Les besoins d’entretien et de restauration s’élèvent à plus de 10 milliards d’euros. Seule la piste d’un prélèvement sur les recettes des jeux semble désormais envisageable.
Un rapport de plus ? Après quelques années de gêne sur le sujet, le ministère de la Culture préfère aujourd’hui assumer la réalité de l’état désastreux du patrimoine. Dans la lignée d’un rapport de la mission d’information du Sénat remis en 2006 et piloté par Philippe Richert et Philippe Nachbar (1), le ministère de la Culture vient donc, à son tour, de se lancer dans une opération vérité. Il n’a toutefois pas eu le choix : l’exigence émanait du Parlement, l’article 90 de la loi de finances de 2007 requérant du ministère de la Culture un rapport sur l’état sanitaire du parc monumental dans un délai de neuf mois. La demande a par ailleurs été réitérée en septembre 2007 par le président de la République lors de son discours d’inauguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris. Le dernier bilan datait de 2002. Depuis, l’outil informatique a été amélioré, et a notamment permis d’intégrer les départements d’outre-mer. Les données sont pourtant toujours à relativiser : elles concernent principalement les monuments classés, pour lesquels les services de l’État interviennent ; par ailleurs, un quart des édifices ne sont pas documentés.
Les résultats ne sont guère brillants. Si le nombre total de monuments protégés est resté stable – 43 233 dont 14 897 sont classés –, les besoins en travaux se sont sensiblement accentués. Sur le total de ces édifices classés, 629 sont en situation de péril global (4,2 %) et 2 215 partiellement en péril (14,8 %), mais pour 4 000 d’entre eux, l’état sanitaire n’est pas connu. Le total des bâtiments classés jugés défectueux s’élève quant à lui à 41 %. Si l’État n’est pas le principal propriétaire de ces monuments classés (il l’est pour 5 % d’entre eux seulement), 33 % de ceux lui appartenant se trouvent dans un état jugé inquiétant. Les situations les plus délicates concernent néanmoins les communes : 65 % des édifices en péril se trouvent dans des municipalités de moins de 2 000 habitants. À ces menaces s’ajoute un phénomène de simple vétusté : le seul entretien des toitures, dont la durée de vie est estimée à cent ans, est chiffré à 50 millions d’euros par an ! Au final, les besoins en termes financiers donnent le vertige : ils s’élèvent à 10,734 milliards d’euros, soit une augmentation de 18,8 % depuis 2002. Le ministère de la Culture rappelle donc la nécessité d’un engagement global de 2 milliards d’euros sur les cinq années à venir. Il déplore par ailleurs l’existence d’une fracture entre, d’une part, « une fraction fortement valorisée » des monuments, souvent situés en milieu urbain ou périurbain, et de l’autre, un patrimoine laissé à l’état d’abandon, parmi lesquels de très nombreux édifices religieux. Parmi les difficultés rencontrées, les rapporteurs soulignent le problème de la spécificité des financements : les projets s’inscrivent dans un cadre pluriannuel, ce qui implique une continuité et une lisibilité des budgets. Or ces derniers ont été affectés par les reports de crédits d’une année sur l’autre, principe en contradiction totale avec le mode de financement de ces opérations par tranches. Ils en appellent donc à l’élaboration de budgets pluriannuels.
Reste à savoir comment l’État pourra financer cette urgence. Lors de ses vœux à la presse, la ministre a créé la surprise en proposant d’instaurer une taxe sur les nuitées dans les hôtels de luxe, mesure inspirée par les propositions du Groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) et de la Demeure historique. Elle n’a pas reçu l’assentiment du gouvernement. Le sénateur Philippe Richert a, pour sa part, rappelé son attachement à la création d’une recette assise sur le produit de la Française des Jeux. Très simple à mettre en œuvre – à condition que Bercy donne son accord –, elle aurait aussi l’avantage d’éviter d’instaurer une nouvelle taxation, par définition impopulaire. En 2007, le chiffre d’affaires de la loterie d’État, pourtant en léger repli, s’est élevé à 9,306 milliards d’euros. Le rapport du Sénat a rappelé que le sport avait bénéficié, en 2005, de 250 millions d’euros grâce à un prélèvement de 2,8 % sur les recettes de la Française des Jeux. Il propose d’appliquer un taux de 1 % affecté au patrimoine, soit pour 2007, l’équivalent de 93 millions d’euros. Il est désormais urgent de prendre une décision.
Il faudra attendre juillet 2009 pour en connaître le résultat, mais le dossier a été remis le 31 janvier au Centre du patrimoine mondial. Lancée en 2002 conjointement par la Fondation Le Corbusier et le ministère de la Culture, cette candidature au Patrimoine mondial de l’Unesco est originale puisqu’elle réunit vingt-deux édifices construits ou conçus par Le Corbusier (1887-1965) et répartis dans six pays différents (Allemagne, Argentine, Belgique, France, Japon, Suisse). Une sélection rigoureuse a été effectuée par un comité d’experts, d’après les différentes typologies de bâtiment (habitat individuel, collectif, architecture sacrée, bâtiment public, urbanisme) représentatives de l’architecture du XXe siècle et de la pensée du théoricien du modernisme. Un bémol néanmoins : l’Inde n’a pas signé le dossier pour y faire figurer la ville de Chandigarh, dont l’état de conservation suscite pourtant l’inquiétude.
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Le patrimoine dans un état inquiètant
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Abonnez-vous dès 1 €(1) Monuments historiques : une urgence pour aujourd’hui, un atout pour demain, rapport de la Commission des affaires culturelles du Sénat, octobre 2006.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°275 du 15 février 2008, avec le titre suivant : Le patrimoine dans un état inquiètant