une série de modifications législatives vide le système de protection des monuments historiques et de leurs abords de sa substance, sous des prétextes plus ou moins fallacieux. Lors des débats au Sénat, certains ont ainsi pris argument de la lenteur des procédures pour mettre en cause les ABF. Et encore une fois, l’État est victime de sa propre incurie. En effet, depuis des années, les services départementaux de l’architecture et du patrimoine, au sein desquels officient les ABF, travaillent en sous-effectifs. Pour avoir trop longtemps négligé d’affecter les moyens nécessaires à l’exécution de leurs missions, l’État a travaillé à l’affaiblissement de son autorité.
Quelle décentralisation ?
C’est sans doute ce relatif affaiblissement qui engage les parlementaires, qui sont également élus locaux pour la plupart, à demander plus de responsabilités dans la gestion du patrimoine. L’article 43 I de la même loi sur la démocratie de proximité organise ainsi des expérimentations devant permettre à des collectivités locales d’exercer les compétences de l’État dans divers domaines : inventaire, inscription, instruction des mesures de classement... Ces dispositions semblent ignorer l’existence des protocoles de décentralisation culturelle, lancés par le gouvernement. “La différence, c’est que les protocoles contiennent des mesures précises”, indique François Braize, directeur adjoint de l’architecture et du patrimoine au ministère de la Culture. Alors que le texte de loi est “vide de réalités concrètes opérationnelles”. Il rappelle à ce sujet que 130 conventions de partenariat ont été conclues avec les collectivités territoriales pour la conduite de l’Inventaire. “L’objectif du ministère de la Culture n’est pas de faire de la décentralisation mécanique, mais de conduire une véritable réflexion sur l’amélioration de la loi de 1913”, poursuit François Braize. Dans quatre ans, terme des premiers protocoles, “il faudra être capable d’imaginer pour l’avenir le rôle des collectivités territoriales dans des champs nouveaux, comme le patrimoine rural non protégé”. Mais beaucoup d’élus s’intéressent plus au potentiel touristique de certains monuments qu’à l’entretien du patrimoine le plus modeste.
En l’occurrence, les services de l’État ne donnent pas le bon exemple, puisque le Centre des monuments nationaux (ex-Caisse nationale des monuments historiques et des sites) est critiqué pour sa politique aussi dispendieuse qu’inappropriée. Chargé de gérer les 115 monuments historiques appartenant à l’État, cet établissement, surnommé Monum, semble, depuis la nomination à sa tête de Jacques Renard en 2000, s’éloigner de ses missions essentielles, à savoir l’accueil du public dans les meilleures conditions et la transmission d’une histoire. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la “rénovation” intérieure de la salle de réunion et du bureau du président, à l’hôtel de Sully. Commandée à Daniel Dezeuze, cette création jaune, rose et verte à quatre millions de francs indique que l’esprit du monument importe peu au regard du désir de paraître “moderne”. Mais, comme l’a révélé Le Figaro dans ses éditions des 2 et 4 février, un rapport commandé par Catherine Tasca à l’inspection des affaires culturelles parle de “gabegie” et d’“incompétence” pour qualifier la gestion de l’établissement. Les témoignages recueillis par Le Figaro montrent la lassitude des personnels, à commencer par ces administrateurs qui démissionnent pour ne pas avoir à cautionner des opérations contraires ou bien éloignées de leurs tâches fondamentales. Beaucoup estiment en effet que leur rôle premier n’est pas d’organiser des spectacles de danse ou de théâtre, ni d’organiser des expositions d’art contemporain. En sollicitant des critiques d’art pour organiser la contre-attaque, la direction montre qu’elle n’a définitivement rien compris, ce n’est pas la place réservée à la création contemporaine qui est en cause, mais le mépris souverain pour le patrimoine. En outre, la tentative d’attribuer les attaques contre le CMN à des arrière-pensées politiques a fait long feu.
Répondant à une question orale à l’Assemblée nationale, le 6 février, Catherine Tasca a reconnu que “dans la programmation de ces activités artistiques, certains excès sont apparus. Aussi dès septembre, ai-je diligenté une inspection dont le rapport vient de m’être remis. Il fait apparaître un déséquilibre entre la mission patrimoniale, qui doit rester centrale, et les activités artistiques. J’ai demandé au conseil d’administration du Centre de réviser le budget pour rééquilibrer les activités en faveur de la mission patrimoniale. Le fonctionnement interne du Centre appelle également une réorganisation. Dès que le président m’aura remis ses réponses au rapport d’inspection, j’en tirerai les conséquences.”
Une semaine plus tard, le départ de Patricia Loué, sous-directrice de l’action culturelle et du développement, et d’Henri Maurel, sous-directeur de la communication et du mécénat, était déjà annoncé par Jacques Renard “dans un souci de sérénité et d’apaisement au sein du personnel”. Lui n’a vraisemblablement sauvé sa place que pour peu de temps. Il est curieux que l’on s’inquiète si tard des dépenses excessives et discutables, alors que, dès son arrivée, M. Renard avait annoncé la couleur, si l’on peut dire, avec le projet de l’hôtel de Sully (lire le JdA n° 107, 9 juin 2000).
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Le patrimoine en ligne de mire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°143 du 22 février 2002, avec le titre suivant : Le patrimoine en ligne de mire