Menacées dans de nombreuses villes en raison de restrictions budgétaires, les écoles d’art veulent démontrer que l’originalité de leur enseignement est adaptée au marché de l’emploi. Elles proposent quasiment toutes une première approche aux techniques de l’image numérique, mais demeurent des lieux d’initiation à la création et non des instituts techniques.
Dix ordinateurs à l’École nationale de la photographie d’Arles, trente à Saint-Étienne, câblage complet des ateliers vidéo, son, photographie et infographie de l’école du Mans, plateau télévisuel numérique à Nantes… Rares sont les écoles d’art publiques qui ne se soient engagées dans un minimum d’initiation aux nouvelles technologies de l’audiovisuel et du multimédia. Mais pourquoi un tel engouement ? Il semblerait qu’elles aient trouvé, avec l’émergence rapide des technologies numériques, un "second souffle". En effet, les écoles d’art sont depuis de nombreuses années, et plus encore en ces temps récents de vaches maigres fiscales, souvent menacées par leurs municipalités, qui assument jusqu’à 90 % de leur budget. Malgré ce financement, les collectivités locales ne peuvent intervenir dans le contenu et l’orientation d’écoles dont les diplômes sont définis au niveau national par l’Inspection générale de l’enseignement artistique (IGEA). Ce paradoxe du financeur non décideur trouve un exutoire dans la modernisation de l’équipement. Le renouvellement technologique est souvent présenté par les directeurs des écoles d’art aux décideurs locaux comme un moyen de garantir l’adéquation entre la formation dispensée en école d’art et le marché du travail. Jean-Claude Latil, directeur d’une école fort bien dotée à Nantes, reconnaît par exemple "qu’il a séduit les décideurs par les nouvelles technologies".
Cheval de Troie
Toutefois, les écoles ne doivent pas "dériver vers la formation de techniciens", affirme Servane Zanotti, directrice de l’école du Mans, un souhait partagé par l’ensemble des directeurs. Elles ne veulent pas "perdre leur âme" devant la montée des besoins du marché du travail. Au contraire, "nous avons vocation à apprendre à déconstruire la machine, à dynamiter la société", affirme sans ambages Éléonore Rueff, enseignante spécialiste des réseaux à Cergy-Pontoise. Loin d’un engouement, d’une mode, voire d’un soutien complice à une déferlante technologique, prévaut une analyse pragmatique de la situation : "Il n’est pas raisonnable de lutter de front ; usons donc des moyens mis à notre disposition pour poursuivre notre chemin", résume Georges Rey, enseignant vidéaste à Grenoble.
Tête bien faite
L’apprentissage des nouvelles technologies suit les principes pédagogiques généraux en usage dans les écoles d’art. Il ne s’agit pas d’un enseignement structuré, mais d’une découverte en fonction des besoins des étudiants. Dès la première année, l’étudiant est placé devant la nécessité de concevoir un "projet individuel", et il devra pendant toute sa scolarité développer un univers personnel. "Mieux vaut une bonne capacité d’analyse plutôt qu’une maîtrise virtuose d’un logiciel", observe Pierre Lère, chargé de mission à l’IGEA. "Le projet détermine l’usage de tel ou tel médium et non l’inverse", insiste Jean-Louis Gervasoni, responsable de la section Art et Média à Lyon. En d’autres termes, le multimédia est un outil artistique comme un autre. À Dijon, "les étudiants passent de l’infographie à la lithographie", explique Jean Mathiaut, enseignant. L’ordinateur leur permet "de visualiser ce que pourrait être l’œuvre ; la réalisation finale se fera sur papier avec des moyens lithographiques traditionnels s’ils le souhaitent". "Les étudiants peuvent faire de la glaise le matin et du 3D le soir", confirme Dominique Belloir, enseignante à l’Énsb-a de Paris. Cette volonté de symbiose entre les différentes techniques est mise en pratique à l’Ensad, où Jean-François Depelsenaire, responsable de la formation depuis 1986 et de l’Atelier d’image et d’informatique (AII), souligne que les nouvelles technologies sont "intégrées à l’ensemble du projet pédagogique". Dominique Barbier, enseignant-artiste à Marseille, considère cependant qu’il "faut un minimum de connaissances pour pouvoir se libérer des contraintes techniques".
Réticence des jurys
Les écoles d’art se sont donc lancées avec délices dans les arcanes du multimédia. Cette attitude prouve, selon Louis Bec, inspecteur principal de la création artistique à la DAP, que "la sensibilité a changé, le public a changé. Le milieu de l’art contemporain n’est plus aussi étroit. Ces nouvelles œuvres touchent un public différent, qui n’est pas nécessairement celui de l’art contemporain. Les passionnés de l’Internet et de la communication s’y intéressent". Toutefois, ces nouveaux travaux ont quelques difficultés à être reconnus par le monde de l’art. "Il est toujours mieux vu par un jury de faire une installation qu’une présentation vidéo", regrette Pierre Lère. Jean-Claude Latil cite le cas d’un étudiant qui a été recalé deux fois à son diplôme de fin d’année alors qu’il a remporté, avec le même projet, le prix Hachette de la jeune création. "Nous avons des difficultés pour recruter des jurys qui connaissent vraiment ces œuvres", confirme Georges-Albert Kisfaludi, à Nantes. Un constat surprenant, qui laisse entendre que les écoles seraient, une fois n’est pas coutume, en avance sur le monde de l’art. Cette avance prendra probablement quelques années avant d’être comblée : "Il faut du temps pour former un étudiant", remarque Alain Snyers, directeur à Amiens. "Nous avions lancé un concours inter-écoles d’œuvres interactives. Malgré un fort taux de réponse, nous n’en avons finalement sélectionné qu’une quinzaine, avec des niveaux très divers".
Unimédia ou multimédia ?
Le terme générique de "nouvelles technologies" désigne toutes les techniques de codage numérique. Depuis quelques années, on qualifie les œuvres ainsi produites par l’expression "multimédia". Mais il serait préférable, selon Jean-François Depelsenaire, de l’Ensad, de parler "d’unimédia". En effet, les technologies actuelles permettent de connecter l’image, le son et leur traitement numérique et virtuel, le multimédia faisant davantage référence à la juxtaposition de techniques qui ne communiquent pas entre elles. Les ressources offertes par les nouvelles technologies sont très variées. Elles vont du simple ordinateur doté d’un logiciel, pour faire de la mise en page, à de véritables chaînes graphiques qui permettent de traiter une image en mouvement, d’y associer du son, le tout de manière virtuelle. La virtualité est probablement l’innovation majeure de ces outils : elle permet de visualiser un projet, en 3D si besoin, sans avoir à le réaliser concrètement. Par ailleurs, les possibilités offertes en matière d’interactivité sont elles aussi très prometteuses, comme en attestent les quelques cédéroms ou œuvres à navigation personnalisée disponibles sur le marché.
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Abonnez-vous dès 1 €Ouverture du Fresnoy
L’ouverture du Studio national des arts contemporains à Tourcoing, annoncée depuis plusieurs années, se fera le 12 novembre 1997. À cette date, la première promotion sélectionnée sur un projet artistique entrera dans le bâtiment construit par Bernard Tschumi. Le Fresnoy est à la fois une résidence d’artistes – les artistes-enseignants y sont invités de 6 à 12 mois – et un lieu de production – les étudiants doivent réaliser leur projet artistique. La direction artistique et pédagogique a été confiée à Alain Fleischer. Sélection des candidats à partir d’avril. Renseignments : 03 20 70 43 62.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°35 du 4 avril 1997, avec le titre suivant : Le numérique apporte une nouvelle légitimité