Jean-Jacques Aillagon s’est récemment inquiété de l’incapacité de son ministère à dépenser les crédits affectés à la restauration du patrimoine. Un rapport du sénateur Yann Gaillard propose quelques pistes pour y remédier. Il faut, selon lui, faire du propriétaire de monument, qu’il soit public ou privé, le véritable « patron », notamment en réduisant le pouvoir des architectes en chef des Monuments historiques.
PARIS - Avant que Jean-Pierre Bady ne livre le résultat de la mission que lui a confiée Jean-Jacques Aillagon sur la politique patrimoniale, le sénateur RPR de l’Aube, Yann Gaillard, a tenu à dévoiler le 18 septembre les résultats de sa mission de contrôle budgétaire sur l’action de l’État en matière de patrimoine monumental. Rapporteur spécial des crédits de la culture à la commission des finances du Sénat, il était chargé d’”expliquer pourquoi le ministère responsable de ce patrimoine, dont l’état en alarme plus d’un, ne parvient pas à consommer les crédits, pourtant jugés insuffisants”. De son enquête, au cours de laquelle une centaine de personnes ont été auditionnées en France et à l’étranger (Italie, Autriche), Yann Gaillard a tiré cinquante et une propositions d’intérêts divers. En attendant la suppression à l’horizon 2006 de la distinction entre crédits de fonctionnement et d’investissement, il recommande naturellement l’accroissement des dépenses d’entretien dont l’insuffisance chronique a déjà été maintes fois rappelée. Les crédits de paiement pour les restaurations pourraient également être mieux étalés dans le temps. Mais la véritable nécessité est de remédier à “la mauvaise articulation [entre] la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre”, soit, en clair, entre le propriétaire et l’architecte en chef des Monuments historiques (ACMH). Il faut, estime le rapporteur, “faire du propriétaire du monument, qu’il soit public ou privé, le véritable ‘patron’”.
Le conservateur régional des Monuments historiques (CRMH), qui représente l’État et exerce son contrôle sur les travaux engageant une subvention, n’a pas de pouvoirs suffisants et manque d’appui notamment pour tout ce qui est relatif aux marchés publics. Dans les faits, l’inadéquation des moyens et des missions du CRMH donne tout pouvoir à l’architecte. Yann Gaillard propose donc d’une part de confier les opérations lourdes à un organisme comparable au Service national des travaux ou à l’ÉMOC (en Île-de-France, cela serait salutaire), d’autre part, de renforcer les compétences et l’autorité du CRMH en tant que maître d’ouvrage, en lui laissant toute latitude pour choisir le maître d’œuvre et fixer l’objet de l’étude préalable. Cela passe par une évolution du cadre juridique régissant l’intervention des ACMH qui, constate Yann Gaillard, “s’auto-prescrivent des travaux et se contrôlent eux-mêmes”. Revoir le système des études préalables (dont le coût est rarement proportionnel à l’intérêt), créer un corps d’inspecteurs fonctionnaires, ouvrir le corps à des architectes, français et européens, portés sur une liste d’aptitude, sont des idées qui circulent depuis longtemps, tout comme celle d’accroître le nombre d’ACMH, notoirement insuffisant pour couvrir correctement le territoire. La proposition de porter leur nombre d’une cinquantaine à plus de soixante-dix devrait d’ailleurs être reprise par la commission Bady. Mais la suggestion la plus audacieuse relative aux ACMH consiste à engager une “désectorisation”, c’est-à-dire ni plus ni moins à permettre au propriétaire de choisir son ACMH, alors qu’aujourd’hui chaque architecte exerce un monopole sur son secteur et bénéficie de ce fait d’une authentique rente de situation.
Pour réduire le pouvoir exorbitant des ACMH, il faudrait aussi redonner au propriétaire privé la maîtrise des objectifs du projet de restauration, en prévoyant sa consultation obligatoire pour la définition du cahier des charges de l’étude préalable et en mettant en place une instance d’arbitrage en cas de litige sur le projet de l’ACMH, par exemple. En rappelant la nécessité de privilégier la remise en état à l’identique, Yann Gaillard souligne implicitement l’existence d’une dérive dans la “restauration”, que tout observateur attentif a pu constater.
En ce qui concerne les problèmes d’entretien, il est impératif, selon lui, de clarifier la répartition des tâches entre l’architecte des Bâtiments de France (ABF) et l’ACMH. De plus en plus accaparés par les questions de permis de construire et d’urbanisme, les ABF sont contraints de négliger l’entretien des monuments. Pour mieux coordonner l’action des services de l’État, Yann Gaillard propose de rattacher les ABF aux directions régionales des Affaires culturelles, et non plus aux préfets, et éventuellement de confier les tâches d’entretien à des architectes libéraux sous le contrôle du CRMH.
Toutefois, derrière les meilleures intentions, s’en cachent parfois quelques autres, plus inavouables. On frémit en lisant que l’action de la Région Pays de la Loire pour l’abbaye royale de Fontevraud a valeur d’exemple : l’investissement du conseil régional pour la restauration de ce monument a en effet eu pour résultat une radicale “remise à neuf”. De plus, au détour d’une phrase, le rapporteur suggère que les Régions pourraient se voir confier la gestion de certains monuments, et seraient ainsi compétentes pour les travaux, ce qui n’est pas inenvisageable. Mais, dans le même temps, il voudrait leur transférer la définition des périmètres de protection ! Pourtant, les sénateurs ont déjà largement œuvré, via la loi solidarité et renouvellement urbain, à vider partiellement de sa substance la protection des abords des monuments historiques (lire le JdA n° 143, 22 février 2002).
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Le patrimoine au rapport
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Le patrimoine au rapport